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Ma Sécurité, ou quand le numérique améliore la relation avec les forces de l’ordre sur le territoire

La commissaire de police Caroline Mougnaud décrit les objectifs de la plateforme Ma Sécurité, un portail d’information et d’aide pour les citoyens dans leur relation avec les forces de l’ordre. Cette approche centralisée, incluant police et gendarmerie, entend avant tout mettre le numérique au service des territoires, au niveau local.

Alliancy. Comment est né Moncommissariat.fr, devenu en fin d’année dernière Ma Sécurité ?

Caroline Mougnaud chef de Moncommissariat

Caroline Mougnaud chef de Moncommissariat

Caroline Mougnaud. Le service a été créé en 2020, alors que la crise sanitaire était un accélérateur pour la police nationale dans l’idée de proposer des services numériques utiles. Au moment du premier confinement, le numéro 17 d’urgence téléphonique a en effet été noyé sous les appels. Il était important de pouvoir informer le plus grand nombre tout en permettant au numéro d’urgence de continuer d’assurer ses autres missions.

Le but était donc d’avoir un point d’accueil numérique pour les usagers qui prennent en compte tous les sujets de la sécurité du quotidien. Au départ, c’était une simple page web et l’information se concentrait sur les nouvelles règles liées au covid, mais très vite l’ambition s’est élargie : guider l’usager vers les téléservices déjà existants du ministère de l’intérieur (huit à l’époque, plus d’une dizaine aujourd’hui, NDLR) et accompagner l’usager dans sa démarche jusqu’à son éventuel déplacement en commissariat. Les citoyens se posent en effet beaucoup de questions sur ce qui les attend sur place, combien de temps leur démarche va leur prendre, de quels documents ils auront besoin, etc. Le portail permet d’y répondre. Le cœur du site est en effet « l’orienteur ». En six clics au maximum, n’importe qui peut accéder à une centaine de réponses à des problématiques très concrètes, ainsi qu’à plus d’une trentaine de fiches pratiques.

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Comment la plateforme a-t-elle évolué pour en arriver à la version actuelle, plus complète ?

En mars 2022, nous avons mis en œuvre le premier site complet, décliné en application mobile, incluant tous ces services. Et en décembre dernier, nous avons gommé l’aspect institutionnel, en accueillant également la gendarmerie au sein de l’initiative. C’est pourquoi la plateforme a été renommée « Ma Sécurité ». Après tout, l’usager veut un service, il ne s’intéresse pas à qui, de la police ou de la gendarmerie, le lui rend. Pour faire évoluer la plateforme, nous nous sommes tenus à trois principes directeurs :

D’abord, être centré sur l’usager, en proposant à la fois une facilité d’accès en ligne, en autonomie, et un accompagnement possible par tchat, 24h sur 24, 7 jours sur 7. L’un de ces tchats est généraliste et l’autre est spécialisé sur les problématiques de harcèlement, de violences sexuelles, etc. Dans tous les cas, nous proposons une prise en charge en moins de deux minutes.

Ensuite, mettre en visibilité les téléservices existants. Ceux-ci sont très utiles mais souvent méconnus. Un bon exemple est la « pré-plainte en ligne ». Ce service existe déjà depuis plusieurs années, mais de nombreux citoyens n’en connaissent pas la possibilité, alors que le gain de temps est important. De manière générale, les téléservices étaient disséminés sur différentes plateformes : Ma Sécurité est donc devenue un guichet unique.

Enfin, notre philosophie a été de dire que l’amélioration de la qualité des services passait notamment par une meilleure orientation et prise en charge des usagers. Quand quelqu’un arrive jusqu’à une réponse mais que ce n’est pas la bonne pour son besoin, la déception est forte et la prise en charge n’est pas bonne. La plateforme devait donc s’insérer au reste de l’écosystème de sécurité et d’information existant. Elle est positionnée comme un « plus » et non pas comme une substitution. Nos outils doivent aussi pouvoir être utilisés par les policiers directement, pour qu’ils puissent eux-mêmes orienter les usagers qui les contactent, grâce à la clarté du portail. Nous avons beaucoup travaillé la communication en interne, et il existe depuis peu une formation obligatoire sur les téléservices et la plateforme elle-même, destinée aux services d’accueil partout en France.

A quel point jugez-vous ces principes innovants pour vos institutions ?

Nous avons dû réfléchir différemment sur des sujets comme le référencement naturel, l’adaptation du langage, la mise à jour des contenus… Pour y parvenir nous avons travaillé en équipe pluridisciplinaire, ce qui était en soi une innovation. Nous sommes allés chercher des compétences nouvelles pour gérer ces sujets numériques centrés sur l’usager. Nous nous sommes ouverts à des contractuels, des apprentis… C’est assez nouveau pour le ministère de l’intérieur d’intégrer au « cœur du réacteur » de nos services, des spécialistes du digital venu de l’extérieur. Cela nous a déjà évité de jargonner et d’être dans l’entre-soi !

Au rang des innovations, nous avons aussi été le premier site du ministère conforme au RGaA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité, qui vise à assurer l’égalité des droits pour les citoyens en situation de handicap, NDLR). Nous en sommes d’ailleurs très fiers et nous visons prochainement le 100% de conformité. Dans la même logique, nous intégrons le DSFR, c’est-à-dire le « design system » de l’Etat, afin de rassurer l’usager en fournissant des composants graphiques et des logiques de designs harmonisés et cohérents sur tous les sites du gouvernement.

De quelle façon Ma Sécurité peut-elle vraiment être au service des territoires ?

Déjà, nous sommes basés à Bordeaux ! Mais au-delà, si la plateforme est nationale et internationale, pour accueillir aussi les Français résidant à l’étranger, ou les étrangers en visite en France, nous sommes très vite amenés à saisir les services locaux pour répondre à leurs demandes. La plateforme permet de mieux orienter vers les bonnes réponses dans les territoires notamment. Elle est bilingue et, à eux tous, les policiers sur le tchat peuvent répondre dans la plupart des langues.

De manière générale, nous sommes plutôt dans l’optique d’élargir l’offre disponible. Nous montons en ce sens des partenariats avec d’autres dispositifs, notamment portés par des start-up d’Etat comme DossierFacile, qui permet de constituer un dossier de location pour un logement tout en protégeant ses documents pour éviter les usurpations d’identité.

Au niveau territorial, nous proposons à la fois des informations de base, comme la carte des brigades de gendarmerie et des commissariats en France, mais aussi des informations locales. Chaque département peut communiquer sur ses propres renseignements utiles, qui facilitent les pratiques de sécurité, par exemple une opération de marquage de vélo pour éviter les vols, etc. Nous faisons également connaître des services de proximité qui ne le sont pas encore assez comme « l’opération tranquillité vacances » qui a été entièrement dématérialisée depuis l’an dernier.

La fonctionnalité de tchat répond-elle à une attente précise des usagers ?

Nous traitons environ 700 conversations par jour. En période de covid, nous étions sur près de 2500 demandes quotidiennes ! Ce n’est pas anodin, alors que le métier d’opérateur sur le tchat est très spécifique. Il leur faut être particulièrement attentif et empathique, sans avoir de son et d’image dans l’interaction. Nous avons d’ailleurs créé des formations dédiées pour interagir au mieux malgré le flot quotidien de demandes.

Même si ce n’est pas notre rôle premier, nous constatons que nous recevons environ 10 % de demandes de situation d’urgence par le tchat. La promesse d’instantanéité fait que certaines personnes peuvent être amenées à l’utiliser dans des situations critiques. J’ai l’exemple d’une femme victime de violences conjugales, qui avait pu s’enfermer dans une pièce. Elle n’avait pas de téléphone mais avec son ordinateur portable, elle a pu nous contacter et nous avons immédiatement lancé une intervention à son domicile. Nous avons également eu une affaire de séquestration de jeunes filles ; la description des ravisseurs, transmise par le tchat, a également permis une intervention efficace.

La variété des thématiques qu’il est possible de traiter sur le tchat amène une grande utilité. Si de nombreuses demandes d’informations provoquent des conversations de moins d’une minute, sur les thématiques sensibles comme la violence conjugale, les échanges vont être beaucoup plus longs. Les policiers doivent pouvoir libérer la parole et ils peuvent passer entre une et quatre heures sur un seul sujet. Notre organisation permet aux opérateurs de se concentrer sur une seule conversation très importante, ou de mener jusqu’à huit petites demandes d’information en parallèle.

Quels sont les retours des utilisateurs à ce stade ?

Plutôt bon ! Au-delà de la phase de conception, nous avons construit un écosystème usager pérenne qui permet de rester en contact avec les utilisateurs : nous menons des ateliers réguliers, physiques ou digitaux, ainsi que des sondages pour évaluer par exemple la satisfaction du temps de prise en charge….  Cela vient en plus de l’analyse d’usage qui nous est donné par les statistiques techniques : quelle fiche fonctionne bien, quel service moins, etc. Par ailleurs, Ma Sécurité est tête de réseau pour l’ensemble de la police nationale, sur l’initiative « Je donne mon avis » de la direction interministérielle de la transformation publique. Ce format met en lumière les témoignages des utilisateurs avec des services de l’Etat, et nous répondons en moins de quatre jours aux remarques qui sont faites par les usagers, pour ceux qui nous concernent.

Que prévoyez-vous comme nouvelles fonctionnalités à l’avenir ?

Le dispositif évolue régulièrement ; la dernière version a été mise en ligne pas plus tard que le 5 juin dernier ! Récemment, nous avons travaillé sur l’amélioration de l’ergonomie, le partage facile de l’information, notamment des derniers contenus venants d’autres administrations. En septembre 2023, nous allons expérimenter la mise en avant du dépôt de plainte totalement dématérialisé pour certaines communes. Depuis le 9 mai, nous avons par ailleurs lancé un projet pilote sur la « visio-plainte » dans les Yvelines, qui sera élargi à l’avenir. D’ici à la fin d’année, nous voulons aussi proposer la prise de rendez-vous en ligne pour ceux qui veulent se déplacer jusqu’à un commissariat ou une brigade, là encore pour mettre l’outil numérique au service de notre présence utile sur le territoire.