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Romuald Ribault (Alliance Green IT) : « Nous avons les moyens de faire émerger une filière d’excellence Green IT en France »

L’Alliance Green IT (Agit) vient de publier la troisième édition de son baromètre des pratiques Green IT des entreprises en France. Alliancy en profite pour s’entretenir avec Romuald Ribault, vice-président de l’Alliance, afin qu’il en commente les résultats et donne ses conseils en matière de transformation écologique en entreprise. 

Romuald Ribault, vice-président de l’Alliance Green IT.

Romuald Ribault, vice-président de l’Alliance Green IT.

Alliancy. Lorsque j’ai consulté votre étude, ma première impression était que les entreprises n’y sont pas encore …

Romuald Ribault. Oui, c’est un des principaux messages qui ressort de ce sondage. Au sein de notre questionnaire, nous avons demandé si les entreprises ont conscience de la volumétrie de données qu’elles possèdent. Et nous avons perdu la moitié de nos répondants sur cette question. 

Mais il faut tout de même souligner quelques évolutions. De manière générale dans toutes les études sur les pratiques responsables des entreprises, on sent un point d’inflexion où la réflexion et la profession de foi ont laissé place à l’action. Aujourd’hui les entreprises ont compris qu’il y avait des démarches à faire. 

Du côté des très grands comptes, il y a des ressources mais ils ont tendance à oublier que le Green IT est une démarche fastidieuse et plus efficace quand elle est axée sur des points de détail. Pour obtenir des résultats immédiats, il faut donc investir et désigner une personne qui s’occupe des questions responsables. 

Il y aussi les organisations qui font sans savoir. En matière de data center par exemple, 20% des acteurs du domaine suivent le code de conduite régie par l’union européenne sur le sujet et souvent, ces règles étaient déjà naturellement appliquées pour piloter l’efficacité énergétique des data center. 

Pour mesurer le niveau de maturité autour de ces enjeux, l’Agit a sondé 627 organisations autour de 8 grandes thématiques : les infrastructures informatiques, les datacenters, l’impression, la fin de vie, les achats, la gouvernance, les postes de travail et les applications.

Pour découvrir l’étude en intégralité, cliquez ici

Êtes-vous plutôt optimiste quant à la maturité des entreprises sur les enjeux environnementaux ?

Romuald Ribault. Je n’ai jamais été aussi optimiste car il y a plusieurs années ces enjeux étaient simplement abordés par le petit bout de la lorgnette et nous avions du mal à nous rendre audibles sur le volet environnemental de l’IT. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et il n’y a plus besoin de démontrer l’intérêt économique lié au développement durable. 

L’économie et l’environnement ne s’opposent pas et je ne pense pas que c’est être « Amish » que de porter ces valeurs dans le monde de l’entreprise. C’est justement en les conciliant qu’on peut se rendre compte des leviers à actionner. Par exemple, les mesures anti-gaspillage permettent aussi d’optimiser ses ressources et faire des économies.

Notre mission maintenant est de sensibiliser aux bonnes pratiques et de rappeler que cette transformation est fastidieuse : elle nécessite des compétences expertes et des investissements. Nous travaillons par exemple en ce moment sur une manière de rendre le questionnaire plus pratico-pratique en proposant des recommandations pour les personnes intéressées. Il faut pouvoir guider les entreprises sur les étapes d’après. 

C’est une mission primordiale car nous avons les moyens de faire émerger une filière d’excellence Green IT en France. La France possède une très bonne maturité sur ces enjeux et son niveau de recherche est reconnu dans toute l’Europe. Nous pourrions être précurseurs, à condition d’y mettre les moyens et de renforcer les liens entre ingénieurs et entrepreneurs. 

Les start-up permettent aussi de passer à l’action. Je fais partie de la commission entrepreneuriale du Medef depuis 12 ans et j’ai remarqué à quel point la démarche Green IT pouvait être génératrice de valeur ajoutée, et donc d’entrepreneuriat. Ces start-up ont d’ailleurs le pouvoir de changer les pratiques directement dans les grands groupes. 

Le vrai progrès, c’est la prise de conscience des entreprises et leur volonté d’action. Il faut travailler sur comment la raison d’être peut-elle devenir un driver pour l’écologie. Car l’innovation n’est pas que technologique, elle est aussi comportementale. La technologie est un moyen qui n’est pas à lui seul la solution pour réussir sa transformation écologique.

Souhaitez-vous revenir sur des thématiques précises du baromètre ?

Romuald Ribault. Sur la question de la gestion des déchets d’équipements électriques et électroniques, les chiffres sont plutôt décevants et il y a énormément de progrès à faire sur la connaissance des droits et devoirs de chacun. Tout le monde est responsable sur la problématique du recyclage et pourtant peu d’entreprises connaissent la filière agréée. C’est bien dommage car aujourd’hui 1 déchet électronique sur 2 lui échappe, malgré des solutions simples et gratuites comme www.e-dechet.com.

Sur les infrastructures informatiques, le plus important est d’avoir une bonne vision de sa puissance capacitaire et de supprimer les coûts énergétiques inutiles. Mais force est de constater que les entreprises ont plutôt bien progressé sur le sujet : le travail de désinstallation des infrastructures inutiles a doublé depuis trois ans.

Sur la question de l’hébergement des données, j’aimerais rappeler qu’il existe un indicateur d’efficacité énergétique peu connu (indicateur PUE : Power Usage Effectiveneness). Il permet d’avoir un ratio entre la consommation énergétique totale et celle de l’IT dans les datacenters. 68 % des entreprises ne le connaissent pas et pourtant c’est très utile pour assurer le suivi de sa consommation en fonction des caractéristiques de son organisation. 

Sur le passage au cloud, est-ce qu’on doit conseiller aux PME de le faire ? Je dirais que c’est intéressant uniquement si cela concerne l’acquisition de nouveau matériel. En effet, l’impact environnemental du renouvellement d’équipement est généralement trop coûteux et il faut toujours essayer d’allonger le plus possible la durée de vie de son matériel informatique. Mais le passage au cloud reste quand même important pour réduire son empreinte. Il faut simplement bien choisir son hébergeur parmi ceux qui ont mis en place des moyens de compenser leur coût énergétique. 

Avez- vous un conseil à donner aux entreprises pour passer à l’action ?

Romuald Ribault. Le seul conseil que je donnerais c’est de désigner un responsable identifié pour faire bouger les pratiques. La problématique du numérique responsable fait appel à de nombreuses compétences difficiles à centraliser dans une seule tête. 

Quand j’étais patron de PME, je n’avais pas le temps de prendre du temps pour mesurer mon impact. Un chef d’entreprise a souvent la tête dans le guidon et doit s’occuper de beaucoup de contraintes réglementaires. C’est pourquoi désigner quelqu’un est une bonne solution. 

Si le numérique est un secteur à privilégier en terme d’attitude responsable, il est urgent de créer un vrai métier de responsable du Green IT. C’est mieux si ce métier fait partie du Codir mais le principal est d’investir et prendre du temps pour se poser les bonnes questions. En matière de transformation écologique, il n’y a pas de dogme et beaucoup de pragmatisme. Il faut surtout pouvoir mesurer ses différents impacts et se concentrer sur les plus gros. Puis, même si c’est chronophage, aller dans le détail pour déterminer les externalités négatives et positives d’une unité fonctionnelle précise. 

La transformation responsable est efficace, saine et profitable. Au total, 13% des entreprises qui ont engagé cette démarche ces dernières années ont augmenté leur rentabilité. La raison d’être et la RSE rendent concrète la responsabilité de réduction d’impact et le fait de mettre en avant des valeurs et des engagements permet d’attirer plus de talents.

Parmi les 17 Objectifs de Développement Durable de l’ONU, une bonne part des thématiques abordées sont concernées par la responsabilité numérique. Est-ce soutenable de continuer nos usages électroniques en sachant ce qui se passe à l’autre bout du monde ? Il ne faut pas se voiler la face, si le numérique et l’électronique permettent de nombreux progrès et contribuent à des externalités positives, ils ont aussi des impacts désastreux sur l’environnement et l’humain. Il faut donc travailler sur la prise de conscience vis à vis de la matérialité du numérique et adapter nos usages en conséquence.