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Avec le XV de France, l’IA entre dans la mêlée

Après une saison 2022 victorieuse, l’équipe de France de rugby se prépare pour la coupe du monde 2023. Les données et leur analyse seront largement mises à contribution, tout comme l’IoT. Explications.

2022 a été un grand cru pour le XV de France avec le Grand Chelem aux 6 Nations et des victoires marquantes durant la tournée d’automne. Une échéance majeure attend à présent l’équipe nationale de rugby : la coupe du monde en France à partir de septembre 2023. Et le collectif sélectionné par Fabien Galthié espère ainsi conquérir son premier trophée mondial.

Pour y parvenir, la fédération met des moyens à disposition de son sélectionneur, dont de la technologie. Data, IA, analyse prédictive font ainsi partie de la boîte à outils dont dispose le staff de l’équipe de France, entraîneurs et Sport Scientists.

Des sources de données multiples, mais fragmentées

Charlotte Douette, Data Scientist pour SAS France

Charlotte Douette, Data Scientist pour SAS France

Pour muscler son jeu dans ce secteur, la FFR a d’ailleurs conclu un partenariat avec l’éditeur SAS. Pour lancer le match sur le terrain de l’analytics, la fédération peut compter sur une grande richesse de données, et notamment GPS grâce aux capteurs embarqués par les joueurs et désormais aussi le ballon depuis l’Autumn Nations Series. 

Les données sont collectées durant les entraînements et en compétition, pour chaque joueur. “Cette typologie est extrêmement importante, mais il vaut aussi ajouter la data event, c’est-à-dire les données d’action de jeu. Elles permettent de positionner les actions sur le terrain et leurs détails”, indique Charlotte Douette, Data Scientist pour SAS France.

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Ces informations sont récupérées auprès d’un fournisseur de données, qui encode les actions. Les analystes du XV de France enregistrent également les actions associées à une timeline, notamment grâce à la vidéo. Ce sont donc trois bases de données distinctes qui sont constituées.

Comme en entreprise, la fédération était confrontée à une inflation des données et à leur dispersion. Les usages consistaient principalement en des études épisodiques. “L’ambition première était de centraliser l’ensemble de l’information de manière à ce que tous accèdent au même socle de data, à un historique et disposent d’une base de travail.”

Le second volet de cette collaboration technologique : l’analyse du patrimoine de données dans l’optique de faire émerger des facteurs de performance susceptibles d’impacter les résultats en match.

La touche comme point d’entrée pour la Data

L’exploitation de la Data dans le sport n’est pas nouvelle, pas plus que la technologie. Le football utilise par exemple des solutions de computer vision pour extraire de l’information. Dans le rugby, l’analyse d’images automatisée est plus complexe, en particulier lors des phases de mêlée ou de ruck. C’est une ambition future. En attendant, l’exploitation se concentre sur les données structurées. 

Par ailleurs, la solution d’analyse conçue pour le XV tricolore permet une forte granularité et ainsi d’associer une action de jeu (et ses données) à sa vidéo. “Le staff a besoin d’avoir ce retour métier par la vidéo”, explique l’experte de SAS. Mais avant cela, il a fallu préciser les besoins des sportifs.

La première étape en mai 2021 a consisté en un atelier de design thinking. En ont émergé des objectifs à court et à long terme. Première cible retenue : la touche, devenue un atout de l’équipe de France. Ce choix s’explique par l’implication de Karim Ghezal, l’entraîneur de la touche du XV, et par “sa sensibilisation à la donnée”. 

Les images de l’interface concernent le foot et non le rugby car les données sont confidentielles

“C’était en outre l’action idéale pour nous permettre de nous acclimater aux données rugby en se focalisant sur une action de jeu assez précise et stratégique”, précise aussi la Data Scientist en charge du projet.

Selon les actions, en commençant par la touche, la solution fournit des informations utiles comme le nom du lanceur, la composition, la localisation, la vitesse de libération de la balle, etc. Les analyses s’appuient sur un historique remontant à 2019 et comprenant un peu plus de 1000 matchs, dont 37 pour le XV de France et 450 touches.

“L’utilisateur peut par exemple sélectionner des filtres, les historiques, les équipes, les zones de terrain, afin d’afficher un tableau de bord mis à jour automatiquement et fournissant les informations recherchées. Il s’agira par exemple du pourcentage de touches qui ont permis un maul ou un franchissement à la suite”, détaille Charlotte Douette.

Data & IA, outil d’aide à la prise de décision

Après la touche, ces mêmes fonctionnalités de restitutions de données sous forme de dataviz ont été développées pour les autres phases de jeu : la mêlée, le jeu au pied, les combinaisons après un ruck, etc. Les utilisateurs ont aussi été formés à l’utilisation de la plateforme au cours de plusieurs sessions pour leur permettre d’être autonomes dans la recherche de l’information.

Les Data Scientists ont aussi accompagné les membres du staff pour convertir une question métier en une requête. Un exemple (qui pourrait avoir son importance lors de la coupe du monde) : qu’est-ce qui fait le plus reculer les All Blacks ? La réponse se trouve au sein d’un des modules développés (ps : pour les Néo-zélandais, la solution réside dans le module sur les combinaisons de jeu).

Le but de la plateforme est ainsi d’aider à la prise de décision en amont des matchs et au décryptage après ceux-ci. L’usage ne s’effectue pas en temps réel, ni d’ailleurs la remontée de données. Cependant, une compétition se joue très en amont, en identifiant les failles de l’adversaire et en calibrant les entraînements grâce aux données.

Les images de l’interface concernent le foot et non le rugby car les données sont confidentielles

“Les entraînements doivent ressembler le plus possible au match à venir. Pour leur préparation, nous avons développé un module dédié qui va leur permettre par exemple de prédire des faits de match (…)” grâce à l’utilisation d’un algorithme. Celui-ci indiquera, par exemple, un nombre de touches ou de mêlées et les zones de terrain associées.

Ces prédictions viennent nourrir la prise de décision, et non s’y substituer, insiste la Data Scientist convertie au rugby à l’occasion de ce projet avec la FFR. Fonctions prédictives et module d’entraînement seront mis à contribution d’ici septembre pour préparer au mieux le grand rendez-vous de 2023.

A la fin de la tournée d’automne, un bilan entre les équipes de SAS et les analystes du XV de France a été réalisé. Celui-ci vise à identifier les évolutions prochaines de la plateforme. Parmi celles-ci, l’utilisation des données des ballons connectés via leur intégration aux tableaux de bord.

Certains modules vont être poussés, dont celui consacré aux passes et aux combinaisons. “Nous avons un nouvel axe à travailler”, déclare Charlotte Douette, sans en dire trop pour préserver les secrets du groupe tricolore. Ces outils seront également mis à disposition des autres sélections nationales, dont le XV féminin.