[Tribune] TVA à l’ère du numérique : qu’ont les entreprises à y gagner ?

Christiaan Van Der Valk, VP stratégie et réglementation chez Sovos, se penche sur le projet de la Commission européenne, VIDA, « VAT in the Digital Age », soit TVA à l’ère du numérique, ses chances de réussite, et ce que son entrée en vigueur changerait concrètement pour les entreprises et leur transition numérique.

Christiaan Van Der Valk, VP stratégie et réglementation chez Sovos

Christiaan Van Der Valk, VP stratégie et réglementation chez Sovos

VIDA” : c’est sous cet acronyme joyeux de l’anglais VAT in the Digital Age, que le 8 décembre 2022, la Commission européenne (CE) a présenté son projet de TVA à l’ère du numérique.

Dans un environnement institutionnel fortement sensibilisé par la Covid à la nécessité du digital dans les rapports entre le Léviathan et les personnes physiques et morales, Bruxelles veut faire un pas de plus vers le “tout digital” en matière fiscale.

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Ce qui pour le moment n’est qu’une proposition nécessitant l’accord unanime des Pays membres de l’Union européenne (UE) pour une éventuelle adoption (et rien n’est plus incertain !), apporte toutefois un nouveau paradigme en matière de taxation, et notamment de facturation électronique.

Cependant, la Commission européenne (CE) doit faire preuve de plus de vision encore, et faire évoluer ce projet vers un instrument holistique de politique économique pour la compétitivité des entreprises, si elle veut rendre l’UE protagoniste de l’économie numérique.

Les contrôles transactionnels en continu deviendraient obligatoires pour les transactions entre Pays membres

La Commission européenne ne dispose pas d’une marge de manœuvre importante en matière de taxation, mais elle a décidé d’intervenir là où elle le pouvait : sur la TVA intra-communautaire (entre États membres).

Ainsi, idéalement, à partir de 2028, les entreprises pourraient se voir soumises à la facturation électronique obligatoire sur les transactions transfrontalières (soit environ 20% des factures au sein de l’Union européenne), et au devoir de e-reporting en temps quasi réel (sous quatre jours). Quoiqu’un choix par défaut, le choix de la CE n’en est pas moins avisé car les transactions transfrontalières sont parmi les plus sujettes à la fraude fiscale en Europe.

Les documents seraient ainsi centralisés pour être analysés par certains organes des institutions européennes. Les contrôles transactionnels en continu (CTC), étroitement liés à la facturation électronique et à l’e-reporting, s’imposeraient donc dans le paysage commercial européen.

Facturation électronique, passer de l’exception à la règle en Europe ? 

La Commission européenne veut révolutionner la facturation par tous les moyens, et elle prend des risques politiques considérables pour envoyer ce message aux États membres.

Pour commencer, tout obstacle juridique préexistant permettant aux pays européens de passer à la facturation électronique obligatoire est scrupuleusement supprimé de la directive sur la TVA.

Le changement de paradigme le plus remarquable ? À partir de 2024, la facturation électronique serait définie comme la règle pour les transactions B2B. Il est mentionné, en passant, que les États membres qui ne choisissent pas explicitement d’imposer la facture électronique dans leur territoire devraient continuer à accepter les factures papier, devenant donc l’exception.

Une mesure dénouée de subtilité qui interroge quant à la volonté réelle de la Commission : chercher plus à créer un « choc » que de s’attendre vraiment à l’unanimité entre 27 pays, avec la facture papier restant une pratique extrêmement répandue. 

Non seulement la Commission veut pousser les factures papier vers la sortie, mais elle propose aussi de bannir le PDF.  Pour ce faire, la définition même de “facture” serait non seulement présumée électronique mais n’inclurait que les factures électroniques en format structuré et conforme aux normes européennes.

Cette notion, qui pourrait paraitre anodine, car condition nécessaire pour l’automatisation des flux entre entreprises, est basée sur la loi européenne sur la facturation électronique dans les marchés publics ; néanmoins, elle sera certainement l’un des sujets les plus controversés dans les négociations sur ViDA dans le Conseil de l’UE, qui ont débutées en janvier de cette année.

La plupart de ces règles, qui seront déjà applicables dès la fin-2024 ont pour but de débarrasser ainsi les gouvernements intéressés des démarches administratives nécessaires pour implémenter la facturation électronique dans leurs juridictions.

Une adoption qui s’annonce controversée

Le principal défi qu’affronterait la CE dans la mise en œuvre de ce projet, serait d’obtenir l’accord unanime des Etats membres (le protectionnisme des gouvernements peut rendre les négociations tendues).  Les pays ont tendance à vigoureusement protéger leurs droits en ce qui concerne les affaires fiscales. Rappelons-nous qu’un effort considérablement moins ambiteux en 2014 (qui avait pour but simplement d’harmoniser les déclarations sur la TVA), a spectaculairement échoué.

Si depuis la pandémie, les institutions ont suffisamment de courage pour présenter des réformes qui donnent un rôle central à la technologie, l’adoption de ce projet n’est vraisemblablement envisageable qu’au prix d’un très grand nombre de commentaires et d’amendements. Un effort législatif analogue, mais qui ne nécessitait pas l’unanimité des voix, le RGDP, a pris quatre ans avant d’être adopté.

L’adoption du projet VIDA impliquerait notamment la modification de la Directive sur la TVA et la coopération administrative entre les États membres.

Cette discussion impliquerait les Ministres des finances de tous les Etats membres. Certains pays ayant déjà dépensé des sommes astronomiques pour digitaliser leur propre administration fiscale, leurs représentants pourraient se montrer frileux à l’idée de changer à nouveau de système.

Enfin, bien que la CE conçoive une harmonisation à horizon 2028, il est tout à fait possible que l’échéance soit repoussée au moins à 2030, si toutefois le projet voit le jour.

Gare à ne pas passer à côté de l’enjeu réel : l’économie !

Si l’on ne peut que saluer le courage que porte le projet VIDA, il se heurte cependant à deux écueils : celui d’une adoption unanime, en l’état, improbable, et celui de se limiter à ne constituer qu’un instrument fiscal, et non pas économique.

L’ambition du projet TVA à l’ère du numérique ne devrait pas se limiter à vouloir éradiquer la fraude à la TVA, quoique cela permettrait aux gouvernements de récupérer des centaines de milliards d’euros d’écart de TVA. L’économie européenne nécessite tant d’un instrument fiscal, que d’un instrument de politique économique.

L’interopérabilité des réseaux B2B, permettant d’échanger des factures électroniques autrement que par voie privée (ce qui est le cas à ce jour), ferait baisser les couts des transactions entre les entreprises européennes et ferait gagner du temps à leurs équipes financières, en simplifiant l’administratif.

Des schémas de gouvernance comme PEPPOL existent déjà et pourraient être introduits dans ce but. L’enjeu de fond est économique : transformer ce projet de nature principalement fiscale en méga-réseau européen d’échanges de documents commerciaux, facilitant les flux et les transactions, faisant gagner les entreprises en compétitivité grâce à des allègements administratifs. Les gains macro-économiques d’une telle poussée vers la numérisation réelle des documents commerciaux seraient colossaux, avec des avantages supplémentaires pour un monitoring légitime de la part des autorités fiscales.

Si elle renonce à se saisir de l’enjeu macro-économique, la CE se dirige vers une victoire à la Pyrrhus, qui engendrerait des coûts astronomiques, qui mobiliserait tous les acteurs de l’économie (au risque de se mettre à dos plusieurs Pays membres, et très probablement en créant des tensions politiques avec des pays tiers comme les Etats-Unis et la Chine) pour un résultat partiel. Récupérer l’écart de TVA est très positif pour les gouvernements, mais représente un enjeu relativement modeste face au manque à gagner macro-économique.

C’est, au contraire, en faisant évoluer ce projet vers une approche holistique et économique que l’UE se dessinerait un véritable rôle de leader mondial de l’économie numérique.