Thibaut Gemignani (Cadremploi) : « Il faut être proactif dans l’accompagnement des cadres »

Le CEO de Cadremploi, Thibaut Gemignani, revient pour Alliancy sur les 30 ans d’existence de l’entreprise sur le marché de l’accompagnement des cadres dans l’évolution de leurs carrières. Entretien.

Alliancy. Cadremploi, premier site d’emploi pour les cadres en France, fête ses trente ans cet automne. Quel bilan retirez-vous ?

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Thibaut Gemignani, CEO de Cadremploi

Thibaut Gemignani. Nous avons commencé sur le Minitel à l’époque avant de basculer très vite sur Internet fin des années 1990. Pour cet anniversaire un peu particulier en pleine deuxième vague de la Covid-19, nous avons souhaité sonder avec l’Ifop les souvenirs des cadres et leur vision du futur. Tout a changé évidemment, mais deux éléments les ont particulièrement marqués ces trois dernières décennies : l’émergence des Gafa (36 %) et l’adoption des 35 heures (35 %) auxquelles ils confirment leur attachement. Et, pour les 30 ans à venir, la digitalisation des métiers (via l’IA) et le télétravail pour tous leur paraissent inexorables…

Ce qui confirmerait qu’ils sont à la recherche d’un meilleur équilibre vie professionnelle/personnelle ?

Thibaut Gemignani. C’est clairement leur attente. Notamment qui a été rendue possible du fait des 35 heures, et qui reste plus que jamais au cœur de l’actualité en cette période de crise sanitaire… Les cadres ont désormais l’ambition d’être heureux professionnellement sans en pâtir personnellement.

Et pour Cadremploi, qu’est-ce qui a été marquant tout au long de cette période ?

Thibaut Gemignani. C’est de les accompagner, à travers la digitalisation, mais aussi cette incursion dans les deux sens de la vie professionnelle et personnelle, parfois apportée par les outils numériques. Notre base line est d’ailleurs passée d’« Accélérateur de carrière » à « Ayez l’ambition d’être heureux » ! Ce qui montre bien notre évolution sociologique, mais notre objectif sur le fond reste le même : rendre le plus transparent possible le marché de l’emploi des cadres en leur donnant accès à un maximum d’informations… Nous sommes là pour les aider à prendre les bonnes décisions et les mettre en relation avec les meilleurs recruteurs possibles, ce qui est aujourd’hui plus faciles à faire avec les nouvelles technologies de matching. Et ce travail d’accompagnement est pour nous de plus en plus important !

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Quelle est l’évolution du niveau de recrutement des cadres en France ces dernières années ?

Thibaut Gemignani. La France a gagné environ 1 million de postes cadre en vingt ans, dont 150 000 créés dans les deux dernières années. Le poids des cadres dans l’emploi total a plus que doublé (source Insee) depuis le début des années1980, il est passé de 8 à près de 20 % aujourd’hui. En 2019, il y a eu environ 280 000 recrutements de cadres selon l’Apec. Cette année, du fait des crises sanitaire et économique, ce chiffre devrait se situer entre 160 000 et 200 000. La grande différence reste par ailleurs leur forte mobilité : avant la crise, 40 % se disaient ouverts aux opportunités à l’international. Enfin, auparavant, un cadre était un manager « encadrant », aujourd’hui seulement 60 % d’entre eux sont des encadrants et 40 % des experts sans encadrement.

Quelles évolutions pour le manager cela suppose-t-il ?

Thibaut Gemignani. Il ne peut plus être dans le contrôle… Il doit être dans l’animation et ce, même à distance. On le voit totalement autour de la question du télétravail qui redevient la norme en ce moment. Nous venons de sortir une étude sur la relation managers/managés à l’épreuve du confinement… Ainsi, les managers jouent-ils parfaitement leur rôle aux yeux de leurs équipes pendant cette crise sanitaire ? Les résultats de notre étude montrent globalement que NON. Dirigeants et managers sont très impactés par la manière d’être gérés. La fonction avait déjà évoluée, mais là il faut se réinventer, oublier le contrôle et faire confiance. C’est très important pour les cadres, mais également pour les entreprises car on voit qu’aujourd’hui, les masques tombent !À l’heure où l’on doit tous en porter… Qui perd son masque ?

Thibaut Gemignani. On le voit dans la marque employeur. Les entreprises vous expliquent qu’elles sont bienveillantes, mais on constate le « Stop & go » qu’elles pratiquent entre les deux confinements… Beaucoup d’entre elles ont, très rapidement, souhaité que tout le monde revienne au travail, comme si leurs collaborateurs n’avaient rien fait lors du 1er confinement. Certains cadres vivent difficilement le fait qu’on limite le télétravail, en constatant le manque de confiance… Du fait de la crise sanitaire qui s’est transformée en crise économique, certains cadres ne vont peut-être pas bouger tout de suite, mais il y aura certainement à terme un retour de bâton…

 

Il y aurait donc une « nouvelle » relation de confiance à créer ?

Thibaut Gemignani. C’est ce qui va challenger les entreprises dans les mois à venir… Les systèmes de management ont tous volé en éclats. Il faut à la fois réinventer le lieu de travail (on doit avoir du plaisir à venir au bureau, à rencontrer ses collègues) et, d’autre part, il faut créer une relation de confiance avec ses collaborateurs, qu’ils soient à domicile ou au bureau…

Comment les Soft Skills sont-elles perçues par les entreprises françaises ?

Thibaut Gemignani. Bien perçues, mais pas facilement mesurables… C’est compliqué de faire ressortir les Soft Skills, autant chez les candidats que côté entreprises. Elles ont souvent du mal à exprimer les Soft Skills qu’elles attendent pour tel ou tel poste… Nous avons pris l’an dernier une participation majoritaire dans la plateforme Golden Bees, spécialisée dans le ciblage de candidats dans le processus de recrutement à travers la publicité programmatique. Leur solution permet aux recruteurs ou aux sites d’emploi de générer des candidatures qualifiées, en tenant compte de différents critères… Dans la mise en relation entre recruteurs et recrutés, il faut de la transparence et de la confiance ! Ce sont les clés qui feront que ça dure par la suite… Il ne peut pas y avoir de masque entre un candidat et son recruteur.

Cadremploi (200 collaborateurs) propose environ 10 000 offres d’emploi, le dépôt de CV auprès de 15 000 recruteurs, la création d’alertes email, la recommandation d’offres en fonction de ses recherches et l’accès à des divers… Cliquez pour tweeter

Quelles sont vos priorités pour les mois à venir ?

Thibaut Gemignani. Si Cadremploi était un animal, il serait un dauphin, car nous n’avons eu de cesse de s’adapter en permanence. Cadremploi est né de la volonté d’une cinquantaine de cabinets de recrutements d’avoir leur propre outil de mise en relation directe avec les candidats. L’évolution pour nous aujourd’hui, au-delà de l’information et du conseil que nous apportons déjà, est qu’il faut aller encore plus loin dans l’accompagnement. On l’a vu d’autant plus pendant la période de confinement au printemps. On doit apporter plus de contenus sur le management à distance, le télétravail, le recrutement à distance, etc.

Les cadres veulent être davantage « coachés ». Par exemple, cette année, nous avons mené une expérience (Déclic) avec l’ICF, dont l’objectif était de déclencher chez les cadres le fameux passage à l’acte de la mobilité… L’assurance d’avoir des gens épanouis dans l’entreprise, c’est de faire en sorte qu’ils relient vie pro/perso et passions… Les cadres recherchent du sens dans leur job… C’est un propos à pondérer avec le contexte actuel, mais ça va très vite revenir dès qu’on sortira de cette crise. Nous irons de plus en plus vers cet accompagnement, ce qui suppose pour nous d’intégrer de nouveaux outils en ligne, comme des tests de personnalité par exemple… et faire en sorte que cette relation recruteurs-recrutés soit la plus transparente possible.

SONDAGE CADREMPLOI « PORTRAIT DU BON MANAGER »

Si les managers se considèrent majoritairement bienveillants (74 %), « responsabilisants » (58 %) et transparents (50 %), les cadres « managés » les perçoivent comme autoritaires (30 %), directifs (27 %) et négatifs (24 %)…

Source : Sondage réalisé par Cadremploi du 30 septembre au 2 octobre via un questionnaire administré en ligne auquel ont répondu 1 935 cadres