L’urgence de « l’IA générative for good »

[Chronique] Alors que l’IA générative est devenue en quelques mois un sujet de forte attention pour tout type d’organisation, notre chroniqueur invité Frédéric Bardeau se désole du manque d’engagement pour « l’IAG for good et for green » et appelle à inverser la tendance.

Les IA génératives offrent de vastes possibilités tant pour les individus que pour les organisations. Reconnues pour booster la productivité, elles stimulent la croissance économique et accélèrent la transformation numérique dans tous les domaines. Cette nouvelle vague de révolution technologique devrait également bénéficier de façon naturelle aux acteurs institutionnels et à ceux de l’économie sociale et solidaire (ESS), y compris les entreprises à mission, les “BCorp” et les initiatives visant un impact social ou écologique.

Cependant et malgré les avantages évidents pour le monde des affaires, l’adoption de l’IA générative pour promouvoir les Objectifs de Développement Durable (ODD), l’intérêt général, la recherche, l’éducation ou la transition écologique n’est pas aussi répandue qu’elle pourrait l’être. Cette faille représente un défi majeur pour tous les acteurs. On constate que les meilleurs esprits et les grands financeurs se concentrent davantage sur l’avancement de l’IA que sur ses applications concrètes en vue du bien commun. Les acteurs de la transition écologique et sociale sont pour leur part encore souvent réticents à adopter l’usage de ces nouvelles technologies, parfois pour de très bonnes raisons, mais parfois aussi pour des motifs moins légitimes liés à la culture, à la peur du fait d’un manque de maîtrise, de connaissances ou de compétences, ou encore à des réticences idéologiques ou politiques.

Sortir de la paralysie

Des préoccupations telles que la confidentialité, la sécurité, l’impact écologique, la question des biais algorithmiques et la conformité réglementaire (RGPD, AI Act) sont bien entendu cruciales, mais elles n’empêchent en rien les entreprises de s’engager avec l’IA de manière avisée et responsable. Mais alors pourquoi l’IA rencontre-t-elle une résistance aussi forte dans son déploiement dans le secteur associatif, dont les acteurs se retrouvent pour la majorité paralysés? 

Les technologies génératives ont le potentiel de transformer les politiques publiques et les programmes sociaux; elles permettent de gagner en efficacité, de réduire les coûts et de rendre ainsi les services plus accessibles et inclusifs . Pour autant le manque de priorisation à l’agenda des gouvernances qui œuvrent pour l’’intérêt général, le manque d’investissements financier et humain et l’absence de mécanismes comptables pour valoriser les externalités positives des technologies sont un vrai frein à leur déploiement dans le secteur social et écologique.

Pour inverser cette tendance, il faut dès lors capitaliser sur les communautés open source et sur tous les professionnels engagés dans des projets technologiques à impact (la quête de sens existe aussi dans le monde de la “tech” et de l’IT) et les acteurs sont déjà à la manœuvre sur le terrain. La sensibilisation des dirigeants d’organisations non gouvernementales, la formation spécifique des équipes au sein des entités concernées, l’adaptation des cas d’usages “business” au domaine de la transition écologique et sociale, et le développement des modèles répondant spécifiquement aux besoins d’intérêt général doivent être des priorités nationales et internationales.

Un techno-optimisme qui n’a rien d’idolâtre

Engagé dans le croisement du numérique et de la tech depuis 25 ans, j’ai toujours pensé que la technologie était une partie du problème (on ne peut pas le nier) mais que c’était surtout une partie de la solution. Pour moi, c’est cela le vrai “techno-optimisme” et cela n’a rien à voir avec celui de Marc Andreessen, ni avec un “techno-solutionnisme” idolâtre. Je retrouve aujourd’hui avec cette vague des IA génératives la poussée d’adrénaline de ce que j’ai connu au tout début du web, puis avec le mobile et les applications, ou encore avec les réseaux sociaux mais cette fois-ci je voudrais réellement faire en sorte que ces technologies bénéficient au plus grand nombre et servent à résoudre les problèmes importants qui sont face à nous et qui touchent les plus fragiles et la majorité des habitants de notre planète.

En réalisant une de mes veilles (en anglais, ici) sur le sujet de l’IA “for good” et “for green” et sur les sujets de sécurité et de soutenabilité des IA, je vois passer des initiatives émanant du monde de la recherche, d’entreprises, de startups, d’agences des Nations Unies, mais pas assez provenant d’ONG ou d’acteurs de l’intérêt général qui semblent se spécialiser sur le principe de précaution, les sujets de régulation et la mise en place de mécanismes “défensifs”. Pour moi,  c’est une erreur stratégique : il est temps d’ouvrir une nouvelle voie et de parler d’une nouvelle voix sur ces sujets.

Pas besoin d’attendre : il faut se mobiliser

Le monde de l’inclusion, de l’insertion et du handicap doit bénéficier à plein des capacités conversationnelles, multilingues et multimodales des modèles “fondation” pour pousser l’accessibilité numérique des sites Internet, des démarches administratives pour l’accès aux droits et lutter contre le “non-recours”. Les acteurs de la transition écologique et sociale au sens large doivent être “augmentés” par des algorithmes et des solutions technologiques prédictives et génératives. L’éducation et la formation sont des terres d’élection formidables pour lutter contre le décrochage scolaire, en faveur de la réussite scolaire des plus fragiles, de l’inclusion et de la reconversion dans une société où les mobilités professionnelles devront être de plus en plus fluides et agiles. Les progrès scientifiques et technologiques sur le climat, la biodiversité, la santé et les énergies doivent concentrer tous les efforts et donc tous les leviers. 

Des acteurs sont déjà sur le pont, prêts à agir, en train de se mobiliser : des organisations de l’économie sociale et solidaire comme Simplon et sa fondation ShareIT et Latitudes, Data For Good ou encore Bayes Impact, mais aussi des structures comme la Croix Rouge française et d’autres associations innovantes. Elles trouvent des alliés objectifs et engagés dans le secteur technologique, notamment chez Google, Microsoft et Meta, ainsi que chez des entreprises de services numériques comme Accenture, qui contribue activement à ces efforts par le biais de sa fondation. Cela ne suffira pas si tout l’écosystème public, privé et “tech” ne fait pas sa part et ne démultiplie pas les initiatives RSE, ESG et ODD basées sur les IA génératives et ne soutient pas plus les acteurs qui sont en première ligne sur ces sujets.

Le jeu en vaut désormais plus que la chandelle et cela permettrait de donner plus de matérialité à la promesse d’une tech qui permet de “make the world a better place”. Pas besoin d’attendre l’AGI, il suffit de “move fast and fix things” et de le faire maintenant, et massivement.