SNCF parie sur le « Future of Work » avec un poste dédié

A la direction numérique de SNCF, Rémy Pruniaux est chargé du “Future of Work”. Un poste encore rare qui incarne la volonté de l’entreprise d’anticiper certaines lames de fond : organisation hybride, automatisation, évolutions du management…

Cet article est extrait du guide Alliancy Insights à télécharger « Sens du travail & expérience collaborateurs : Les outils de mesure des DSI qui passent à l’action ».

Rémy Pruniaux, Responsable Future of Work à la SNCF

Rémy Pruniaux, Responsable Future of Work à la SNCF

Rémy, vous êtes en charge du « Future of Work » : c’est une fonction que l’on ne croise pas souvent !

A vrai dire, je suis allé la chercher… J’ai commencé par exercer dans les ressources humaines, puis dans le monde du conseil. Ensuite, j’ai rejoint le cabinet de conseil interne du groupe SNCF. Là, je me suis retrouvé à la croisée des chemins entre RH, conseil et transformation numérique ! J’ai travaillé en innovation ouverte et le futur de travail prenait de plus en plus de place dans les sujets qui arrivaient sur la table.

Aujourd’hui, je dirige un programme de prospective au sein de l’équipe stratégie. Tout était là avant la pandémie. Les signaux faibles sont devenus visibles. Nous-mêmes avions lancé, pile une semaine avant le premier confinement, une task-force spéciale « Digital Workplace ».

Pour aller plus loin :  Retrouvez son intervention lors de notre émission sur notre chaine YouTube

Deux ans plus tard, quelles convictions vous êtes-vous forgées ?

D’abord, il paraît évident qu’il n’y aura pas de « techno-solutionnisme » : les outils et la technologie aident et soulagent, mais ne remplacent pas. Ensuite, avec le « Digital Workplace » (l’ubiquité, le bureau virtuel, n’importe où, n’importe quand) on voit remonter des questions d’organisation du travail qui confinent à la philosophie. Par exemple, on a fait du télétravail une question d’espace, alors que c’est avant tout une question de temps.

Je rappelle que nous composons avec trois unités : espace, temps, action. Pour l’espace, c’est relativement facile, c’est le plus visible, avec toutes ces interrogations sur la place du bureau, du domicile et même des tiers lieux. Si le travail n’est plus rattaché au bureau, si ce n’est plus un lieu, le principal risque est celui du déracinement.

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Pour ce qui est de l’action, je pense notamment à la prise de décisions. On a vu certains décisions très brutales (licenciements aux Etats-Unis par exemple) être annoncées en visio. A quel type d’espace faut-il relier chaque type d’action ? C’est une vraie question, qui pose en creux celles de la décentralisation du pouvoir et de la décision et de l’autonomisation des managers.

Enfin, le temps… Je crois vraiment que cette unité-là est la plus bousculée par le télétravail. On n’a pas compris immédiatement quelle serait la fatigue des visios, l’enchaînement des réunions : la puissance de l’asynchrone sur le synchrone.

Il est important de retrouver un temps personnel, pas celui des horaires de bureau : là encore, c’est une question d’autonomie et de flexibilité.

Dans le Futur du Travail, il y aura du temps pour une forme de « rêverie », c’est-à-dire ce moment suspendu, de temps moins productif – du moins en apparence. Celui que les machines n’auront pas. Et celui qui permet de flâner, de tisser du lien social. Ce temps de pause nécessaire aux bonnes idées, se ressourcer, se mettre en mouvement.

Ces évolutions s’accordent-elles avec le cadre collectif d’une entreprise ?

Avec le télétravail, on a vu le risque de fragmentation. C’est une opportunité, mais la situation présente aussi des risques (perte de cohésion, diminution des moments passés ensemble…). Comment créer du lien dans des univers de plus en plus personnalisés – et bientôt virtuels ? Comment être ensemble pour faire ? C’est une vraie question, qui repose sur plusieurs directions de l’entreprise, mais aussi sur les managers. La relation collaborateur / manager, autour de la recherche de sens, s’appuie sur ces trois unités espace-temps-action. Il faut aussi réussir à y préserver la dimension collective !

L’automatisation des tâches, induite par le numérique, vient poser à son tour et avec force, la question du sens : mon travail va-t-il disparaître ? Puis-je être remplacé par une machine ?

Bien sûr, certains emplois sont plus touchés que d’autres, mais tous les travaux montrent qu’il s’agit moins de faire disparaître les métiers actuels, que de repenser l’organisation du travail. La question de la formation continue, de l’adaptabilité, est devenue centrale. C’est un défi pour chaque collaborateur, mais aussi pour chaque entreprise.

Je suis convaincu que demain, il y aura moins d’emplois tels que nous les connaissons, mais plus de travail. Dans et hors l’organisation. Entre formation, engagement associatif, rôle d’aidants… Nous aurons de plus en plus de tâches à gérer et toutes ne prendront pas forcément la forme d’un contrat de travail. Notre vie professionnelle ne sera pas linéaire, nous aurons plusieurs casquettes et plusieurs natures d’activité.

L’entreprise a tout intérêt à favoriser cette souplesse, cette polyvalence. Comme elle a tout intérêt à travailler sur ses valeurs et sa raison d’être. Ce sont les clefs de son attractivité – et ce, dans un futur très proche !

Un conseil pour les DRH ?

Favorisez la confiance et l’autonomie. Fixez des objectifs, non sur le temps passé mais sur la valeur du livrable. Placez bien le curseur entre les besoins individuels et ceux de l’équipe : une autodétermination des règles par l’équipe me semble pertinente.

Personnalisez le management selon les besoins. Ce n’est jamais acquis, toujours à remettre en cause. Je terminerai par cette phrase d’un dirigeant, qui m’avait marquée par sa justesse : « La culture de l’entreprise, ce ne sont pas les valeurs en lesquelles vous croyez. Ni celles que vous pouvez prononcer ou afficher : c’est ce que font les collaborateurs lorsque vous n’êtes pas là. »