[Chronique] Intelligence digitale : quelques clés de compréhension de l’innovation à l’ère des métavers

Notre chroniqueur Imed Boughzala analyse les caractéristiques et risques à prendre en compte quand une entreprise, ses clients ou utilisateurs, se frottent au métavers.

Dans le monde de l’IT, l’idée de créer un univers numérique parallèle est assez ancienne. Depuis les débuts de l’Internet des tentatives plus ou moins fructueuses ont vu le jour, la plus fameuse d’entre elles restant probablement Second Life (conçue par Linden Lab en 1999 et ouverte au public le 23 juin 2003). Conçu comme une sorte de cyber république réaliste, il a compté jusqu’à 1 million d’utilisateurs et l’équivalent de 500 000 € de transactions (sous forme de Linden$ comme e-monnaie locale) par jour en 2009. Dans un genre très différent, le jeu vidéo EVE Online propose depuis des années un monde persistant permettant à des joueurs de s’affronter pour le contrôle de galaxies entières. Encore dans une autre catégorie, World of Warcraft était déjà une sorte de métavers médiéval fantastique permettant d’évoluer dans un monde merveilleux fictif, de s’organiser en guildes, de commercer ou de combattre d’autres joueurs.

Qu’est-ce qu’un métavers ou univers/monde virtuel 3D ?

Un métavers (de l’anglais metaverse, contraction de meta universe, c’est-à-dire méta-univers) est un monde virtuel simulé. Le terme est régulièrement utilisé pour décrire une future version d’Internet où des espaces virtuels, persistants et partagés sont accessibles via des interactions 3D. Disponibles pour tous les âges (à partir de 5 ans !), ils permettent de s’adonner à tous types d’activités : collaboration, tourisme, commerce, éducation, musique, sport, mode, etc. En réalité ce terme couvre plus un concept qu’une technologie, plus un idéal de société qu’une vraie innovation de rupture, plus une forme d’organisation sociale qu’une création technique ou scientifique. L’idée est simple : permettre aux humains de vivre de plus en plus dans un monde virtuel, voire de le substituer au monde réel.

Ils appartiennent à la catégorie des technologies post-digitales DARQ (Distributed ledger, Artificial intelligence, extended Reality & Quantum computing).

Si leur développement semblait prometteur entre les années 2007 et 2012, le Web 2.0 et notamment les réseaux sociaux comme MySpace, Facebook, Friendster, LinkedIn, Viadeo ou encore Plaxo, ont ralenti leur expansion.

En 2011, on décomptait déjà environ 500 mondes virtuels et 1,1 milliard de comptes utilisateurs dont 468 millions étaient détenus par des 10 -15 ans (aujourd’hui ils ont entre 20 et 25 ans) d’après le cabinet de conseil KZero Worldswide. Sur Second Life par exemple, on a vu naître plusieurs cas d’usage ; Intel y a organisé des réunions de travail, Lacoste y a fait du e-commerce (produits physiques ou virtuels), des cabinets de conseil comme par Accenture ou même la Marine nationale ont lancé des campagnes de recrutement, U2 y a donné des concerts, des partis politiques comme le Parti socialiste y ont installé des vitrines, certains organismes ont donné des cours de langues, etc.

Caractéristiques et risques

A cette même période, plusieurs de travaux de recherche ont vu le jour pour les étudier selon différentes perspectives : économiques, politiques, sociales, éthiques, éducationnelles, technologiques ou encore juridiques. Je citerais ici par exemple la collaboration en équipe à distance, sujet d’actualité à l’ère post-covid où se mêlent télétravail et management hybride.

Ces travaux ont mis en évidence trois caractéristiques principales leur donnant l’avantage par rapport aux outils de collaboration en 2D comme Teams, Zoom ou autres :

  • La conscience de groupe (ou social awareness) qui désigne la perception que possède chacun de la présence, de la localisation, de l’identité, de la disponibilité de l’autre à un moment donné, lors de la connexion (utilisation des indicateurs de présence de différentes couleurs dans le 2D remplacés par des personnages virtuels – aussi appelés avatars ou clones 3D- dans les situations de coprésence).
  • La manipulation des objets qui désigne une capacité offerte pour ces mondes virtuels aux avatars de se saisir d’un objet pour le déplacer, l’essayer, ou encore l’explorer de l’intérieur (i.e. un moteur de véhicule, l’anatomie du corps humain).
  • La persistance de ces mondes virtuels qui continuent à exister/fonctionner en dehors de la présence de l’utilisateur – c’est-à-dire que ces mondes alternatifs existent de manière continue, comme dans le monde réel. Quand un utilisateur se déconnecte, le métavers continue d’évoluer sans lui.

En 2021, Mark Zuckerberg annonçait que Facebook devenait Meta Platforms, Inc. et allait créer un métavers appelé Horizon. Ce dernier repose sur des outils de réalité virtuelle avancés et/ou des univers de réalité augmentée, à l’image du film Ready Player One.

Aujourd’hui, cet élan ne s’est pas essoufflé bien au contraire. Facebook en tant que géant de la tech a renforcé la légitimité de ces dispositifs. Plusieurs métavers de l’ancienne vague des années 2000 ou des nouveaux sont déjà prêts à relever le défi. A l’inverse de l’époque 2007-2012 la capacité technologique est aujourd’hui plus avancée avec la promesse des Data Analytics, l’IA, la Blockchain, la 5G, la crypto monnaie, etc.

Metaversed

Ceci dit, l’utilisation des métavers n’est pas sans risques. Pour ne citer que quelques-uns :

  • La confusion entre mondes réels et artificiels – En effet, passer d’un monde à un autre ou les mélanger induit le risque de ne plus savoir où l’on se trouve et pourrait engendrer des problèmes de santé mentale ou physique (endommagement de son oreille interne).
  • La dépendance/addiction – S’exercer dans les métavers à un certain nombre d’activités personnelles et professionnelles pourrait, au fil du temps, donner l’impression de ne plus avoir besoin de revenir au monde réel par manque de repères ou par facilité. La persistance de ces mondes est sans doute le critère le plus important, puisqu’il crée une addiction et une adhésion de masse, en provoquant un effet FOMO (Fear Of Missing Out, littéralement la peur de manquer quelque chose). L’utilisateur reste connecté ou se reconnecte régulièrement, car il a peur de manquer quelque chose lors de ses absences.
  • L’incivilité – L’absence de mécanismes de régulation (droits/devoirs, codes, lois, conventions sociales, pacte citoyen…) comme dans le monde réel, peut déraper avec la commission d’actes d’incivilités (i.e. harcèlement, usurpation d’identité, dégradation des biens virtuels d’autrui, vols, violence, trafics…). Plus que jamais, l’intelligence digitale est requise pour exprimer sa citoyenneté numérique.
  • L’usurpation de l’identité: avec le développement des techniques du Deepfake ou hypertrucage, on pourrait imaginer un risque grandissant que certains se fassent passer pour d’autres personnes. Un risque parmi d’autres liés à la cyber sécurité et cyber sûreté.
  • L’empreinte carbone : s’il existe une technologique énergivore c’est bien les métavers. Leur utilisation pourrait être vue comme un progrès elle doit cependant être très modérée. Dans l’excès, elle serait à l’opposé même de la sobriété numérique.

 

Une vraie opportunité ou un effet de mimétisme

Depuis l’annonce de Meta, on assiste à un engouement accru pour les métavers et à une course à l’investissement. AXA en France a annoncé investir le métavers. On pourrait se demander quel est l’intérêt pour un assureur ? Il répond « à très court terme, c’est d’abord une opportunité pour être attractif dans la guerre des talents Tech et développer de nouveaux modes de travail pour « le nouveau normal » (collaboration à distance en 3D). A moyen terme, Gartner estime que 30% des organisations auront des produits « metaverse-ready » en 2026 et qu’une personne sur 4 y passera 1h par jour. Dans le secteur de l’Assurance cela veut dire : des produits et des modèles de distributions adaptés aux risques du métavers, autour de la Cyber et des risques réputationnels, des crypto et des NFT ».

Vus comme la nouvelle version d’Internet et donc un vecteur de souveraineté numérique, les métavers intéressent même les Etats au-delà des entreprises. En effet, le gouvernement sud-coréen a annoncé la création d’une alliance des géants de l’industrie pour concevoir un métavers national capable de concurrencer celui de Facebook/Meta.