Open innovation : quand EDF s’habille smart

De jeunes designers canadiens planchent sur un vêtement intelligent capable de recharger nos petits appareils électroniques. Depuis 2013, EDF et le « smart » textile français soutiennent le développement du projet Vitruvian Energy. 

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Ces vestes photovoltaïques exploitent les échanges thermiques entre le corps et l’air ambiant. Ici, la première génération de prototypes du projet Vitruvian réalisé par l’équipe de designers de Toronto. © Christel Sasso

 

 

 

 

 

 

 

 

A Lille, dans le centre culturel de la Maison Folie Moulins, se dévoilent de curieux objets du futur, comme ces vêtements – une robe et une surchemise d’homme – montés sur cintres qui s’exposent fièrement aux visiteurs. Coupe moderne et motif design, ils scintillent lorsque les plaques photovoltaïques incrustées dans le tissu passent sous la lumière.

De la compétition à la collaboration

Ces pièces, capables de produire une petite quantité d’électricité, pourraient devenir des objets du quotidien d’un futur pas si lointain, où leur qualité d’habit sera doublée d’une capacité de chargement de nos appareils électroniques. Leur particularité ? Outre un tissu intelligent comme base textile, ils sont le fruit d’une réflexion démarrée par des étudiants outreAtlantique, accompagnée et financée sur deux ans par le géant EDF, et développée par nombre d’acteurs, dont une bonne partie d’entre eux est française.

L’histoire commence en 2013, lorsqu’EDF lance un concours international, Sharing Energy in The City 2030, en partenariat avec Dassault Systèmes et l’Agence pour la promotion de la création industrielle (APCI). L’idée est d’imaginer, au travers de scenarii prospectifs, des éléments de notre vie quotidienne d’ici à quinze ans, dans un objectif de développement durable. « 26 projets étaient en compétition dans deux catégories, Solutions innovantes et Recherche collaborative », détaille Gilles Rougon, responsable design transverse chez EDF et initiateur du concours. 

transverse chez EDF et initiateur du concours. Les projets présentés passent devant un jury d’experts en design industriel, urbanisme, architecture, entrepreneuriat, etc. Parmi les deux idées primées et dotées d’un accompagnement financier (5 000 euros pour la catégorie Solutions innovantes et 1  000  euros pour la catégorie Recherche collaborative), le projet Vitruvian Energy est porté par deux Ukrainiennes (Iuliia et Antonina Kostiuk), une Russe (Svetlana Iagodina) et une Chinoise (Becky Long), installées à Toronto pour leurs études de design et dont les âges cumulés excèdent à peine une centaine d’années. Sous la houlette du Français Xavier Massé, professeur de design dans la capitale de l’Ontario, l’équipe présente un vêtement intelligent, qui permet à ses utilisateurs de collecter, convertir en électricité et partager l’énergie produite par le corps humain.

La conception du prototype

« Lorsque, à l’issue du jury, Gilles Rougon nous a proposé de pousser plus loin le projet, nous avons sauté sur l’occasion », raconte Xavier Massé. En partenariat avec la George Brown School of Design et l’Institute Without Boundaries, EDF organise, en décembre 2014, « a charrette ». Soit une session de travail de plusieurs jours où l’interdisciplinarité doit faire grandir un projet. Trois équipes se sont réparties selon différentes compétences (comment produire, consommer et partager l’énergie). Il s’agissait de déterminer quelle source d’énergie serait utilisée : la cinétique, l’énergie que nous produisons en bougeant ; l’énergie thermique produite par la chaleur de notre corps ; ou bien l’énergie solaire à laquelle nous nous exposons continuellement. La problématique s’est renouvelée sur la question de l’utilisation : l’objet doit-il permettre de consommer directement l’électricité par le porteur du vêtement, de la stocker sur des power station ou d’être réinjectée sur le réseau ? « Trois jours plus tard, un prototype commençait à émerger, confie l’équipe du projet, mais n’étant pas ingénieurs, nous n’avions pas toute la connaissance pour aller plus loin. »

Gilles Rougon les connectera avec le monde du textile intelligent français. C’est ainsi que l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH), diverses entreprises, des designers et des scientifiques du centre de recherche Materia Nova se réunissent autour de la conception du prototype. « Nous avons regardé les différentes modalités de récupération d’énergie que les designers avaient mises en évidence, raconte Olivier Douhéret, chercheur à Materia Nova. Et nous avons privilégié les technologies passives [solaire et thermique, Ndlr] qui s’affranchissent des mouvements, et demandent des prouesses technologiques moindres pour leur incrustation sur le tissu. »

Deux vêtements technologiques sont réalisés en deux mois et font l’objet d’une expérience utilisateur dans la foulée à la Biennale du Design de Saint-Etienne en mars 2015. « Les visiteurs ont pu tester le vêtement, expose Clémentine Chambon et Françoise Mamert, designers de la veste. S’il y avait un réel intérêt de leur part, des questions subsistaient, notamment sur sa portabilité. Les cellules solaires donnaient un aspect un peu Robocop et, surtout, restaient fragiles. » Quant à recharger son téléphone, cela fonctionne, mais cinq fois moins vite que sur un port USB classique… L’idée continue pourtant de séduire. Notamment ceux qui y placent un réel intérêt comme EDF. Outre une image de porteur d’innovations et de soutien au développement durable, le groupe voit aussi une ébauche de solution au pic de demande d’électricité chaque matin et soir. « Dans quelques années, l’électricité consommée par nos objets connectés sera telle, que les infrastructures existantes n’y suffiront pas », prédit Olivier Douhéret. Une veste solaire serait donc un moyen de diluer cette consommation tout au long de la journée. « Il sera même possible de produire davantage d’énergie que celle consommée », s’enthousiasme Iuliia Kostiuk. A condition qu’un tel vêtement se démocratise…

Si les scientifiques voient le produit arriver sur le marché d’ici à cinq ans, il reste encore des étapes à passer, selon les designers et ingénieurs qui ont travaillé ensemble sur un second prototype, dans lequel les plaques photovoltaïques ont été assouplies, disloquées et insérées dans le tissu. L’effet final  ? Des pièces plus tendances, qui pourraient tout à fait séduire les aficionados de la mode… « Le plus difficile a été de respecter les contraintes du tissu, alliées à celles de la physique, du design, de l’énergie électrique… », expliquent-ils.

Après Saint-Etienne, les vêtements ont attiré les visiteurs de l’Exposition universelle de Milan, avant d’atterrir à Lille (Nord) depuis l’ouverture en septembre de l’événement Lille  3000 qui s’est tenu jusqu’en janvier 2016. Désormais EDF tient les rênes de l’avenir du projet Vitruvian Energy : l’accompagnement au développement de l’idée par l’équipe canadienne touche à sa fin et l’industrialisation du produit est en débat. Pendant que les scientifiques et industriel réfléchissent à la constitution d’un consortium R&D pour pousser la technologie plus loin, les jeunes de Toronto créent leur entreprise, enthousiasmés par l’aventure. Quant à la propriété du projet, aucun brevet n’a été déposé.

Repérer les bonnes idées

Sharing Energy in the City 2030, concours de projets innovants devrait être relancé en 2016. Autre concours international de start-up, Pulse*, initié par l’énergéticien en 2014, a été réitéré  pour 2016. Les candidatures, déposées jusqu’au 6 décembre dernier portent sur les thématiques de l’habitat connecté,  l’e-santé et la ville bas carbone. En juin prochain, un prix sera remis au projet lauréat de chaque catégorie : en plus d’une dotation financière de 100 000 euros, les start-up gagnantes remporteront une campagne de communication grand public, portée par EDF. L’objectif : solliciter des investisseurs, des clients et des partenaires pour faciliter le développement de ces jeunes innovateurs. En 2015, 200 candidatures ont été déposées : parmi elles, 51 % émanaient d’équipes de seize pays européens.

* http://pulse.edf.com/fr