Les métiers doivent s’approprier le sujet de la protection des données

Cet entretien est issu du Guide à télécharger Alliancy Insights Data Management « L’entreprise augmentée par la Data et l’IA »


Courtier en assurances, WTW France (ex-Gras Savoye) et son équipe dirigeante sont convaincus du potentiel de la donnée. Les métiers doivent néanmoins encore s’approprier cet actif et non tout déléguer à la DSI, comme le rappelle son DSI, Jean-Jacques Fradet.

Jean-Jacques Fradet DSI WTW France

Jean-Jacques Fradet DSI WTW France

Quelle est la place de la data dans votre entreprise ?

Par nature, la donnée est un asset clé dans notre métier de l’assurance. Nous y avons fait de la data avant les autres. L’actuariat, la base de l’assurance, n’est ni plus ni moins que du processing de données. Plus ce patrimoine est riche, plus un assureur est en capacité de développer des modèles fiables.

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Ceci posé, cela ne fait pas d’une organisation du secteur une entreprise data driven. Si la data constitue pour nos métiers un asset de base, ils n’ont pas pour autant intégré sa dimension de relais de croissance. Le cheminement se fait progressivement.

Nous avons commencé à développer quelques offres, notamment autour de l’absentéisme dans l’assurance de personnes. Néanmoins, nous n’en sommes encore qu’au début de l’histoire et très loin de tirer profit de la masse de données de sinistres dont nous disposons.

La question aujourd’hui est donc de savoir si nous serons capables de valoriser tout ce patrimoine de données.

Quel est le niveau de sponsoring des dirigeants à l’égard de ces projets ?

Nous sommes dans une situation un peu paradoxale. Le soutien de la direction générale est total, qui d’ailleurs dans ses expériences passées a mené des initiatives intéressantes sur la data.

Mais nos mouvements actionnariaux en 2020 et 2021 nous ont contraints à adapter nos priorités et moyens. L’énergie investie sur la data en a nécessairement été impactée. Néanmoins, la question du sponsoring de la direction ne fait absolument pas débat. Data et digital sont considérés comme l’avenir du courtage.

À présent, le sponsoring doit se concrétiser. Il faut que les planètes s’alignent sur la fourniture des moyens et la stratégie groupe, en cours de redéfinition. C’est cette stratégie qui fixera la place de la data et des moyens qui y seront alloués.

Guide Alliancy Insights - Data management

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Et qu’en est-il de la sensibilité des directions fonctionnelles, de leurs attentes et de leur niveau d’acculturation ?

La réponse ne peut pas être univoque dans ce domaine. C’est très lié aux individus et à leur parcours. Certains ont une sensibilité IT relativement faible, quand d’autres ont intégré le rôle de l’IT comme outil de production.

Les niveaux de maturité sont donc extrêmement variés. Pour la faire progresser, il n’y a pas de recette magique. Il s’agit de co-construire avec les métiers, via de l’idéation, de mettre en place des équipes mixtes, etc. Seule la vérité du terrain compte et permettra de faire émerger des solutions utilisées par les métiers et générant de la valeur.

Le projet doit répondre au bon besoin et se déployer au bon moment également pour le client.

Quels métiers dans votre entreprise pourraient être les premiers utilisateurs et à terme des ambassadeurs ?

Potentiellement, quasiment tous. Et l’accroissement de la pression réglementaire devrait notamment contribuer à accentuer les besoins autour de la conformité : détection de transactions atypiques, faux sinistres, etc. Tous les métiers que la DSI sert ont des besoins aujourd’hui sur la data et l’IA. Cela vaut sur la partie clients externes, mais pas seulement.

Nous faisons par exemple de l’assurance pour un grand opérateur mobile. Ce type d’acteur est forcément très intéressé par des données sur la fréquence de panne selon les modèles ou en fonction d’une multitude de paramètres. Sur la santé, la donnée permet d’apporter des prestations de conseil aux ressources humaines pour les aider à développer des actions de prévention.

Il est toutefois indispensable pour ces usages de se conformer aux obligations en matière de protection des données et au principe de mutualisation propre à l’assurance. Le travail s’effectue par conséquent sur des données agrégées et anonymisées. En outre, pour notre projet sur l’absentéisme, DPO et juridique ont été les premiers impliqués.

Quels combats sont à mener sur l’acculturation ?

Nous y travaillons, mais c’est difficile. Les métiers comprennent que la data présente de nombreux usages, même si le comment n’est pas encore très clair. Cependant, dans leur conscience ou leur inconscient, la donnée reste considérée comme l’affaire de l’IT et un sujet essentiellement technologique.

Mon combat permanent consiste donc à leur rappeler que je ne suis pas propriétaire des données. Je mets à disposition les outils leur permettant de les gérer et de les exploiter. La donnée est bien, en revanche, l’asset des métiers. C’est à eux de s’en emparer. Mais ils n’ont pas toujours cette culture, et considèrent donc par exemple que les enjeux de gouvernance et de qualité des données sont du ressort de la seule DSI.

Cette prise de conscience nécessite du temps et des moyens. Pour s’occuper des données, les métiers doivent y allouer des ressources, monter en compétences et s’investir dans la durée.

Quelle est la place de la DSI dans cette transformation data ?

La direction de la data se situe au sein de la DSI. Pour autant, je n’ai pas de religion sur ce sujet. Son intégration dans la DSI contribue certainement à accroître encore son positionnement en tant que business partner. Mais en même temps, cela peut vous mettre dans un rôle de juge et partie.

Je me réjouis que le CDO soit dans mes équipes, cependant cela peut aussi avoir pour effet négatif de donner le sentiment que la data est l’affaire de la DSI et non de tous. Et cela peut être un obstacle à l’appropriation du sujet par les métiers.

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Les modèles d’organisation des équipes data sont très divers, avec par exemple l’ingénierie rattachée à la DSI et la data science au sein des métiers…

Je suis plutôt favorable à un tel modèle. La mise en oeuvre passe par de multiples interactions et interdépendances avec la technologie et le legacy. Que ce volet soit porté par la DSI semble donc assez naturel.

En revanche, dans toute la partie amont, valorisation business, gouvernance des données, sans être nécessairement dans les métiers, il me paraît bénéfique qu’elle puisse être pilotée indépendamment de la DSI.

Qu’en est-il du sujet de la protection des données ? Les métiers sont-ils plus conscients des risques ou là aussi la DSI est considérée comme son seul artisan ?

J’aimerais vous dire non, mais la réalité du quotidien montre que ce n’est pas encore le cas. Néanmoins, l’actualité, en particulier chez certains de nos confrères et clients, a participé à une prise de conscience. Les métiers ne considèrent plus que les incidents de sécurité ne concernent que les autres.

J’observe une véritable évolution des mentalités et une prise de conscience quant aux risques et impacts d’une cyberattaque. Cela se matérialise aussi par une plus grande acceptation à l’égard des contraintes que peut imposer la cybersécurité. Autrefois, l’interdiction des ports USB ou des accès à des services de stockage externes aurait sans doute été très mal accueillie.

Toutefois, comme pour la gouvernance des données, les métiers doivent s’approprier le sujet de la protection des données en considérant que la donnée, en tant qu’asset, leur appartient. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un actif immatériel géré par le SI qu’il ne relève que de la DSI. Et cela vaut aussi pour la cyber.