Monsoon pour optimiser la production

La semaine dernière, j’animais sur Global Industrie, la table-ronde « Analytics : quelle finalité pour les données ? », en présence notamment d’Ameline Bernard, ingénieure dans la branche Aluminium du groupe Rio Tinto, au sein du département Technology (service Carbone). L’occasion d’échanger sur les objectifs du projet européen Monsoon qu’elle pilote pour le groupe depuis dix-huit mois.

Monsoon pour optimiser la production

Ameline Bernard possède un diplôme d’ingénieur chimique, de l’Itech Lyon, ainsi que des mastères spécialisés dans le domaine du développement durable et du QSE (Iseam et Cesi Grenoble). (photo : Capgemini)

Alliancy. Vous gérez en tant que chef de projet pour Aluminium Pechiney (entité de Rio Tinto), le projet européen Monsoon. Quel est son objectif principal ?

Ameline Bernard. Il vise d’abord à mettre au point une architecture globale et commune pour de nombreux industriels. Il s’agit en fait d’une plate-forme collaborative de développement d’algorithmes et de stockage des données (datalab).

Sur les deux sites pilotes industriels concernés [Aluminium Dunkerque dans le Nord ; usine d’injection plastique au Portugal appartenant au groupe américain GLM], on disposera d’une interface plus locale (Runtime Container), qui permettra de faire tourner les algorithmes en continu avec les données en temps réel, pour de la maintenance prédictive et le suivi qualité de certains éléments.

Comment se compose le consortium mis en place pour ce projet autour de votre groupe ?

Ameline Bernard. Le projet est piloté par l’ISBN, un institut italien de technologie informatique et télécommunications, basé à Turin. Il réunit un consortium de 12 entités au total, dont deux industriels, des centres techniques et des laboratoires de recherche issus de sept pays (France, Allemagne, Portugal, Italie, Slovaquie, Espagne, Grèce) et faisant partie des meilleurs acteurs européens dans le domaine du big data industriel.

Aujourd’hui, où en est Monsoon ?

Ameline Bernard. C’est un projet sur trois ans, nous en sommes à la moitié environ et nous allons attaquer sa deuxième phase sur les trois qu’il comporte. La première phase traitait de la récolte des données et leur stockage. Elle vient de se terminer. Aujourd’hui, on travaille sur les premières fonctions prédictives que l’on déploie sur les deux sites industriels, pour avoir les prédictions en temps réel qui vont nous remonter. En mars, une nouvelle itération se fera sur un an. Ensuite, on travaillera sur les enseignements tirés et la finalisation du projet.

Quelle a été la genèse d’un tel projet ?

Ameline Bernard. Rio Tinto est à l’origine de ce projet. Le groupe cherchait des solutions pour traiter son volume important de données. Les services de R&D ont émis un besoin que nous ne pouvions pas mener en interne. On a cherché des partenaires extérieurs et on a fait le lien avec les projets de recherche dans le cadre du H2020. Nous avons participé à la constitution complète du projet, dont le budget global est de 5 millions d’euros, entièrement financés par la commission européenne.

Comment êtes-vous organisé en interne chez Rio Tinto pour gérer ce type de projet ?

Ameline Bernard. On a organisé la structure dès le départ avec un chef de projet, qui s’appuie ensuite sur un pool d’experts métiers. Ces derniers ont libéré du temps pour travailler spécifiquement avec les data scientists de nos partenaires extérieurs sur le projet. On n’a pas ces compétences en interne.

Comment ce projet se situe-t-il chez Rio Tinto en matière d’analyse de la donnée ?

Ameline Bernard. Monsoon est bien le 1er projet de développement d’algorithmes en Europe pour notre groupe, qui touche environ une dizaine de personnes en interne, mais pas à temps plein (et entre 30 et 50 environ sur le projet global). On en a un second en interne, mais plus petit. Le groupe a commencé à développer les compétences Big Data et on se structure au Québec au sein d’un de nos sites de R&D, avec des data scientists.

Quand on monte un tel projet, sur quoi faut-il être vigilant ?

Ameline Bernard. Si l’on dispose de compétences en interne, dans l’analyse de la data, c’est sûrement plus facile de pouvoir discuter et de faire avancer le projet. En revanche, cela demande de se structurer et d’avoir les épaules pour embaucher des data scientits ou des experts big data. C’est un choix à faire.

Comme on n’avait pas les compétences en interne, on a fait appel à des partenaires extérieurs et on continuera à le faire, même si on crée des postes en interne sur ces sujets. Cette problématique d’open innovation avec des partenaires extérieurs sur la data doit se coupler avec des experts métiers. Ils doivent dialoguer autour des scénarios et il faut mixer les équipes. C’est une des leçons apprises du projet Monsoon. Mais un des points bloquants est d’arriver à trouver un langage commun entre les data scientist et les experts métiers.

Quels sont les autres objectifs visés à travers ce projet ?

Ameline Bernard. Dans le cadre de Monsoon, on a également un objectif d’amélioration de l’impact environnement de notre process industriel. Un des axes du projet traite donc de la maîtrise des ressources et de l’impact environnemental.

Et pour Rio Tinto en tant qu’initiateur du projet ?

Ameline Bernard. En tant que producteur d’aluminium, il s’agit pour nous de voir l’impact de la qualité de l’anode sur la production d’aluminium et sur la stabilité des cuves. Comment prédire l’impact sur la production d’aluminium ? Et aussi sur la quantité d’aluminium produit… L’idée au final côté carbone est de limiter les taux de rejets actuellement de 2,5 % ; par ailleurs, en maîtrisant mieux la qualité des anodes, nous maîtriserons mieux la qualité de l’aluminium tout en augmentant la production et en diminuant les gaz à effet de serre. En stabilisant la qualité des cuves, on vise aussi à baisser la consommation électrique.

Partant de là, comment ce projet touche-t-il d’autres industries ?

Ameline Bernard. Ce qui est proposé par le projet, c’est que grâce aux outils de sémantique, on doit pouvoir adapter les algorithmes à d’autres industries sans de grandes adaptations. La plateforme collaborative permet d’échanger avec d’autres experts métiers pour obtenir des algorithmes les plus transverses possibles.

 

Qu’est-ce que le projet Monsoon ?

Lancé à Bruxelles en octobre 2016 pour une durée de trois ans, ce projet fait partie du programme « Horizon 2020 », le plus grand programme de recherche et d’innovation lancé par l’Union Européenne.

Le projet Monsoon vise à établir une méthodologie basée sur les données, permettant l’identification et l’exploitation des potentiels d’optimisation, en appliquant des contrôles prédictifs dans les processus de production. Ces algorithmes prédictifs (Big Data) seront ensuite déployés dans deux usines pilotes pour une utilisation en opération temps réel.

Les deux premiers domaines d’application visés sont la production d’aluminium et l’injection plastique, mais l’approche cross-sectorielle permettra à terme de l’appliquer dans des activités de production variés.

Les principaux impacts attendus de Monsoon sont les suivants :

  • Augmenter la productivité et l’efficacité dans les domaines industriels considérés
  • Baisser la consommation de ressources et d’énergie
  • Améliorer l’efficacité environnementale, en diminuant les émissions
  • Améliorer la sécurité en réduisant le taux d’accidents