Comment les entreprises s’y retrouvent-elles entre urgences énergétiques à traiter avant l’hiver et profondes restructurations nécessaires pour assurer le long terme ? C’est cette question qui était posé lors du dernier dîner-débat de la Communauté Alliancy Connect, à travers les témoignages de plusieurs invités de marques.
Depuis la fin de l’été, le sujet de la crise énergétique s’est invité dans tous les comités de direction. Les entreprises industrielles aux sites les plus énergivores ont dû faire des choix, parfois jusqu’à fermer des usines afin de faire face à la montée du coût de l’énergie. Mais plus généralement, les entreprises sont toutes mises devant la complexité de l’équation « sobriété ».
Sur le front numérique, Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des communications a passé les dernières semaines à aller à la rencontre de tout l’écosystème. Avec une question : comment ses acteurs peuvent-ils aider à faire baisser la consommation énergétique ? Les indicateurs types (que chacun puisse réduire de 10% sa consommation d’ici 2024) cachent évidemment des réalités très différentes entre le type d’entreprises, du datacenter jusqu’aux DSI des entreprises, en passant par les éditeurs de logiciels… Mais quelques certitudes demeurent. C’est pour entendre les réponses à ces questionnements qu’Alliancy a organisé le 19 octobre dernier un dîner-débat de sa Communauté Alliancy Connect, organisé en partenariat avec Schneider Electric, sur le sujet.
Une crise énergétique conjoncturelle, une crise climatique qui ne l’est pas
L’occasion notamment d’écouter Yannick Jacquemart, directeur Nouvelles Flexibilités pour le Système Electrique de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, partager ses indicateurs clés. Celui-ci a en particulier rappelé à l’assistance que de façon exceptionnelle, la plupart des indicateurs étaient « à l’orange ou au rouge » et que cette période de tension, pourrait se reproduire encore dans les 2 à 3 ans. Le programme EcoWatt, forme de « météo » de la consommation électrique, doit permettre de sensibiliser les particuliers comme les entreprises à éviter de consommer sur les créneaux difficiles, notamment le matin de 8h à 13h. Bien plus que l’éclairage, c’est aujourd’hui le fait de chauffer qui pousse ces pics de consommation ; un fait loin d’être anodin pour les professionnels.
Toutefois, le caractère conjoncturel de la crise énergétique, due à des facteurs géopolitiques (guerre en Ukraine) et de production (mise à l’arrêt temporaire d’une partie du parc nucléaire français), cache une problématique de sobriété bien plus profonde pour les entreprises : la difficile lutte contre le réchauffement climatique. Pas de solutions simples et de très courts termes pour régler le problème en la matière ; et pourtant l’horloge tourne.
C’est en tout cas le message qu’a passé Fabrice Bonnifet, directeur du développement durable chez Bouygues et membre du Shift Project. Co-auteur du livre « L’entreprise contributive : concilier monde des affaires et limites planétaires » (Dunod), il a insisté sur les chiffres issus des rapports du GIEC, mais aussi sur la difficulté des pays à tenir leurs engagements, repoussant toujours à plus tard les choix difficiles et augmentant du même coup la marche à franchir par la suite. Sans même attendre la date fatidique de 2100, les conséquences seront vite malheureuses avec des zones importantes de la planète devenant inhabitables à cause du phénomène de vagues de chaleur humide, provoquant des migrations massives de population et déréglant les sociétés et économies. Pour l’ingénieur, plus encore que la question des économies d’énergie, c’est bien vers les changements de modèle important que nos entreprises doivent se tourner.
Le rôle du numérique, entre croissance exponentielle et levier de changement
Son témoignage a d’autant plus marqué les invités de la soirée, qu’il a épinglé le rôle crucial joué par le numérique. Si en chiffre absolu, l’impact de celui-ci reste encore modéré, c’est bien sa croissance exponentielle qui va interroger chaque année un peu plus nos modèles de sociétés et la contribution réelle des entreprises à la lutte contre le réchauffement climatique.
Les quatre autres grands témoins des échanges qui ont partagé leurs visions du sujet, connaissent d’ailleurs bien tous ce phénomène de croissance, du fait de leurs activités respectives.
Hélène Macela-Gouin, ancienne directrice de la stratégie de Schneider Electrique France, qui vient de prendre la tête des activités SecurePower de l’industriel, a ainsi listé les efforts importants réalisés par son groupe pour ses propres activités et bâtiments (à l’image du site IntenCity qui se veut une référence en matière d’innovation et d’impact). Elle a aussi souligné à quel point le numérique pouvait aider d’autres industries à se transformer, en étant le levier clé pour diminuer les consommations sur les matériels.
Nicolas Divin, field développement senior manager d’Equinix, a témoigné pour sa part des enjeux propres aux infrastructures numériques, en particulier des datacenters, qui sont devenus en deux décennies les poumons de notre économie. Aux efforts fait en matière d’efficacité énergétique s’associent ainsi aujourd’hui des engagements de responsabilité grandissante en matière d’économie d’eau et de limitation globales des impacts, qui impliquent des choix de design plus engagés.
Agir à tous les niveaux
De son côté, Véronique Torner a encouragé la mobilisation de tous les acteurs de l’écosystème. La responsable de l’initiative Planet Tech Care (dont Alliancy est ambassadeur), également administratrice de Numeum, le syndicat réunissant les professionnels du numérique, a expliqué comment les principales associations du secteur s’étaient mobilisées pour apporter des réponses aux questionnement du ministre dans le cadre du collectif Convergences Numériques. Surtout, elle a décrit les axes d’action par lesquels tous pouvaient s’engager : des actions sur la sobriété globale des entreprises, en agissant auprès des moyens généraux, des initiatives pour améliorer spécifiquement la sobriété des systèmes d’information, à la fois sur leur composante technique, sur les modes de développement et sur la façon d’exploiter les systèmes ; enfin le fait d’améliorer massivement la gouvernance et le monitoring mis en œuvre par les entreprises. Là aussi, à condition de savoir choisir ses combats et de distinguer les usages importants de ceux non-essentiels, le numérique peut aider à une transformation massive des modes de consommation des entreprises.
Prenant la parole pour témoigner de l’expérience des directeurs des systèmes d’information directement, Nouamane Cherkaoui a fait part des injonctions contradictoires qui prévalaient encore dans les entreprises. Si de nombreuses micro-actions ont été menées et peuvent encore l’être, il a aussi estimé que les changements les plus importants ne pourraient venir que de capacités d’anticipation et de planification au plus haut niveau : dans la stratégie énergétique de l’Etat bien entendu, mais aussi au niveau des directions d’entreprise. Un DSI seul ne peut en effet pas influencer la stratégie de sobriété de toute une entreprise.
Ce constat de la transversalité des sujets évoqués, a été particulièrement discuté à table, entre les membres de la communauté Alliancy Connect et les invités. Entre enjeux de changement de modèles d’affaires, exemplarité des exigences managériales ou encore difficulté à intégrer les logiques classiques des entreprises avec des concepts comme ceux de l’économie circulaire, les participants ont tous témoigné du fait que la sobriété ne pouvait aujourd’hui plus s’entendre seulement du point de vue énergétique, même si l’urgence de la situation hivernale pouvait être le fer de lance de changements plus profonds pour la suite.