M-L. Cassé (Voyages-sncf.com) : « Le big data est un projet d’entreprise porteur »

Le site commercial et agence de voyages de la SNCF, Voyages-sncf.com, s’est donné pour mission dès 2013 d’appliquer une approche big data a ses enjeux de relation client. Marie-Laure Cassé, Directrice Marketing Client et Data, Voyages-sncf.com, détaille les principaux enseignements de cette démarche.

PARIS LA DEFENSE, FRANCE. 21 SEPTEMBRE, 2011. Marie Laure Casse, Responsable Marketing relationnel, voyages-sncf.com. Photo : Antoine Doyen

Marie Laure Casse, Responsable Marketing relationnel, voyages-sncf.com. Photo : Antoine Doyen

Pourquoi vous être lancés dans une démarche big data ?

Marie-Laure Cassé : Chez Voyages-sncf.com, nous faisons du big data depuis des années sur la partie la plus technique de notre activité, notamment le monitoring du site et le respect des Service Level Agreements (SLA). Bien évidemment, le terme étant récent, nous n’appelions pas cela du big data, mais les notions de volume et de vélocité (temps réel) propres au big data étaient déjà présentes. Des expérimentations étaient menées également sur des données météo par exemple, qui sont extrêmement pertinentes, notamment d’un point de vue de compréhension des usages touristiques, et c’est notre direction de l’innovation qui a expérimenté sur le sujet. Quand nous avons estimé nécessaire d’améliorer notre connaissance des internautes qui consultent notre site, nous nous sommes naturellement appuyés sur cette expertise préexistante. Il nous fallait enrichir la vision CRM de nos clients avec la compréhension des comportements de tous nos visiteurs, sur site, mobile ou applis.

Par où avez-vous commencé ?

Nous avons lancé en 2013 un Proof of Concept (PoC), à partir de données de navigation et de notre CRM pour réaliser une segmentation des visiteurs de notre site. Pour ce premier travail, nous n’avons pas intégré volontairement la « third party data », c’est-à-dire des données issues des réseaux sociaux par exemple. Nous avions déjà bien à faire avec la richesse de données dont nous disposions déjà !

Qu’avez-vous retiré de votre PoC big data ?

D’un point de vue métier, nous avons gagné en compréhension de nos internautes : comment ils utilisent le site dans la durée, quels renseignements ils souhaitent trouver, quels sont les utilisateurs réguliers… Côté technique et organisationnel, nous avons dû relever certains challenges. Nous avons pris conscience qu’il était vital que métiers et développeurs travaillent non seulement conjointement mais soient également très proches géographiquement. Nous avons fait le choix de la co-localisation des équipes, en rapprochant nos experts en business intelligence (BI) traditionnelle, les équipes data-web mining de la direction marketing et les data-scientists.
Le PoC nous a aussi fait comprendre le caractère critique de la qualité des données pour un projet big data. Voyages-sncf.com agrège beaucoup de marques blanches en tant qu’agence de voyage, qui n’utilisent pas toujours les mêmes référentiels, ce qui peut avoir un impact sur la cohérence des données remontées. Or, certains d’entre elles s’avèrent très structurantes pour juger de la pertinence de ce que nous proposons à nos clients. Nous avons également constaté qu’entre notre plateforme web et mobile, les normes de dénomination des variables pouvaient être différentes, par exemple aux niveaux des tags d’identification utilisés. A la suite du PoC, nous avons ainsi décidé de lancer un grand plan de remise à niveau de nos référentiels.

Quelle place tient le compte client, optionnel pour faire une recherche sur le site, dans votre démarche d’analyse des données ?

C’est un élément clé pour pouvoir proposer un parcours plus fluide aux internautes.  Nous travaillons sur des parcours toujours plus simplifiés et rapides pour les clients qui utilisent un compte, tel que nous l’avons développé sur les « réservations express » mobiles. Notre note de satisfaction est d’ailleurs plus élevée pour les visiteurs qui utilisent un compte client. De plus, en souscrivant et se connectant à son compte client, l’internaute accepte de bénéficier de propositions personnalisées. L’enjeu pour nous est de proposer l’offre la plus pertinente qui répondra aux attentes de l’internaute. Il existe en effet une forme d’ambivalence autour du big data. Il suffit pour s’en convaincre de voir les débats sur la question des données personnelles et de leur exploitation. Pourtant, dans toutes les études que nous menons, les personnes interrogées souhaitent avant tout se voir « proposer des offres adaptées à leurs besoins ». Le compte client permet de mettre tout le monde d’accord. C’est un accord explicite, une alliance gagnant-gagnant. Comme le prouve chaque jour un modèle comme celui d’Amazon, l’hyper-pertinence séduit les internautes. L’enjeu majeur est d’être à la fois respectueux des données exploitées et transparent envers les internautes. La politique de Voyages-sncf.com a toujours été claire : exploitation des données à des seules fins de services, pas de revente à des tiers car la confiance qu‘accorde les internautes à notre marque nous est précieuse. Si quelqu’un cherche à tromper ses clients sur ses usages big data, la sanction sera de toute façon immédiate.

Comment est perçu le big data en interne ?

C’est un projet d’entreprise extrêmement porteur. Nous avons pris un virage en juin 2014 en réorganisant l’entreprise autour de l’enjeu d’une meilleure exploitation de la data, ce n’est pas anodin. Ce qui pourrait être perçu comme un buzzword « big data » a été totalement revendiqué, et des investissements ont été réalisés dans ce sens. J’ai eu l’occasion d’animer en interne des conférences de présentation de nos actions sur le sujet, avec l’idée de rendre accessible à tous le big data. Il est important de diffuser cette « culture de la data » dans toute l’entreprise. Il faut rendre concrets les projets.

D’un point de vue relation client, construire une segmentation fine de nos visiteurs n’est qu’un début. Le véritable challenge est de l’exploiter opérationnellement dans la manière dont on pense le parcours client, ce qui fait d’une certaine manière changer certaines pratiques de l’entreprise. L’amélioration de l’expérience utilisateur et la personnalisation des offres sont deux drivers majeurs de notre roadmap big data. Par rapport à nos pratiques datamining passées, le big data permet d’ouvrir le champ des données qu’il est possible d’exploiter pour effectuer des recommandations pertinentes ainsi que des leviers sur lesquels exposer ces offres. Cela ne concerne plus seulement les achats. Et surtout, grâce à des outils de personnalisation type Netwave, nous n’avons plus forcément besoin d’un e-mail pour raconter à un client une histoire pertinente et adaptée à son profil. Nous pouvons par exemple présenter des offres géolocalisées à un utilisateur anonyme qui vient chercher des informations sur des horaires de train.

Vos équipes historiques ont-elles suffi pour rendre cette vision opérationnelle ?

Lors du PoC en 2013, nous nous sommes appuyés sur un accompagnement extérieur, tant en termes de compétences que d’outils. Une fois validés l’enjeu et l’intérêt de développer le big data, nous avons pu nous poser la question de l’industrialisation et des conséquences humaines et techniques d’un tel virage pour l’entreprise. Des investissements ont donc été validés et quatre data-scientists en prestation nous ont rejoints. Il était essentiel de lancer l’activité tout en lançant des recrutements sereinement. Donc aujourd’hui nous recrutons encore ! A la fois des profils scientifiques que d’autres plus informatiques. Nos offres d’emploi sont sur notre site. Ce processus d’internalisation ne va pas de soi : les data-scientists sont très recherchés et les formations encore jeunes. D’où l’importance de faire monter également en puissance nos équipes. C’est d’ailleurs un des intérêts de la co-localisation qui permet à nos dataminers et experts BI de gagner en compétence « par immersion ». Nous avons également recruté des profils juniors, avec une double compétence « statisticien et ingénieur », qui apportent une manière de penser très différente à nos réflexions habituelles. Côté métier, l’équipe reste encore modeste mais elle est amenée à s’étoffer.

A-t-elle su trouver naturellement sa place dans l’organigramme ?

La question s’est posée très explicitement. Nous nous sommes demandé s’il fallait rendre une telle équipe « big data » complètement indépendante, par exemple en la rattachant à la direction générale. Au final, nous avons choisi de capitaliser sur les acteurs qui exploitaient déjà la donnée parmi nos différentes équipes, afin de compléter leur savoir-faire. Avoir une équipe détachée en plus de celles déjà existantes peut entraîner une perte d’efficacité dans l’exploitation de la donnée. Ces choix ont été facilités par le fait que nous avons toujours lié la démarche big data à des objectifs métiers très précis, sur le modèle du PoC. Lancer un « mode exploratoire » libre est certes séduisant, mais difficile d’un point de vue budgétaire et stratégique. Je pense que beaucoup d’entreprises rêvent d’avoir 30 data-scientists pour découvrir des sources de valeur totalement innovantes dans leurs données, en laissant libre-court à leur créativité. Malheureusement, il faut souvent être un peu plus réaliste !

Comment s’est passée l’acquisition d’outils nécessaires à vos projets ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, passer sur des technologies Hadoop ne remet pas tout en cause dans son système d’information. Etant donné que notre équipe IT opère du Big data « technique » depuis 2009, elle était relativement à l’aise sur le paramétrage des machines. De plus, nous avons pu constater un gain immédiat en passant sur des bases de données NoSQL plutôt que classiques. Avec ce parti pris « big data », nous avons significativement baissé nos coûts technologiques. Il est certain que stocker et travailler la data sont des activités gourmandes d’un point de vue informatique. Il a fallu investir, en termes de puissance notamment. Mais les gains ont largement compensés ces décisions, car les prix des outils et du matériel ont malgré tout beaucoup baissé ces dernières années.

Quel conseil donner aux entreprises qui ne se sont pas encore lancées ?

Il faut rester pragmatique : ne pas se disperser, constater l’efficience des use-cases, être prêt à arrêter les expérimentations quand on voit que l’on n’est pas encore mûr pour un sujet. A ce titre, être une « entreprise agile » est un énorme facilitateur. Chez Voyages-sncf.com, cette transformation « agile » était antérieure à nos choix big data et nous avons pu en profiter. Dès la constitution des équipes, puis leur relocalisation, nous avons appliqué des méthodes qui ont fait leur preuve, stand-up meeting, tableaux à post-it, elevator pitch, users stories… Au moment d’aborder le sujet big data, nous avons donc pu bénéficier d’un véritable accélérateur et d’un grand enthousiasme de la part de nos équipes grâce à ces nouvelles façons de travailler.

Pour aller plus loin :

Retrouvez le compte-rendu du Brief de la rédaction sur « Relation client et big data : l’alliance naturelle ? »

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