Transformation, infrastructures, souveraineté : ce que les leaders de l’IA ont vraiment dit à Miami

 

À Miami, le Tech Basel AI Summit 2025 a réuni plus de 400 dirigeants technologiques, chercheurs, investisseurs et responsables publics pour analyser les mutations profondes de l’intelligence artificielle. Notre chroniqueur Stéphane Gervais y était et analyse les principaux messages qui ont été passés en Floride.

 

Entre montée des systèmes multi-agents, industrialisation des infrastructures, explosion de l’IA appliquée aux systèmes physiques, enjeux de souveraineté et pression énergétique du compute, les discussions ont révélé un basculement stratégique : l’IA quitte le terrain de l’expérimentation pour devenir une infrastructure critique, structurante pour les entreprises, les territoires et l’économie mondiale. Le Tech Basel Miami AI Summit 2025 s’est imposé comme l’un des rendez-vous les plus stratégiques de l’année pour comprendre où va réellement l’intelligence artificielle. Loin des discours convenus, ce sommet – organisé par eMerge Americas et le Miami AI Hub – a réuni plus de 400 dirigeants du Fortune 500, chercheurs de premier plan, fondateurs deeptech, investisseurs, responsables hospitaliers et représentants de la sécurité nationale américaine. Ces échanges, menés à huis clos pour une partie d’entre eux, ont dessiné une dynamique puissante : l’IA quitte la phase exploratoire et entre désormais dans son ère industrielle, avec des impacts directs sur les infrastructures, les territoires, les organisations et l’équilibre des puissances.

 

Miami : un nouveau point d’ancrage pour l’IA

 

Miami s’impose progressivement comme un territoire où se recomposent certains équilibres de l’écosystème IA américain. La région bénéficie d’une dynamique mesurable : plus de 4 milliards de dollars levés par les startups en 2024, une accélération des projets IA dès 2025, et une reconnaissance institutionnelle avec son classement parmi les 28 hubs nationaux de l’IA selon la Brookings Institution. Pour autant, cette montée en puissance ne tient pas uniquement à l’afflux de capitaux. Elle s’explique par trois facteurs structurels : une diversité linguistique et culturelle utile au développement et au test de modèles multimodaux ; des politiques publiques orientées vers le développement de compétences (programmes IA, accélérateurs spécialisés) ; et une stratégie affirmée dans les technologies critiques, notamment le quantique. L’enjeu dépasse ainsi l’attractivité économique : Miami tente de se positionner comme un espace d’expérimentation et d’industrialisation de l’IA, un rôle que peu de territoires assument aujourd’hui. C’est dans ce contexte que les échanges du Tech Basel AI Summit prennent toute leur portée, révélant les lignes de force qui structurent désormais la transformation de l’IA à l’échelle mondiale.

 

De l’open source aux systèmes multi-agents : la prochaine rupture s’accélère

 

La discussion inaugurale entre Clem Delangue (Hugging Face) et Rohit Patel (Meta Superintelligence Labs) a posé un premier constat : l’open source n’est plus un mouvement alternatif. Il constitue désormais l’infrastructure intellectuelle et collaborative du développement mondial de l’IA. Hugging Face fédère plus de 5 millions de builders et plus de 2 millions de modèles, et devient la place centrale où se négocie aujourd’hui la transparence de l’IA. Mais le signal le plus structurant a été le basculement vers une nouvelle génération de modèles : les systèmes multi-agents. Leur logique n’est plus de produire une réponse, mais d’interagir, planifier, négocier, et combiner leurs expertises pour résoudre des problèmes complexes. Ce changement introduit trois nouveaux défis pour les entreprises : comment définir des limites pour des modèles qui n’en ont pas ? Comment tester et évaluer des comportements émergents ? Comment assurer une sécurité dynamique lorsque les modèles apprennent en production ? Nous passons de l’IA “outil” à l’IA “système”.

 

L’IA physique : la rupture que personne ne peut encore se permettre d’ignorer

 

Une tendance inattendue s’est imposée : l’arrivée accélérée de ce que plusieurs intervenants ont appelé l’IA physique ; c’est-à-dire l’IA intégrée dans les robots, véhicules autonomes, infrastructures intelligentes, capteurs nouvelle génération, dispositifs médicaux ou systèmes industriels. Ce mouvement est porté par quatre facteurs :

  • la perception visuelle et sensorielle progresse vite,
  • les architectures agentiques permettent de simuler des scénarios complexes,
  •  les coûts du compute à la périphérie diminuent,
  • et les usages industriels sont prêts à basculer.

L’IA quitte le monde numérique pour entrer dans le réel. Ce glissement est plus qu’un changement technologique : c’est un basculement économique.

 

NVIDIA : penser système, pas composants

 

L’intervention de NVIDIA a été l’une des plus structurantes. Leur message est sans ambiguïté : l’erreur la plus coûteuse aujourd’hui consiste à penser l’IA en silos. Les entreprises qui échouent sont celles qui traitent les modèles, les données, l’infrastructure et la sécurité comme des briques indépendantes. Celles qui réussissent conçoivent l’IA comme un pipeline complet : ingestion et qualité des données, choix d’architecture, entraînement, fine-tuning et optimisation continue, déploiement, observabilité et gouvernance, gestion énergétique et performance par watt. Selon NVIDIA, même sans nouvelle rupture scientifique, le “kernel” d’intelligence déjà disponible suffit pour transformer massivement les organisations… à condition de maîtriser l’intégration.

 

Santé : une transformation silencieuse mais profonde

 

Les échanges avec Jackson Health System, Tampa General Hospital et plusieurs startups santé ont révélé un pivot majeur : l’IA ne se contente plus d’améliorer la médecine, elle en redéfinit les fondations. Les avancées évoquées :

  • détection précoce des cancers avant le stade 1,
  • réduction des cycles d’essais cliniques,
  • automatisation intelligente des opérations hospitalières,
  • trajectoires patient personnalisées,
  • médecine prédictive intégrée.

L’expression de Cathie Wood, PDG d’Ark Investment, résume bien le changement en cours : « Aujourd’hui, notre système de santé (USA) est à 90% un système de soins. Grâce à l’IA, il pourra enfin devenir un véritable système de santé. » C’est probablement l’un des domaines où l’impact de l’IA sera le plus visible à court terme.

 

Sécurité nationale : l’IA comme nouvelle doctrine stratégique

 

La présence d’un général trois étoiles du commandement de transformation de l’U.S. Army a montré à quel point l’IA est devenue un sujet de souveraineté.
Les armées américaines repensent : leurs doctrines opérationnelles, leurs infrastructures numériques, leurs chaînes décisionnelles et leur relation avec le secteur privé. L’objectif est simple : réduire les délais, augmenter la vitesse, et maintenir une supériorité opérationnelle durable. La compétition technologique n’est plus entre entreprises, mais entre modèles nationaux.

 

Le compute devient un enjeu énergétique

 

Un consensus rare émerge : l’obstacle principal à l’expansion de l’IA n’est pas l’espace ou le matériel, mais l’énergie. L’optimisation “performance par watt” devient critique, et les territoires capables de garantir une capacité énergétique résiliente prendront l’avantage. C’est un renversement majeur : l’IA ne suit plus l’infrastructure, ce sont les territoires qui devront suivre l’IA.

 

L’IA entre dans l’ère des systèmes

 

Le Tech Basel Miami AI Summit 2025 l’a montré sans ambiguïté : nous sortons définitivement de l’ère des prototypes pour entrer dans celle de l’IA-infrastructure, de l’IA-système, de l’IA-stratégique. Les entreprises qui continuent d’aborder l’IA comme un outil ou un projet isolé prendront du retard ; celles qui la considèrent comme un levier structurel – reliant données, « compute », énergie, gouvernance, sécurité et métiers – construiront les avantages compétitifs les plus durables. Le signal venu de Miami est clair :
la course ne se joue plus sur la taille des modèles, mais sur la capacité à les intégrer, les maîtriser et les industrialiser. Dans cette nouvelle géographie de la puissance, les territoires aussi entrent en compétition. Ceux qui sauront offrir énergie, talents, infrastructures, vision politique et écosystèmes d’innovation deviendront les hubs où se construiront les prochains cycles technologiques. Miami a choisi de jouer ce rôle. D’autres suivront. Et si un message s’impose après Miami, c’est celui-ci : la question n’est plus de savoir si l’IA va transformer les entreprises et les territoires, mais à quelle vitesse ceux-ci seront capables d’intégrer cette transformation.