Réglementation européenne : la tentation du « moins-disant » pour accélérer l’innovation

 

Face aux pressions des entreprises, l’Union européenne semble infléchir sa trajectoire réglementaire. Alors que des acteurs majeurs ont appelé à un moratoire sur l’AI Act pour laisser davantage de temps à l’innovation, Bruxelles a déjà allégé plusieurs textes emblématiques, dont la directive CSRD et le devoir de vigilance.

 

La tendance à vouloir moins réguler pour mieux innover est une tendance lourde de l’année 2025. La dernière initiative en date remonte au jeudi 3 juillet dernier. Elle provient d’une cinquantaine d’entreprises européennes, dont Mistral AI, Mirakl, Airbus, Carrefour et TotalEnergies font partie. Ces entreprises ont lancé – via une lettre ouverte adressée à la Commission européenne – un appel baptisé « Stop the Clock » demandant un moratoire de deux ans sur le déploiement de l’AI Act. La Commission européenne a été prompte à rejeter cette demande, affirmant que le calendrier était juridiquement contraignant (lire la dépêche Reuters).

Cette initiative fait suite à une démarche du même genre, initiée cette fois-ci de l’autre côté de l’Atlantique. Le 26 juin dernier, la CCIA (Computer & Communications Industry Association), lobby de la tech américaine, a demandé aux autorités européennes le même report de deux ans. Selon la CCIA, des dispositions clés de l’AI Act – notamment des dispositions relatives aux modèles d’IA à usage général (GPAI) – manquent encore de clarté. Ces dispositions doivent s’appliquer dès le 2 août prochain.

 

Paquet Omnibus : le détricotage de la CSRD

 

Ces deux exemples font écho à d’autres « reculades » règlementaires intervenues plus tôt dans l’année. C’est le cas notamment du paquet Omnibus, présenté en février 2025 par la Commission européenne. Ce paquet a eu pour principale conséquence de réduire la charge administrative et de simplifier les obligations de reporting de durabilité imposées par la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Face aux critiques sur la complexité et le coût des exigences initiales, le paquet a introduit un report de deux ans pour les entreprises des vagues 2 et 3, permettant à ces sociétés de disposer de plus de temps pour se préparer à la mise en conformité. Ce report concerne principalement les grandes entreprises non cotées et les PME cotées, qui devront désormais publier leur premier rapport de durabilité respectivement en 2028 et 2029, au lieu de 2026 et 2027.

En parallèle, le paquet Omnibus a restreint le périmètre des entreprises assujetties en relevant les seuils d’application de la directive. Désormais, seules les entreprises de plus de 1 000 salariés et dépassant 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou 25 millions d’euros de total de bilan sont concernées, ce qui exclut une large part des sociétés initialement visées. Enfin, le texte prévoit une simplification des exigences de reporting : suspension temporaire de l’obligation d’audit externe pour certains cas, période de transition pour le reporting sur la chaîne de valeur, et mandat donné à l’EFRAG (Groupe consultatif européen sur l’information financière, en anglais European Financial Reporting Advisory Group), pour proposer une version allégée des normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) d’ici fin 2025.

 

Le devoir de vigilance lui aussi minoré

 

Le paquet Omnibus a également eu pour effet de reporter d’un an l’application de la CS3D (devoir de vigilance), d’assouplir ses seuils d’assujettissement et d’échelonner les obligations pour les grandes entreprises. Concernant la taxonomie verte, le paquet vise à simplifier les exigences de reporting, en réduisant le nombre de données à fournir et en allégeant les obligations pour les activités jugées non significatives, tout en maintenant les ambitions environnementales de l’UE.

De nombreux syndicats se sont exprimés pour dénoncer ce recul réglementaire. C’est le cas notamment de la CFDT dans un communiqué : « La volte-face de la Commission et sa proposition d’une harmonisation européenne par le bas augure d’un recul normatif sans précédent. Alors que la législation européenne devrait toujours se faire par le haut, le projet Omnibus se situe en deçà des principes directeurs de référence de l’ONU et de l’OCDE en matière de droits humains ».