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Sylvestre Ledru (Mozilla) : « Les produits et services créés par les entreprises ressemblent à ceux qui les conçoivent »

Alliancy Connect

En tant que fondation, Mozilla – connue notamment pour son navigateur web Firefox – a fondé son existence sur une vision « éthique » de son activité et du développement d’Internet. Mais c’est aussi aujourd’hui une organisation de plus de 1000 employés, à travers « Mozilla Corporation » une succursale de la fondation, qui œuvre également à renforcer la diversité au sein de ses équipes.  Sylvestre Ledru, directeur du bureau Mozilla France depuis 2016, partage sa vision d’un « numérique plus responsable ».

Sylvestre Ledru, directeur du bureau Mozilla France

Sylvestre Ledru, directeur du bureau Mozilla France

Alliancy. Estimez-vous que dans le contexte actuel l’appel pour un numérique plus responsable est mieux entendu par les entreprises ?

Sylvestre Ledru. C’est une vaste question et je vais me concentrer sur la partie qui concerne directement Mozilla, c’est-à-dire l’état de santé d’Internet. De note côté, je dois dire que l’on observe qu’Internet est de plus en plus sous le contrôle de quelques grandes entreprises… Ce n’est pas sain. La responsabilité dans ce cadre, c’est de donner au maximum le moyen aux utilisateurs eux-mêmes de se protéger et d’exercer leur liberté.

Nous jouons notre part, en proposant des outils que l’on juge être suffisamment simple pour être utilisable par tous, et qui permettent de contrer les trackers, de détecter les fuites de données personnelles comme Firefox Monitor, ou encore de « conteneuriser » Facebook pour que l’entreprise n’utilise pas les nombreux connecteurs qu’elle a avec des sites variés pour vous suivre tout au long de votre parcours sur le web. Tous ces éléments de « privacy » nécessitent aujourd’hui vraiment d’être pris en compte dans les outils.

Est-ce suffisant ?

Sylvestre Ledru. Non. C’est pour cela que nous travaillons avec de nombreux gouvernements différents pour faire avancer les législations qui protègent la vie privée et la liberté des usagers d’Internet ; ou que nous publions chaque année un bilan de santé d’Internet pour sensibiliser un maximum de personnes à ces problèmes. Ces problématiques et risques prennent de nombreuses formes différentes.

Par exemple, laissez tourner des vidéos Youtube librement pendant plusieurs heures, en laissant l’algorithme de recommandation lancer à chaque fois la vidéo suivante : vous vous rendrez compte que vous finirez par tomber sur des contenus de désinformation ou conspirationnistes concernant des sujets comme les vaccins, etc. Est-ce vraiment ce que l’on veut pour notre société ?

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Depuis 2018 et l’entrée en vigueur effective du RGPD, les discours sur la privacy se sont en effet multipliés chez toutes les entreprises. Mais qu’en est-il des autres aspects de l’éthique dans le numérique ?

Sylvestre Ledru. Le cas de l’attention portée à ses propres équipes par une entreprise, en termes de diversité, de bien-être, d’engagement, est un autre sujet extrêmement important. Pour résumer, toutes les études publiés montrent que les produits et services créés par les entreprises ressemblent à ceux qui les conçoivent. Autrement dit, il est très facile de créer des biais et des inégalités de traitement, sans même souvent en avoir conscience. Dans le cas particulier de Mozilla, l’impératif de diversité est encore plus important, car tout le monde va sur Internet. Ce que nous produisons doit refléter cette diversité. Ce n’est pas encore suffisamment le cas comme nous l’avons d’ailleurs détaillé dans notre rapport 2018 sur la diversité et l’inclusion chez Mozilla. C’est notamment pour cela que nous tenons à être présent dans le monde entier. Mais nous nous sommes rendu compte par ailleurs ces dernières années, que comme de nombreuses autres entreprises de la « tech », nous avions de vrais problèmes à recruter de nouveaux talents féminins. Nous pensions que parce que notre fondatrice et présidente est une femme, et que nous avons de nombreuses femmes dans notre top management, cela ne serait pas forcément un problème de recruter des femmes, mais la preuve est bien que nous devions continuer à agir très concrètement sur ce sujet. Aux Etats-Unis par exemple, nous fournissons des avantages notables sur les congés maternité, avec 6 mois supplémentaires par rapport au minimum légal, pour convaincre de nous rejoindre. Mais en France, il nous faut trouver d’autres leviers, car le contexte n’est pas le même.

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Quel genre de leviers peut aider ?

Sylvestre Ledru. Le télétravail est un véritable facilitateur. C’est un axe qui cadre parfaitement bien avec notre culture d’entreprise. En 2018, au niveau mondial nous avions 46% de nos collaborateurs en télétravail à temps complet. Au Royaume-Uni, ce chiffre atteint 65,9%, alors qu’en France, il n’est encore que de 43,3%. Mais c’est toujours plus qu’en Allemagne, avec 29,2%. Et de manière générale, nous privilégions une approche souple du travail pour tous les collaborateurs. Même à titre personnel, mon manager direct est en Nouvelle-Zélande et mes équipiers, chacun dans un pays différent. Nous avons donc tous les outils adaptés, notamment pour faire de la visio-conférence si besoin. Cela permet de voir si les gens ont le sourire et s’ils se sentent bien dans leur travail. Deux fois par ans, nous nous retrouvons tous au niveau mondial pour une semaine d’échange et de vie commune, qui permettent également de prendre la température.

#AlliancyConnect - @SylvestreLedru (@Mozilla) : « L’essentiel c’est d’avoir une âme en tant qu’entreprise et une mission auxquels ses équipes puissent vraiment adhérer. » Cliquez pour tweeter

Quels conseils activables rapidement peut-on donner à des entreprises pour se responsabiliser de façon concrète vis-à-vis de leurs usages numériques ?

Sylvestre Ledru.  L’essentiel c’est d’avoir une âme en tant qu’entreprise et une mission auxquels ses équipes puissent vraiment adhérer. Je pense qu’il est plus que jamais important aujourd’hui pour les entreprises de clarifier et de mettre l’accent sur cet aspect-là, plutôt que d’attendre en quelques sortes que les salariés vendent leurs âmes uniquement pour gagner de l’argent. Ensuite, les aspects du bien-être au quotidien devront suivre, mais ceux-ci n’ont aucun sens, sans cette idée globale que l’on se fait de son organisation, notamment en matière d’engagement citoyen et de responsabilité vis-à-vis de la société. En France, il y a de bons exemples à suivre en la matière, comme la Camif ou la Maif. Cela fait plaisir de voir des dirigeants qui se mobilisent de la sorte sur ces sujets et qui essayent d’être exemplaires.

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