À Vivatech 2025, les représentants de Lumeris, Tencent, Doctolib et Philips ont brossé un tableau lucide de l’intelligence artificielle en santé. Prometteuse sur le papier, elle reste confrontée à des défis majeurs : accessibilité inégalitaire, surcharge des soignants, méfiance persistante… et une IA agentique encore sous haute surveillance.
L’IA pourrait guérir le système de santé… si le système de santé acceptait de lui faire confiance. Dans les discours, l’IA promet d’amener la médecine à tous. Mais dans les faits, l’accès aux soins reste le talon d’Achille mondial. “100 millions d’Américains n’ont pas de médecin traitant”, rappelle Jean-Claude Sagbini, Directeur général de la technologie et président des services technologiques de Lumeris, une société américaine d’innovation de prestation de soins responsables. Pour combler ce vide, son agent IA « Tom » dialogue avec les patients, coordonne les rappels, gère le suivi des maladies chroniques. Cependant, l’efficacité de cette approche repose sur l’environnement, à la fois humain et technologique, dans lequel elle s’inscrit. Du côté de l’entreprise chinoise de services internet, Tencent, leur IA se déploie déjà auprès de millions de patients via la plateforme WeChat. Et, selon Alex Ng, son président, ce n’est pas la technologie qui bloque : “C’est l’absence d’infrastructures qui freine tout. Si vous ne remboursez pas les soins en ligne, vous ne faites pas de médecine.” De la couverture d’assurance au partage sécurisé des données, l’IA ne peut rien sans les fondations du système de santé.
La confiance, un indicateur vital
L’efficacité des algorithmes ne suffit pas. Encore faut-il que patients et médecins les acceptent. Une étude menée par Philips montre que seuls 59 % des patients font confiance à l’IA pour les soins, contre 79 % chez les médecins. Et ce chiffre grimpe à 86 % quand un professionnel reste impliqué. “La confiance ne se décrète pas, elle se construit dans l’usage, dans la régularité, dans l’expérience”, Clara Leonard, directeur médical produit chez Doctolib. Les intervenants s’accordent sur un point : la confiance ne peut émerger sans une gouvernance claire. En ce sens, Jean-Claude Sagbini de Lumeris propose une délégation progressive des tâches à l’IA. « Comme on le ferait avec un nouveau membre de l’équipe soignante. Vous lui confiez d’abord les rappels de prévention, puis peut-être la gestion de l’hypertension… mais c’est toujours le médecin qui décide”, expose-t-il. Ce modèle modulaire laisse à chaque organisation de santé la responsabilité de bâtir ses propres règles, sous le contrôle d’instances internes. De son côté, Alex Ng distingue deux couches de gouvernance : celle des IA elles-mêmes, déjà encadrées par des autorités de contrôle pharmaceutique – comme la FDA (Food and drug administration) ou l’EMA (Agence européenne des médicaments) – et celle, plus délicate, de leur place dans le système de santé. “La résistance vient moins de la technologie que du système. Il faut que la société décide ce qu’elle veut déléguer à l’IA.”
L’IA parle, les soignants s’essoufflent
Malgré des résultats encore timides, l’IA pourrait aussi jouer un rôle crucial dans la réduction de la charge mentale des soignants. “Malgré les outils numériques, un tiers des professionnels passe plus de temps qu’il y a cinq ans sur les tâches administratives”, évoque Shez Partovi. Pour y remédier, Doctolib a lancé des assistants vocaux, des filtres automatiques d’appels, ou des outils de documentation instantanée. Des briques utiles, mais encore éloignées de la promesse initiale : redonner du temps médical au temps humain. Et si la solution passait par la voix ? Pour Jean-Claude Sagbini, c’est le canal qui crée la connexion la plus naturelle entre humain et machine. “La voix permet d’instaurer une relation, de personnaliser l’interaction. Et les patients eux-mêmes développent des préférences pour certaines « voix » d’IA”. Cette tendance se conjugue à une autre : le retour en grâce des wearables. Longtemps sous-exploités, ces objets connectés trouvent un second souffle grâce à l’IA agentique. Là où les données de suivi santé restaient lettre morte, des agents peuvent désormais les analyser en continu, détecter les signaux faibles et alerter en cas de besoin.
Une technologie à administrer avec discernement
Pour autant, certains gains sont bien là. La maturité des usages s’observe dans l’aide au diagnostic, l’amélioration des parcours, et la réduction des erreurs. “Les médecins deviennent des archéologues de données, alors que les connaissances médicales doublent tous les cinq ans.”, évoque Clara Leonard. L’IA aide à trier, contextualiser, prioriser l’information au moment clé de la décision clinique. En radiologie, les résultats sont encore plus spectaculaires. Chez Philips, des solutions d’analyse automatique des scanners permettent de détecter jusqu’à 29 % de lésions pulmonaires qui échapperaient à l’œil humain. “Ce ne sont plus des prototypes, ce sont des outils cliniques validés, déployés”, insiste Partovi. De la précision à la rapidité, le bénéfice se mesure en vies. L’IA ne guérira pas le système si ce dernier refuse de lui faire confiance, ou de se réinventer à son contact. Comme un médicament trop dosé ou trop dilué, elle n’aura d’effet que si elle est administrée avec discernement, au bon rythme, et au bon endroit. Et, pour l’instant, la prescription reste incomplète.
À quoi ressemblera le système de santé en 2035 ?
Imaginer l’avenir de la santé dans le prisme de l’IA.
Jean-Claude Sagbini, Directeur général de la technologie et président des services technologiques de Lumeris, pose l’enjeu de l’équité : « Si je réussis ce que je fais, on offrira des soins primaires à chacun aux bons niveaux, grâce à l’Agentic AI. »
Alex Ng, président de Tencent Healthcare, mise sur un changement de paradigme : « Si on réussit à diagnostiquer bien plus tôt, on pourra rediriger l’effort vers la prévention plutôt que sur les soins curatifs de fin de vie. »
Clara Leonard, directeur médical produit chez Doctolib, évoque une médecine de plus en plus individualisée : « L’avenir sera celui d’une médecine personnalisée non seulement à l’état de santé, mais aussi aux préférences, au niveau de littératie médicale et au canal de communication préféré de chaque patient. »
Shavez Partovi, directeur général du numérique chez Philips, complète cette vision : « La thérapie sera elle aussi personnalisée, des vaccins aux médicaments, c’est l’ensemble du parcours qui sera ajusté à chacun. »
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