Andrea Vaugan (ECA) : « Nous voulons casser ces silos nationaux et rendre les écosystèmes technologiques plus fluides en Europe »

À l’occasion de la sortie du deuxième volet de son dossier consacré aux écosystèmes, du point de vue des directeurs de l’Innovation, Alliancy s’est entretenu avec Andrea Vaugan, co-fondatrice de « l’European Champions Alliance ». L’association, créée il y a tout juste un an, se donne pour objectif de fédérer les écosystèmes d’innovation européens.

Andrea Vaugan, co-fondatrice de « l’European Champions Alliance ».

Andrea Vaugan, co-fondatrice de « l’European Champions Alliance ».

Alliancy. Quels sont les objectifs de l’European Champions Alliance ?

Andrea Vaugan. L’équipe fondatrice de l’ECA a déjà imaginé ce projet en 2019. Nous l’avons officialisé en février 2020 en tant qu’association à but non lucratif. L’objectif principal est de parvenir à créer un véritable écosystème technologique à partir de jeunes entreprises, de PME et de grandes entreprises ou encore d’experts industriels autour de valeurs européennes. La tech en Europe est riche, les opportunités commerciales sont présentes pour faire émerger de grands acteurs européens. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que cet écosystème soit vivant et uni réellement.

Notre deuxième objectif est consacré à l’accompagnement des entreprises dans cette dynamique d’innovation et de coopération. Nous essayons de montrer que l’écosystème que l’on souhaite créer est un véritable tremplin pour croître plus vite.

Il y a enfin un réel besoin exprimé par ces entreprises européennes en matière d’échange des données entre différents pays. C’est un peu ce que vise le projet Gaia-X, lequel nous soutenons d’ailleurs activement. Car notre communauté et nos membres cherchent tous à partager et sécuriser leurs données avec des outils souverains et européens. La demande d’alternative aux grands fournisseurs américains chinois est donc très marquée à l’échelle européenne.

L’Alliance s’organise autour de focus groupes sectoriels comme la cybersécurité, la smart industry, la green tech, la mobilité, le domaine spatial, la health tech, mais aussi par enjeux liés à la gouvernance et l’innovation au sens large.

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Nous pensons que l’intelligence collective est la clé et nos réunions de membres sont organisées pour échanger sur les meilleures pratiques. Une autre partie de notre activité est consacrée à des workshops dans lesquels des scale-up peuvent challenger leurs projets devant des mentors experts.

Comment renforcer les écosystèmes d’innovations européens ? Par quels moyens ? Pensez-vous qu’il y a assez de coopération entre Etats membres sur ces enjeux ?

Andrea Vaugan. Nous avons d’abord  les actions de communication qui consistent notamment à l’élaboration de “scale up mapping” publiés pour mettre en avant les technologies européennes. Puis, nous réalisons un travail de mise en relation pour que les entreprises européennes coopèrent plus entre elles, peu importe leur taille ou leur pays d’origine. Nous sommes convaincus que seules des alliances fortes permettront de conquérir le marché européen. Enfin, nous proposons aussi un accompagnement au développement international par le biais de nos experts membres du projet.

Nous proposons aussi une assistance opérationnelle pour aider les entreprises à mieux se développer à l’international. Le fait est que beaucoup d’entreprises, notamment françaises, entretiennent des relations à l’international variées mais ne parviennent pas assez rapidement à décrocher des clients.

La coopération entre écosystèmes nous intéresse bien plus que celle entre Etats. Les actions au niveau de l’Union Européenne sont plutôt longues et nous avons la conviction que la vraie valeur de demain passera par des opérations “grassroots” plutôt que “top-down”. Il est clair qu’il n’y a pas suffisamment de coopération entre les entreprises européennes, souvent très cloisonnées dans leur territoire. Nous voulons casser ces silos nationaux et rendre les écosystèmes technologiques plus fluides en Europe.

Andrea Vaugan (ECA) : « Nous avons la conviction que la vraie valeur de demain passera par des opérations “grassroots” plutôt que “top-down” ». Cliquez pour tweeter

Il n’y a pas de grande transparence des marchés entre les différents pays européens. Mais si nous voulons collaborer, il faut arriver à mieux se connaître et à se faire confiance. C’est un peu un problème du “serpent qui se mord la queue” : pas de confiance possible sans première collaboration et vice versa… 

Qu’est-ce qui a changé selon vous depuis la crise ? Est-ce qu’elle a modifié les pratiques en matière d’écosystèmes et de coopétition en Europe ?

Andrea Vaugan. La crise sanitaire et le contexte géopolitique actuel (Europe vs USA vs Asie) ont largement conforté notre mission puisque nous prenons tous conscience de notre dépendance technologique envers des acteurs non-européens. Dans le même temps, l’Europe se retrouve en plein milieu d’une transformation digitale d’envergure et nous défendons qu’elle se fasse bien avec une technologie souveraine et de confiance.

Beaucoup de sociétés dans ce contexte cherchent des solutions et ont du mal à les identifier ; c’est tout l’intérêt de nos publications de mapping des grands acteurs de l’offre. Ces mêmes entreprises cherchent à protéger leurs données stratégiques et à privilégier l’éthique. C’est d’ailleurs ce qui anime le débat sur l’hébergement de nos données de santé, qui ne devraient pas être aux mains de grands acteurs américains du cloud.

Pourtant, les alternatives européennes existent bel et bien. Il y a un éveil à avoir sur cette problématique pour mettre en avant nos grands acteurs européens qui manquent de visibilité. C’est par exemple anormal de favoriser un des Gafam comme Microsoft dans un projet comme le Health Data Hub. Il faut avoir davantage confiance envers nos acteurs européens et être moins séduits par la Silicon Valley.

Nous ne faisons pas de « Gafam-Bashing » mais il est vrai qu’un rééquilibrage est nécessaire dans la vision que nous avons des acteurs européens. Trop souvent encore, nous voyons des CDO critiqués par leur choix d’un acteur européen. Chose qui ne serait pas arrivée si celui-ci avait choisi IBM par exemple. 

Que conseillerez-vous aux directeurs de l’Innovation pour animer leurs écosystèmes ? Comment activer des leviers à valeur ajoutée à l’heure où le réseautage physique est impossible ?

Andrea Vaugan. Pour animer un écosystème, il faut faire preuve d’une grande ouverture envers son réseau et envers les autres. C’est comme ça qu’on devient plus forts ensemble. Il faut aussi prévoir de la diversité et de la multiculturalité pour que l’écosystème soit riche et représentatif.

L’écosystème doit être porté par la confiance : il faut donc assurer la transparence dans les échanges et communiquer régulièrement sur les valeurs portées par le projet. Enfin, c’est également un enjeu de motivation : il faut faire comprendre ce que l’écosystème peut apporter et sur ce que chaque acteur peut apporter à l’écosystème en retour. Les directeurs d’innovation ne devraient pas hésiter à consacrer une partie de leur budget au soutien de l’écosystème européen sous toutes ses formes.

La crise sanitaire agit comme un frein au développement des entreprises européennes car beaucoup d’entre elles passent d’habitude par les salons professionnels ou les rencontres physiques pour réseauter. Aujourd’hui tous les événements sont digitaux et cela ne donne pas le même résultat pour l’acquisition de nouveaux clients.

Mais il est tout de même possible d‘activer de la valeur de manière dématérialisée. Chez nous par exemple, c’était déjà le cas puisque nous ne pouvions pas réunir tous nos membres aux quatre coins de l’Europe. Les organisations ont mis du temps à prendre conscience que les événements digitaux ne suffisent pas et nous remarquons qu’une bonne partie des budgets sont désormais alloués à la valorisation du contenu plutôt qu’à l’événementiel pur.