Numérique responsable : l’inégale maturité des prestataires du numérique

Les prestataires du numérique, et les acteurs consommateurs de leurs solutions, sont-ils prêts à transformer profondément leur modèle et leurs pratiques pour un numérique plus respectueux de l’environnement ? C’est à cette question que le cabinet Advaes a tenté de répondre en élaborant une matrice analysant les grandes les tendances du numérique responsable d’ici à 2030.

La matrice élaborée par le cabinet Advaes, acteur spécialisé dans l’analyse des stratégies RSE des prestataires du numérique, se lit selon quatre dimensions : les enjeux environnementaux, les impacts de l’application directe ou indirecte des réglementations, les approches de conception et de développement de produits et de services, et les pratiques en matière d’opérations et d’exploitation de leurs solutions. La partie de droit concerne donc les contraintes et les enjeux, la partie de gauche porte sur les actions déjà entreprises ou qu’il faut entreprendre.

Advaes - entreprises françaises du numérique

Le premier constat dressé par le cabinet Advaes est que les entreprises françaises du numérique sont à des niveaux de maturité excessivement variables par rapport à cette matrice. Si l’on prend par exemple le bilan carbone, toutes les entreprises ne l’ont pas réalisé sur les trois scopes.

« La majorité des acteurs du secteur donnent uniquement des évaluations pour les scopes 1 et 2. Le calcul du scope 3, qui peut représenter de 67 % à plus de 75 % des émissions de GES de ces entreprises, connaît un grand retard vu sa complexité. Or, cette mesure est une étape incontournable car, pour bien agir, il faut pouvoir évaluer, dans le but d’identifier les points forts de l’entreprise afin d’y activer les leviers d’action en priorité », déclare Emmanuelle Olivié-Paul, fondatrice et dirigeante du cabinet Advaes.

Davantage de sobriété énergétique

En parallèle du bilan carbone, les entreprises du numérique identifient des actions leur permettant d’aller vers une plus grande sobriété énergétique. « Ces deux sujets – bilan carbone et sobriété énergétique – sont les sujets les plus actuels pour les entreprises, ne serait-ce que pour répondre aux demandes d’indicateurs de leurs propres clients qui cherchent des KPI relatifs aux produits et solutions qu’elles commercialisent », note la dirigeante d’Advaes.

Parmi les actions menées par les entreprises du numérique en faveur de la sobriété énergétique, on peut citer par exemple le choix du télétravail « intégral » (fermeture de tous les bureaux en même temps) un jour par semaine, afin d’agir sur la consommation énergétique des bâtiments.

« Les prestataires du numérique, et tout particulièrement ceux opérant des centres de données (opérateurs de data centers et cloud providers), devraient par ailleurs être plus nombreux à négocier des contrats mondiaux de type PPA (Power Purchase Agreement) afin de répondre à la croissance de leurs besoins énergétiques, tout en réduisant leur empreinte carbone et en soutenant le développement de sources d’énergies renouvelables (EnR) », ajoute Emmanuelle Olivié-Paul.

En outre, l’amélioration des designs, la virtualisation et la mutualisation accrues des ressources de traitement (grâce au modèle du cloud computing), le développement et l’adoption de technologies à haut rendement énergétique (comme les serveurs et systèmes de stockage de nouvelle génération, à plus faible consommation énergétique), la récupération de chaleur émise quand cela est possible, devraient jouer un rôle clé dans la réduction de la consommation d’énergie du secteur du numérique.

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La législation : un « driver » majeur du secteur

La réglementation constitue un autre point de pression pour que les prestataires du numérique agissent d’une manière responsable. Plusieurs lois et directives sont entrées en vigueur ces dernières années pour réduire l’impact du numérique sur l’environnement.

Ces réglementations concernent une panoplie de champs comme le reporting extra-financier, la lutte contre le gaspillage et l’obsolescence programmée, l’économie circulaire, la réduction des déchets électroniques et dangereux, l’efficacité des bâtiments, l’efficience énergétique, l’éco-conception, la réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Elles sont complétées par des initiatives adjacentes comme celle relative à la feuille de route de décarbonation de la filière numérique.

« Jusqu’ici, certaines réglementations n’adressaient que les entreprises cotées en bourse, ce qui concernait un petit nombre de prestataires du numérique. Or, les réglementations environnementales récemment votées, tant au niveau de l’Union européenne que de la France, et pour une application dans les deux à trois ans, voient leur champ s’élargir en intégrant dans leur spectre des entreprises de plus petite taille et non nécessairement cotées en bourse, notamment sur le terrain de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) », complète Emmanuelle Olivié-Paul.

Quelles actions à plus long terme ?

Si l’on sort du carré « Aujourd’hui à 3 ans » de la matrice réalisée par Advaes, d’autres leviers d’action apparaissent, comme les processus d’économie circulaire. La conception de produits numériques autour de modèles plus faciles à réparer, à mettre à niveau et à recycler devrait ainsi s’accélérer. De même, leur fabrication devrait inclure moins de matériaux toxiques nuisibles à l’environnement et plus de composants recyclés (comme le plastique par exemple).

« Les prestataires du numérique devraient systématiser l’achat d’équipements reconditionnés, le recours à la réparation et la revente de ceux usagés (serveurs, équipements réseaux, ordinateurs, smartphones…), l’assemblage au juste composant et les gains par la recherche d’une meilleure densité. Des réflexions devraient s’ouvrir autour des notions telles que l’open hardware », analyse Emmanuelle Olivié-Paul.

Ces notions d’économie circulaires devraient également s’appliquer aux domaines des applications et des services numériques, en favorisant les approches de réutilisation de codes, de recours à des APIs (interface de programmation d’application), des micro-services et au serverless, de reversement (cf. open source) ou encore de développement no code / low code.

Un changement d’orientation dans les opérations informatiques devrait également s’opérer avec une transition du FinOps vers le GreenOps. « Cela sous-entend un passage des performances et de l’efficacité à la durabilité et à l’impact environnemental. Cette transition devrait être motivée par la demande croissante en technologies durables et respectueuses de l’environnement. Elle représente une étape critique vers la création d’un secteur du numérique plus durable et plus respectueux de l’environnement. Elle devrait jouer un rôle clé dans la réduction de l’impact environnemental du secteur », précise Emmanuelle Olivié-Paul.

« Il est difficile pour les entreprises de prendre à bras le corps l’ensemble de ces thématiques d’un seul coup. Il est nécessaire de travailler par processus itératif. Par exemple, tous les prestataires du numérique devraient avoir comme ligne de mire le bilan environnemental multicritères. Mais pour y parvenir, il faut y aller par étapes, car nous sommes dans des systèmes complexes très interdépendants », conclut Emmanuelle Olivié-Paul.