[EXCLUSIF] Samir Amellal (La Redoute) : « Le stade ultime consiste à diffuser la Data dans l’ensemble de l’entreprise » 

Le chief data officer (CDO) de La Redoute co-pilote une mission sur l’intelligence artificielle dans les grandes entreprises pour le gouvernement, avec l’objectif de faire émerger des solutions communes sur la Data et l’IA. Samir Amellal conduit par ailleurs l’industrialisation de tels projets à La Redoute, grâce à une décentralisation.

Samir Amellal, CDO de la Redoute.

Samir Amellal, CDO de la Redoute.

Alliancy. En tant que co-pilote du chantier « Intelligence Artificielle » de la Mission numérique des grands groupes, quels constats faites-vous ?

Samir Amellal. Nous sommes très souvent confrontés aux mêmes problèmes, de dette technique, fonctionnels et culturels, notamment. Le but de cette mission est donc de mettre nos forces en commun afin de régler les entraves et les problèmes auxquels ces entreprises historiques sont confrontées. Au-delà des bonnes pratiques, l’idée est de partager des actions pour nous permettre de rattraper un retard en matière de Data et d’IA sur des géants du numérique.

Ces sujets sont-ils bien pris en compte au sommet des entreprises et de l’Etat ?

Samir Amellal. Ce sont des préoccupations pour le gouvernement et le ministère de l’Economie, notamment sur les sujets de cloud souverain et de paiements. Mais cette mission ne s’inscrit pas dans une volonté de protectionnisme. C’est plutôt du patriotisme. L’objectif est de compter en Europe et de ne pas être laissés en-dehors de cette révolution Data et IA.

Il est vrai néanmoins que nous n’avons pas toujours les solutions pour cracker les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Il y a aussi parfois une forme de naïveté dans nos discussions, à propos par exemple du cloud souverain. Malgré tout, les dirigeants politiques comprennent très vite nos enjeux au sein des entreprises et les raisons pour lesquelles nous confions encore très souvent nos données à Google ou Amazon.

Quels doivent être les résultats de cette mission ?

Samir Amellal. Le but n’est pas de produire un énième rapport. Il s’agit avant tout de mettre en commun notre énergie et nos compétences autour de problématiques partagées et en fonction de leur urgence. Nous avons ainsi entrepris différentes actions très concrètes.

Pour l’IA, ces actions portent par exemple sur les partenariats publics-privés et la recherche, et la manière dont il est possible de les faciliter. En ce qui concerne le RGPD, nous réfléchissons à des frameworks qui nous permettraient de partager les données de manière sécurisée et conforme, mais aussi de réagir face à des initiatives externes comme la fin des cookies tiers chez Google. In fine, nous examinons comment nous pouvons nous réapproprier nos propres données et ne plus être trop dépendants de systèmes qui nous entravent, y compris en proposant des alternatives techniques ou fonctionnelles.   

Qu’attendez-vous de l’Etat ?

Samir Amellal. Nous attendons, notamment lorsque nous proposons des frameworks pour le RGPD ou des dispositifs autour de la valorisation des données, que l’Etat prenne le temps d’analyser ces propositions. Le cas échéant, il pourra adouber la démarche et inscrire ces propositions dans un calendrier réglementaire.

Sur des sujets très spécifiques comme le cloud souverain, il est possible que nous devions demander des subventions sur certaines verticales considérées comme stratégiques pour la France. A La Redoute, plusieurs To de données sont chez Google. Les migrer dans un cloud souverain aurait un coût, même s’il était de très bonne qualité et comparable à ce qu’offre Google. Je ne peux pas dégrader ma compétitivité en termes de services en passant sur des cloud moins performants. Et cette position est comprise.

Si la sensibilité aux sujets Data et IA est une réalité, quel palier reste néanmoins à franchir pour progresser sur l’industrialisation ?

Samir Amellal. En matière de compétences, nous sommes très bien lotis en France. Selon moi, c’est surtout un enjeu de culture et de gouvernance. Quelques années auparavant, il fallait faire la preuve auprès de comités de direction un peu circonspects que le sujet était important. Aujourd’hui, cette preuve est faite. Si beaucoup de PoC ont terminé à la poubelle, ils ont néanmoins permis de démontrer qu’on pouvait en extraire de la valeur.

J’ai passé deux ans à La Redoute à faire beaucoup d’industrialisation, mais le stade ultime consiste à diffuser la Data dans l’ensemble de l’entreprise. L’ambition est de mettre en place une gouvernance centralisée et cohérente, mais dans le même temps de diffuser cette pratique dans tous les départements, filiales et pays. C’est d’ailleurs ainsi qu’opèrent les pure players, qui ne centralisent pas tout. Le product owner dispose de sa propre équipe Data. Il peut expérimenter des IA à l’intérieur de son produit, quel qu’il soit. C’est cette diffusion que nous nous efforçons de mener à La Redoute, comme dans d’autres entreprises. Cela en reste cependant aux balbutiements.

La Redoute se présente comme une entreprise Data Centric. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Samir Amellal. Nous prenons beaucoup de décisions sur la base des données. Sur la partie BI, toutes les directions et les filiales utilisent la Data pour mesurer et piloter leur activité. Peu de décisions ne sont pas adossées à du rationnel.

Nous avons commencé cette démarche de décentralisation en embauchant des data analystes dans l’ensemble des directions, marketing, logistique, RH, etc. Tout est mesuré, en suivant une gouvernance, c’est-à-dire des règles et bonnes pratiques.

De plus en plus, des équipes autres que la mienne intègrent également des data scientists. Au total, 40 personnes environ font de la Data hors de ma direction. Nous sommes par ailleurs en train de nommer des patrons de la Data dans l’ensemble des filiales et directions.

De quelles compétences disposez-vous à la direction Data ?

Samir Amellal. Cette direction totalement transverse et rattachée à la présidence compte un peu moins de trente personnes, réparties sur trois équipes. Une équipe projet déploie les nouveaux projets transverses de l’entreprise. Une direction BI gère le décisionnel et le reporting. Nous avons enfin une direction d’exploitation, l’Ops. Nous ne dépendons pas systématiquement de l’IT et mettons nous-mêmes en production nos dispositifs Data, qu’il faut aussi maintenir et monitorer.

Comment opérez-vous avec la DSI ?

Samir Amellal. Nous récupérons beaucoup de données de la DSI. 60 % de nos données environ proviennent de l’IT et sont hébergées sur un cloud Google, et dans une moindre mesure Azure. Nous les intégrons et les exploitons selon une logique ETL dans un cloud exploité par la Direction Data. D’autres données proviennent de partenaires externes, ou de l’open data. Nous connectons toutes ces données pour déployer par exemple du reporting, de l’IA ou de la Data Science. Majoritairement, nous mettons en production dans Google, qui présente l’avantage d’être très résilient. Nos DataOps en assurent le monitoring. Pour les dispositifs très critiques, la maintenance repart l’IT, qui peut effectuer de l’Ops de très haute disponibilité. C’est le cas lorsqu’on a besoin d’un niveau de SLA proche de 100% et que l’impact sur les ventes peut être immédiat. C’est alors l’IT qui reprend la main grâce à des technologies de conteneurisation Docker et Kubernetes.  Lors de mon arrivée à La Redoute, nous nous sommes par ailleurs attelés à homogénéiser nos sources de données, à créer des contrats d’interface avec l’IT. Il a fallu écrire toutes les règles et s’affranchir des vielles interfaces.

Comment qualifieriez-vous le niveau de maturité de La Redoute ?

Samir Amellal. Si je me compare aux entreprises historiques, créées avant 2000, nous nous positionnons bien. Nous disposons d’une équipe Data de près de 70 personnes à l’échelle d’une entreprise qui emploie 2 000 salariés. Nos dispositifs sont très mâtures. Nous sommes sortis du concept de proof of value pour véritablement industrialiser avec du FinOps et du DataOps. Je n’ai pas le sentiment que nous soyons en retard. 

Bien sûr, si je nous compare à des pure players comme Zalando, Cdiscount ou Deezer, oui nous avons encore des progrès à faire. L’approche Data en tant que produit, nous n’y sommes pas encore. Notre solution de Data Quality ou notre CDP est uniquement utilisée en interne. Nous discutons avec le Groupe Galeries Lafayette pour mutualiser nos produits internes. Mais nous n’en sommes pas encore à les proposer au marché comme le font Amazon ou d’autres entreprises. Cela fait partie de nos objectifs.