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Paul Duan (Bayes Impact), un altruiste au pays de la donnée

Il n’aura que 37 ans en 2030 et l’on en parle déjà beaucoup ! Dans le monde du big data,  le Français Paul Duan a imaginé une start-up à but non lucratif, Bayes Impact. Objectif : améliorer les services publics à travers le monde… à commencer par Pôle Emploi.

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Paul Duan à l’ACSEL’R le 2 mai dernier © Acsel

Difficile de se frayer un chemin pour lui parler. Entre les journalistes en quête d’une réaction et les développeurs à la recherche d’un job atypique, Paul Duan est très sollicité. A 23 ans, ce passionné de « data, de vin et de jeux de mots pourris » (comme l’indique son compte Twitter), est à la tête de Bayes Impact, une ONG qui cherche à résoudre les problèmes de société grâce aux algorithmes. En janvier, il a signé une convention permettant l’exploitation de données anonymisées avec Pôle Emploi en vue de faire baisser de 10 % le chômage en France… C’est d’ailleurs pour ce projet qu’il a reçu le prix du « Grand Disrupter » 2016 de l’ACSEL’R. « J’ai du mal à comprendre comment ce garçon charmant qui a 20 ans de moins que moi essaie de traiter le problème du chômage, et crée son ONG pour y parvenir », déclarait Cyril Zimmerman, président de l’Association de l’économie numérique, le 2 mai, lors de la soirée de remise des prix.

Une exception

Ce statut si particulier fait encore figure d’exception dans le monde de la tech. « Il a créé un nouveau format d’organisation, une start-up ONG. Rien que le fait d’accoler ces deux mots est énorme », s’enthousiasme Jérôme Richez, cofondateur de Liberté Living Lab, un espace d’innovations utiles, qui ouvrira ses portes en septembre dans le Sentier, à Paris. Un lieu atypique où les 11 salariés de Bayes Impact ont déménagé il y a quelques semaines, aux côtés d’autres jeunes pousses de la Social Tech. Un domaine émergent, mais largement prometteur : « Les mauvaises habitudes qui sont rentrées dans les normes de notre société l’ont bloquée, segmentée et étouffée à petit feu. Aujourd’hui, les problèmes sociaux et économiques se régleront grâce à nos petites sociétés innovantes », estime ainsi Nicolas Dufourcq, le patron de Bpifrance, dans La Tribune de Lyon*. La banque publique d’investissement soutient aussi les innovations au service de l’intérêt général. Bayes Impact est, quant à elle, financée principalement via (…)

Ne pas devenir une licorne

Cette fibre sociale lui a été transmise par ses parents, des immigrés chinois qui ont fait Tiananmen en 1989. Ce n’est pas la seule raison. « J’ai beaucoup joué sur cette histoire mais au-delà de ça, c’était tout simplement une évidence », explique-t-il. Après le bac, Paul suit un double cursus : une licence de mathématiques à la Sorbonne où il sort major de sa promotion et un bachelor d’économie et de sciences politiques à Sciences Po Paris. En 2011, il est lauréat du Berkeley-Sciences Po Award in Economics, ce qui lui permet d’étudier dans la prestigieuse université californienne pendant un an. Il tombe ensuite dans la marmite de la Silicon Valley et devient, en janvier 2013, le premier data scientist d’Evenbrite, la plate-forme de billetterie en ligne. « Ce qui m’a frappé, c’était qu’en utilisant des algorithmes, on pouvait améliorer une métrique de façon quantifiable et concrète à l’échelle de dizaines ou de centaines de millions de personnes », se souvient-il. La mentalité très business de la Silicon Valley ne convient pas à celui qui veut « rendre le monde meilleur, un algorithme à la fois ». « Ce qui m’énervait un peu, c’est l’idée que tout le monde doit faire une licorne. Sauf que les licornes, par définition, sont rares et si elles arrivent à grossir c’est aussi parce qu’elles font plus de capital efficience, c’est-à-dire qu’elles embauchent moins. »

En avril 2014, il cofonde avec Eric Liu, Bayes Impact, et intègre le prestigieux accélérateur américain de start-up, Y Combinator (AirBnB, Dropbox…). La jeune pousse, première organisation « non-profit » de l’accélérateur, commence à travailler avec la ville de San Francisco, puis s’attaque aux problématiques de santé. « Aujourd’hui, on travaille sur un gros projet avec les hôpitaux de Californie. On a mis en place un pilote sur 1 million de patients et le but est d’améliorer la prédiction du risque de réadmission des patients », raconte-t-il. L’ONG collabore ensuite avec la Maison Blanche pour faciliter le retour à l’emploi des vétérans américains.

En juin 2015, le cofondateur de la start-up participe à L’échappée Volée, un rendez-vous qui met en avant des innovations au service du bien commun. Paul entre sur scène et lâche : « Si je vous disais que 10 personnes pouvaient sauver la vie de 10 millions… C’est possible avec le pouvoir de la science des données. » Pendant dix minutes, le jeune homme explique l’impact qu’ont les algorithmes sur la vie des individus. Il cite l’exemple de Netflix avec son outil de recommandation de films et le transpose sur le chômage en France. « On pourrait ainsi utiliser des algorithmes de matching dynamiques capables de recommander aux chercheurs d’emplois des opportunités professionnelles de façon plus rapide, plus efficace et globalement plus optimale. »

La conférence est un succès autant dans la salle que dans la presse. Les titres sont tous plus élogieux les uns que les autres : « Le petit génie français de la Silicon Valley a sa légende » (Rue89), « Le superhéros de la data science pour améliorer le monde » (TechmeUp), « Le petit génie qui veut résoudre le chômage en France » (Le Figaro)…

Cette médiatisation submerge Paul Duan, qui avoue être aujourd’hui « sous pression ». « Tout ce que je dis est immédiatement passé au crible et repris », confie-t-il gêné. « Les médias grossissent trop le trait. La réalité est plus nuancée, la technologie est puissante mais seulement si on évite le solutionnisme », écrit-il sur Twitter.

Certes, il a signé un partenariat avec Pôle Emploi, mais son produit n’est pas encore terminé… La version bêta est prévue pour 2016. Aucun détail ne fuite. « L’idée est super mais pour le moment on n’en connaît pas les contours. Cependant, il a convaincu Pôle Emploi, et il est lui-même relativement convaincant », tempère François Deprey, directeur de GS1 France et membre du jury de l’ACSEL’R.

Seule certitude : le produit sera en open source « pour que tout le monde puisse créer le service public de demain ». De plus, la solution devrait aider les demandeurs d’emploi à trouver eux-mêmes leur voie, les orienter vers une reconversion ou une formation. « On travaille pour que ça marche. Au fond, il n’est pas question de ce que fait Bayes Impact, mais de comment créer un mouvement et encourager d’autres personnes à le faire », souligne Paul Duan. L’appellation « start-up ONG » prend tout son sens.

* La Tribune de Lyon, mai 2016