[Interview Romaric Hatit] La DSI d’Allianz en ordre de bataille pour industrialiser l’IA et la Data

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Romaric Hatit est le directeur des systèmes d’information de l’assureur Allianz France, dont la data est un des piliers du nouveau plan stratégique. Grâce à sa propre transformation, la DSI collabore étroitement avec les data scientists et métiers pour industrialiser leurs développements data et IA.

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Romaric Hatit, directeur des systèmes d’information d’Allianz France

Quelle est la stratégie d’Allianz en matière de data et d’IA ?

La data a été mise au cœur de la stratégie d’Allianz, en tant que groupe et d’Allianz France en particulier. Dans notre plan stratégique à horizon 2025, publié fin 2020, les données apparaissent clairement parmi les axes majeurs de notre transformation. Cela englobe les usages, l’éthique et notre capacité à tirer le meilleur parti des données dont nous disposons.

En tant qu’assureur, les données accumulées dans le temps représentent une de nos principales ressources. Nous sommes donc très volontaristes dans cet usage de la donnée avec un axe fort sur sa valorisation et la multiplication des cas d’usage. Et cela porte autant sur le small data que le big data. L’intelligence artificielle donc, mais pas seulement.

Nous nous voulons volontaristes également sur l’acculturation de l’ensemble des collaborateurs, avec un volet sur le changement culturel. Aussi bien en termes de qualité de la data que de son usage, l’objectif est que tous les collaborateurs soient familiarisés et montent en compétences.

Quelle est la place de la DSI dans ce plan de transformation data ?

Son rôle est multiple. De manière assez traditionnelle, il s’agit de la mise à disposition des données dans des entrepôts centralisés et de l’outillage permettant aux utilisateurs d’effectuer les requêtes et analyses dont ils ont besoin. C’est le premier niveau, la base selon moi.

Mais pour sortir de la logique expérimentale, nous montons en puissance sur les solutions d’ingénierie des données au sein de notre DSI. La finalité est d’industrialiser les expérimentations proposées par les data scientists présents dans toute l’entreprise. Allianz a une véritable volonté d’industrialiser les cas d’usage identifiés, testés et expérimentés au niveau des métiers pour les intégrer pleinement au système d’information. C’est le deuxième niveau.

Le troisième est lié au changement d’organisation que nous vivons actuellement chez Allianz France. C’est la gouvernance des données qui, en lien très étroit avec le métier, est positionnée au sein de la DSI, à laquelle est aussi rattaché le chief data officer. J’ai la charge de la gouvernance, comme de la qualité et de l’animation de la montée en maturité de l’entreprise sur les sujets data.

Vous évoquiez des changements organisationnels. Quels sont-ils ?

Nous sommes engagés dans un mouvement de mutualisation de nos capacités informatiques au niveau du groupe, avec une logique de plateformisation très forte. Cela nous permettra de bénéficier d’effets d’échelle, y compris sur la data.

À l’avenir, la plateforme de données sera mondiale, même si les données restent réparties par pays pour des raisons réglementaires évidentes. À terme, plateformes et outils seront mutualisés entre les différentes structures composant Allianz.

Comment se traduira cette mutualisation ?

L’objet est de mettre à disposition, pour tous, les mêmes capacités d’intelligence artificielle, de reporting, de data visualisation, etc. À ce jour, chaque pays dispose plus ou moins de sa propre plateforme, même si des débuts de mutualisation ont été entrepris. Mais globalement, nous exploitons des solutions locales, en décisionnel comme en IA et big data.

Le passage à la nouvelle architecture commune suppose beaucoup de migrations de données, le remplacement d’outillages, des décommissionnements d’applications, etc. Cette mutualisation a déjà démarré et nous visons 2024 – 2025 pour sa finalisation.

Quels bénéfices doit apporter une telle refonte pour l’exploitation des données ?

C’est une logique de standardisation, qui n’est pas propre à la data. Le point de départ, c’est un modèle métier commun. Et cela se traduit par une déclinaison informatique dans le système d’information sur des plateformes communes, afin de supporter des processus homogènes et standardisés à l’échelle mondiale. L’ambition du groupe Allianz est d’être un assureur global et pas une somme de pays.

Sur la data, comment se répartissent les rôles entre la factory big data & IA, votre datalab interne, et la DSI ?

La factory n’est pas positionnée au sein de la DSI. Elle regroupe essentiellement des compétences autour de la datascience. Elle intervient comme centre de compétences pour l’ensemble des besoins métiers. Certains métiers cependant, et c’est vrai en particulier dans les directions techniques, disposent de la taille critique et de la maturité pour se doter de leurs propres équipes de data scientists. Les autres, qui ne sont pas en capacité de recréer des structures locales, font appel à ce centre de compétences global pour développer leurs usages du big data et IA.

Quelle est votre collaboration avec la factory ? La nouvelle organisation se traduira-t-elle par une redistribution des missions ?

Nous allons certainement renforcer le modèle. Nous avons la conviction que la datascience doit être très proche du métier. Notre volonté est donc de la garder étroitement liée au business. En revanche, dès qu’un cas d’usage a été identifié et travaillé par les équipes de data scientists, il revient ensuite à la DSI pour sa phase d’industrialisation.

En matière de lutte contre la fraude, par exemple, une phase d’expérimentation a été menée. Une fois le modèle établi, et pour être utilisé par tous les gestionnaires, il est passé par une phase de production et d’interconnexion avec notre informatique de gestion. Cette étape a été prise en charge par la DSI, qui assure également le suivi et le monitoring de ces nouveaux composants, applicatifs ou algorithmes.

La DSI s’inscrit dans une logique d’intégration, de packaging et de test à grande échelle. Elle n’intervient absolument pas sur l’algorithme lui-même. Sa mission est de le rendre exploitable en production et de façon industrielle.

Ce rôle de la DSI dans la mise en production est encore récent ?

Nous sommes montés en puissance au cours des trois dernières années. Et le mouvement de globalisation qui a été amorcé va encore renforcer ce rôle. Avec une plateforme commune et une IT plus ou moins mutualisée aussi, la logique d’industrialisation ira croissant.

Néanmoins, dès à présent, la DSI entretient un partenariat très étroit avec les équipes de data scientists et le ou les datalabs métiers. C’est un préalable pour passer à l’échelle dès que les cas d’usage sont mûrs, au risque sinon de demeurer dans une boucle d’expérimentations.

Et comment la DSI s’est-elle adaptée pour répondre à ces exigences d’industrialisation ?

L’organisation de la DSI a été transformée en une organisation extrêmement agile. Elle est structurée en tribus, parmi lesquelles une tribu data, dédiée exclusivement à ces usages. Elle industrialise à la fois les cas d’usage des data scientists, mais aussi les demandes plus classiques liées au décisionnel.

La tribu data a été créée très rapidement, et au départ essentiellement pour mettre à disposition les plateformes, permettre l’accès aux données et l’exploitation par les métiers. Puis progressivement, elle a élargi son panel de compétences pour répondre aux enjeux de l’industrialisation.

Par ailleurs, nous avons des chantiers importants et transverses de DevOps pour être le plus efficient possible dans la chaîne de delivery et de mise en production. Plus largement, la transformation profonde de la DSI lui permet de devenir un acteur plus proche des métiers et de leurs préoccupations. Et l’agilité à l’échelle a aidé, je pense, à créer cette forte proximité, qui constitue un facilitateur sur les usages de la data et du digital.

Encore peu de DSI semblent impliquées aujourd’hui dans la transformation data. Comment vous l’expliquez ?

J’ai le sentiment que nous vivons avec la data la même chose qu’avec les débuts du digital. Pendant longtemps, on a créé des postes de chief digital officer en dehors des DSI. Cela me semble nécessaire, même si une forme de convergence se met en place à présent.

On conserve ainsi des usages et des fonctions au plus proche du métier, où le besoin émerge. Et on le constate par exemple en ce qui concerne l’expérience utilisateur, dont la définition ne relève pas in fine de la DSI, mais plutôt du marketing.

Pour la data, c’est à la fois une question d’organisation et de maturité des DSI. Je ne suis donc pas surpris que pour ces sujets, le mouvement se soit amorcé hors de la DSI. On a tendance à la considérer comme une usine. Avec une logique start-up à côté, il est possible d’explorer plus facilement. En revanche, lorsqu’il s’agit d’entrer dans une démarche industrielle et d’intégration aux processus de gestion, alors la DSI retrouve sa place.

Je considère donc qu’il est pleinement de la responsabilité des DSI aujourd’hui de se préoccuper de la data. C’est le cas chez Allianz, où la gouvernance de la donnée est ainsi portée par la DSI. L’industrialisation n’est possible qu’à condition de disposer d’une gouvernance transverse permettant de structurer les logiques d’usage, de qualité et de mise à disposition des données. Elle anime, à l’échelle de l’ensemble de l’organisation, la montée en maturité et la diffusion large et massive de la culture data.