Serge Blanco raffute la donnée de stock pour éviter les ruptures

Cet article a été publié originellement sur mydatacompany.fr

Les données, et une en particulier le stock, sont essentielles pour l’enseigne de mode Serge Blanco afin de réconcilier et même accroître les synergies entre boutiques et e-commerce. Retour sur une stratégie phygitale.

Si une donnée préoccupe particulièrement les acteurs du retail, c’est sans conteste celle relative aux stocks. Et leur première crainte ? Manquer une vente. A cette fin, la donnée de stock est fondamentale. Déterminer le nombre de produits disponibles, a priori, cela devrait aller de soi. Dans les faits, c’est plus compliqué. Bien plus.

Et la coexistence d’une boutique en ligne et de magasins (franchisés et/ou en propre) est une source accrue de complexité en matière de gestion des stocks. Qui a dit que l’omnicanalité était chose simple ?

Transformation d'une enseigne vers l'omnicanal

Car bien souvent, à chaque canal son stock dédié, et entre les deux canaux, une concurrence, réelle ou perçue. Et le consommateur là-dedans ? Il n’a qu’à faire avec ? Pas vraiment. Dans la boutique d’une enseigne ou sur son site e-commerce, ce dernier s’attend à disposer des mêmes produits et à pouvoir acheter indifféremment sur l’un ou l’autre des canaux de distribution.

Le ship from store clé de voûte de l’omnicanalité

A cette fin, différentes marques ont opté pour la réconciliation du Web et du physique, et donc également des stocks au travers de leur unification. A la clé, des options d’achat comme le « click & collect », un classique aujourd’hui.

D’autres scénarios se développent depuis : « ship from store », « ship to store », « reserve & collect », « order & collect », etc. Et cette expérience client requiert généralement une vision unique des stocks et la possibilité, en magasin, d’accéder aux produits des entrepôts, auparavant réservés aux ventes sur Internet.

L’enseigne de mode Serge Blanco, 75 boutiques dont 60% de franchisés, a décidé, comme d’autres, de casser cette logique historique du retail. Cette proportion de franchisés complique d’ailleurs le déploiement de solutions numériques. Mais moins d’agilité, a priori, ne signifie pas nécessairement d’en être totalement dénué.

Ibrahim Rahni, le responsable du digital de l'enseigne Serge Blanco

En 2016, assez récemment donc, Serge Blanco s’attèle à sa transformation omnicanal et l’accompagne d’investissements média pour toucher les consommateurs. « Au travers de tous ces investissements, nous avons constaté que nous n’étions pas toujours capables de concilier stock et intention d’achat » explique Ibrahim Rahni, le responsable du digital de la marque.

La conséquence : des investissements parfois peu efficaces, voire contre-productifs. « Il n’y a rien de plus décevant pour un client que de vouloir acheter un produit vu sur les réseaux sociaux, de se rendre en magasin et ne pas le trouver, alors qu’il est disponible en entrepôt ou dans une autre boutique. »

Ce constat fut le point de départ de la réflexion au sein de Serge Blanco, désireux d’innover, et rapidement. « Nous sommes dans une logique de test & learn ». Cette démarche s’est appliquée en matière d’omnicanalité, dont la « clé de voûte est l’unification des stocks. »

Dans ce cadre, l’enseigne a donc ainsi mis en place le ship from store (livraison depuis le magasin) et équipé les vendeurs de tablettes – dans les succursales, puis auprès des franchisés. L’unification des stocks d’abord (hors franchisés, même si la volonté est d’unifier à terme tous les stocks), repose au départ sur des fichiers plats injectés sur le site web. Cette étape, menée avec un partenaire, OneStock, pour assurer l’orchestration des commandes, a permis de fusionner les stocks entrepôt et magasins.

Adieu rupture de score et nouvelle expérience client

« Il est dorénavant quasiment impossible d’avoir une rupture, du moins une grande partie de la saison », contre 30 à 40% de produits en rupture auparavant. Le taux de retour fin de saison des magasins s’est lui aussi largement amélioré, favorisant l’appropriation du ship from store en les aidant à écouler leurs stocks

A la clé donc, une augmentation des performances, mais qui a nécessité une évolution des process, en douceur cependant, d’autant qu’à ce jour les boutiques ne bénéficient pas d’incitations financières (le Web encaisse la transaction, contrairement à l’e-réservation). Des réflexions sont cependant en cours sur ce point.

30 à 50% des ventes grâce au Web pour certaines boutiques

« Il s’agissait d’imaginer des process qui soient les plus simples possibles en magasin et d’éviter de métamorphoser leur quotidien. On est dans un réseau de collaborateurs qui commencent à se faire au digital, à comprendre que leur métier change et que le magasin d’hier n’est plus du tout celui d’aujourd’hui et encore moins de demain » souligne Ibrahim Rahni.

Transformer les boutiques en « mini entrepôts pourvoyeurs de business » demande de la pédagogie et de l’accompagnement. Mais suppose donc aussi que les magasins traitent et expédient des commandes (prise en charge par un prestataire transporteur).

L’opération s’est cependant avérée gagnante, certains d’entre eux réalisant de 30 à 50% de leurs ventes grâce au Web. De manière opérationnelle, le client (dont le panier moyen est de 150€) effectue sa commande sur Internet. Le produit n’est pas en entrepôt ? Il lui est mis à disposition le stock des boutiques. Un algorithme affecte la commande à un magasin, qui prépare et expédie pour une livraison le lendemain, de manière totalement transparente pour l’acheteur.

Le ship from store pourrait, sous cette forme, donner le sentiment de bénéficier avant tout à l’e-commerce et de « piller le stock des boutiques », sans commissionnement en contrepartie. Serge Blanco s’est donc attelé dans un second temps à son pendant en magasin au travers de « l’order in store », c’est-à-dire la possibilité de commander en point de vente en accédant au stock unifié.

Emmanuel Frinzine, chef de projet marketing digital pour Serge Blanco

Pour cela, les vendeurs ont été équipés de tablettes. Pour Emmanuel Frinzine, chef de projet marketing digital, cet outil permet « une extension de gamme complète et de pallier la rupture en magasin. »

Mais la finalité est aussi de proposer une nouvelle expérience client permettant le fameux « parcours d’achat sans couture. » Or, l’expert l’assure, « ce genre d’outil apporte du digital en boutique sans dégrader la dimension humaine et la relation avec la clientèle. »

Tablette vendeur au sein des boutiques Serge Blanco permettant l'order in store

Techniquement, la solution est simple. Elle s’articule autour d’un iPod équipé d’une application iOS. L’appareil est combiné à un terminal de paiement, évitant au vendeur de devoir repasser à la caisse lors de la transaction.

Transformation du magasin et du métier de vendeur

Et le retour sur investissement est au rendez-vous pour cette application développée en 2017 avec 7 à 10% de CA additionnel. Si ce n’était pas l’objectif premier, cette caisse mobile basée a également permis de réduire l’attente en caisse. Un bonus appréciable en saison haute comme les soldes. Cette relation directe avec le client offre en outre la possibilité de développer le volet clienteling.

« Nous réalisons beaucoup de collecte de données, de la donnée fiable, grâce à cette relation directe avec le client. Nous pouvons ainsi générer des interactions via notamment des listes de souhaits et pousser des informations par mail, en suivi de commande ou quelques semaines après pour par exemple de la recommandation produit » détaille Emmanuel Frinzine.

La première étape a donc consisté à déployer la tablette sur le réseau de succursales avant de s’atteler à l’équipement des franchisés dans une optique d’harmonisation de l’expérience cliente. Ces gérants acquittent un abonnement mensuel en échange d’une disponibilité des stocks en propre de Serge Blanco et de la livraison gratuite pour leurs clients.

« Notre relation avec les magasins a changé de manière globale »

Ibrahim rahni, Serge blanco

A noter qu’ils bénéficieront aussi prochainement de l’e-réservation et du click&clollect, dont ils capteront le CA – contre une rétrocession mensuelle dans le cas de l’order in store via la tablette. Le ship from store avec les franchisés est en cours de développement. Cette étape passe là aussi par une logiquement d’accompagnement, avec quelques paradoxes.

« Nous observons une petite résistance de la part de nos partenaires. Une volonté d’être accompagnés mais doublée d’une résistance pour qu’on les accompagne. C’est normal » témoigne Ibrahim Rahni, qui se félicite néanmoins de disposer « d’un petit vivier de franchisés pilotes qui nous permettra de faire la démonstration de l’efficacité » de ces solutions.

« L’intérêt du stock unifié et du ship from store est de déverrouiller énormément de projets, de frictions et de créativité, notamment avec des marketplaces » se réjouit le responsable du digital. A condition toutefois au préalable de convaincre, et notamment les vendeurs et les responsables de magasins, impactés par ce changement de modèle.

« Notre relation avec les magasins a changé de manière globale (…) Ce qu’il a fallu faire au préalable, c’est accompagner la réflexion autour du changement du métier du vendeur (…) C’est un nouveau métier. Contribuer à la performance de la marque au global, cela fait partie du quotidien. Le stock en magasin est vendu à un client en France. On se doit de satisfaire ce client. »

Si les vendeurs ne perçoivent pas aujourd’hui de commission sur les ventes faites depuis Internet, cela pourrait changer à l’avenir. Commissionnement donc ou rétrocession de l’intégralité du chiffre d’affaires attribué au e-commerce actuellement. La tablette fait pour l’heure office de « compensation » en leur permettant de faire du business sur un stock dont la boutique ne dispose pas