Lyon, plus que jamais dans les nuages

La deuxième région industrielle de France a aussi une culture très forte de la start-up. Malgré tout, il reste beaucoup à faire aux acteurs privés pour convaincre les entreprises d’adopter massivement le cloud. La dynamique s’enclenche.

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Ici, le campus Verrazano, situé sur le pôle numérique de Lyon. Photo : SERL

 « Le cloud, c’est un peu comme le sexe pour les adolescents. Tout le monde en parle, mais peu le pratique. » Cette formule provocatrice n’est pas lancée par un technophobe, mais par un pionnier du cloud, Jean-Michel Bérard, qui dans les années 2000 a fait muter sa société informatique vers le cloud computing. Non sans réticences. Ses commerciaux étaient habitués à vendre des licences de logiciels, ses clients étaient réservés, dubitatifs à l’idée de ne plus maîtriser leurs données. « La clé de cette révolution, ce fut de ne pas réfléchir seulement d’un point de vue technique, mais à partir du besoin des clients, analyse Jean-Michel Bérard. Cela a impliqué des changements culturels importants. On est passé de la vente de produits à la vente de solutions. Alors qu’auparavant, on ne se souciait pas des usages, on a commencé à s’intéresser à ce que fait le client de notre technologie. »

 Une vision industrielle partagée

 Cette appréhension, qui relève selon lui « davantage de la religion », n’a pas totalement disparu. Le patron d’Esker et nouveau président du cluster Edit doit continuer à évangéliser les PME, leur démontrer que le cloud est une solution plus économique et plus collaborative. Leur prouver qu’à partir du moment où elles sont sur le même serveur, elles peuvent échanger des données, négocier des rabais sur des factures BtoB, résoudre des litiges. « Le cloud, c’est un peu la même chose que les réseaux sociaux, ajoute-t-il. C’est une autre manière d’appré- hender l’économie et de faire des gains de productivité. » Jean-Michel Bérard est convaincu qu’avec le cloud, les garanties (de sécurité) sont supérieures et le seront encore plus à l’avenir. Depuis le mois d’octobre, sa société qui a réalisé 61 % de ses 41,1 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le cloud en 2013, propose une solution de cryptage data rest. Toutes les données sont cryptées. Cette évolution a été demandée par ses clients américains.

Jean-Michel Aulas et Patrick Bertrand sont deux autres apôtres rhônalpins du cloud. Avec sa nouvelle base line Cloud Services & Software, leur groupe Cegid (260 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013, dont 21 % dans le cloud) affiche sa volonté de continuer à accompagner la transformation numérique des entreprises. Sur ses 6 000 cabinets d’experts-comptables clients, 1 400 ont déjà migré dans le cloud. « Le SaaS, ce n’est pas seulement de l’hébergement, c’est une dynamique de services, observe Patrick Bertrand. Le cloud, c’est une relation beaucoup plus vertueuse avec les clients. » Signe de la confiance instaurée en particulier avec les TPE et PME, le taux de pertes de clients est « plus faible dans le SaaS pour Cegid », indique son directeur général.

Avec LyonIX, Rezopole facilite les échanges à très haut débit

Vignette-encadré-LyonIXEn installant un troisième nœud d’échanges Internet dans l’agglomération lyonnaise, Rezopole s’est donné les moyens « d’avoir des tarifs de bande passante très compétitifs et de développer le très haut débit à l’échelle régionale », comme le souligne son directeur, Samuel Triolet. Avec cette infrastructure, Rezopole quadrille la métropole à trois points cardinaux différents et permet aux opérateurs télécoms, aux fournisseurs d’accès Internet, aux ESN, aux collectivités locales, à des grands comptes comme Sanofi Pasteur ou la préfecture de région (88 clients au total), de faire du peering. LyonIX est aussi un network access point (NAP). Grâce à cette option, « on dispose d’une place de marché Internet et Télécoms neutre », souligne Samuel Triolet. Créée en 2001 avec le soutien de la région et du Grand Lyon, l’association Rezopole contribue à faire baisser les coûts de la bande passante Internet et des services télécoms grâce à la mise en relation directe des acteurs. Elle dynamise le secteur IT dans la région, le cloud en particulier, et développe de nouveaux services (open data) et usages (visioconférence, streaming) dans des bonnes conditions. « On évite aussi la délocalisation des services informatiques en région parisienne, et l’on rend possible le retour d’emplois hautement qualifiés, et des taxes associées, dans la métropole et la région. » L’association a d’ailleurs essaimé son savoir-faire à Saint-Etienne, Grenoble, Nice et, plus récemment, à Toulouse et Strasbourg.

 

 Pas aussi rapide qu’espéré

 Le partenariat stratégique, conclu en sep­tembre, entre le groupe lyonnais et Micro­soft autour d’Office 365 s’inscrit pleinement dans cette démarche « résolument centrée sur l’évolution des usages et des métiers ». « L’intégration fluide d’outils collaboratifs et SaaS comme Office 365 permet d’apporter une brique importante et complémentaire à l’offre Cegid », de messagerie intégrée en particu­lier. « C’est la logique du bouquet de télévisions, expose Patrick Bertrand. On peut changer de cloud sans s’en rendre compte. » Les clients de la société lyonnaise qui n’ont pas encore opté pour le SaaS, et exploitent en interne leur solution de gestion Cegid, pourront également s’abonner à Microsoft Office 365 et pro­fiter ainsi des nombreux avantages du cloud.

 Cet accord illustre, selon Patrick Bertrand, « la vision industrielle partagée du cloud par nos deux sociétés« .  » Il met en lumière la grande affinité métier entre les fonc­tionnalités développées par Cegid et par Microsoft, et démontre toute la valeur d’usage qui peut être apportée à nos clients par l’intégration cloud to cloud entre les services en ligne de Cegid et ceux de Microsoft, ouvrant des perspectives d’enregistrement de nos bouquets de services SaaS  » Alain Crozier est sur la même lon­gueur d’onde. Le directeur général de Microsoft France entend « démocratiser le cloud à travers des solutions simples, performantes et accessibles, à même d’aider les entreprises à accélérer leur développement ».

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Le quartier Vaise Industrie (9e arrondissement) a été renommé Pôle Numérique de Lyon lors de la première phase de réhabilitation engagée en 2000. Il réunit plus de 200 entreprises (7 500 salariés au total).

Laurent Fiard ne comprend pas lui non plus la « psychose » de certains dirigeants de PME qui ont l’impression de perdre leur autonomie avec le cloud. Il compare leur comportement à ces personnes qui pensent que leur argent est plus en sécuri­té sous leur matelas que dans une banque. Résultat : la dynamique de transformation numérique des entreprises n’est pas aussi rapide qu’espérée. « C’est un peu comme In­ternet à ses débuts, on est en phase d’accéléra­tion », convient le cofondateur du groupe Visiativ (49,2 millions de chiffre d’affaires, en 2013) qui, lorsqu’il était à la présidence du cluster Edit, a monté des sessions de formation pour accompagner la mutation d’éditeurs de logiciels, et mis à leur dis­position des outils en mode cloud pour soutenir leur stratégie d’innovation et de croissance. « Mais on a encore beaucoup de travail à faire », concède-t-il, dans une filière, qui reste très atomisée : sur 2 500 édi­teurs de logiciels, seule une centaine dégage plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires.

 Pour Laurent Fiard, il faut faire comprendre aux édi­teurs qu’ils ont un métier industriel qui nécessite en amont un important effort de R&D, « très consomma­teur de cash », et qu’ils doivent accélérer leur pas vers le marché. Il prend en exemple l’histoire de Visiativ qui, jusqu’en 2005, est resté scotché à 4 millions de chiffre d’affaires avant d’investir dans son réseau de distribution, et d’appliquer une véritable stratégie marketing. Aujourd’hui, le groupe lyonnais se positionne comme un acteur de la consolidation du marché. Il s’est engagé dans la création de l’accélérateur de start-up du numérique BtoB Axeleo, qui accompagne une quinzaine de sociétés et a réuni pour son premier tour de table une quinzaine d’entrepreneurs comme Patrick Bertrand (Cegid), Pascal Eymin (Cisco), Thierry Rouquet (Sentryo), Fabrice Lacroix (Antidot). « Nous accompagnons le développement des start-up numériques à fort potentiel de croissance en facilitant leur accès au marché et aux sources de financement », indique son directeur général Eric Burdier. Axeleo s’est rapproché, cette année, d’un autre accélérateur, BoostInLyon, et de la plate-forme de crowdfounding Anaxago, dont l’antenne lyonnaise est installée dans ses bureaux.

En rassemblant tous les acteurs majeurs de la filière numérique comme Cegid et Dimo Gestion, le cluster Edit est devenu un pivot de la French Tech lyonnaise. En fusionnant avec son homologue grenoblois Grilog, il a montré la voie à une régionalisation accrue, faisant fi des querelles de clocher… qui n’ont guère de sens vu de San Francisco ou Séoul.

 

Le petit poucet des datacenters

Vignette-netissimeNetissime, la PME lyonnaise qui s’était lancée en 1999 dans l’hébergement de sites, la vente de noms de domaine, la gestion d’adresses e-mails, puis dans le référencement de sites Web, est devenue un « hébergeur low cost », prêt à rogner sur ses marges, selon l’un de ses chefs de projet, Thomas Thévenon. A deux heures de Paris en TGV, elle joue la carte de la proximité, avec son datacenter installé depuis 2011 au centre de Lyon. Une troisième salle blanche est en cours d’aménagement sur ce site qui accueille plus de 5 000 serveurs. Avec un autre datacenter plus petit à Paris, Netissime répond à la demande de nombreuses sociétés françaises qui tiennent à ce que leurs données dépendent de notre législation. « Ça les rassure », estime Thomas Thévenon. Avec ses filiales espagnole, tunisienne, italienne et anglaise, et une petite agence aux Etats-Unis, l’hébergeur, filiale du groupe Elb Multimedia, qui n’exclut pas de nouvelle extension ou la reprise d’autres datacenters, est à même de capter d’autres clients intéressés par les cieux plus cléments de l’écosystème français.

 

 Innovation : les éditeurs peuvent-ils encore suivent le rythme ?