Caption Market : la revente d’actions pour récompenser les efforts de la French Tech

Seulement un an après son lancement, la plateforme d’achat et de revente d’actions de start-up a enregistré plus de 21 millions d’euros de transactions. Au lieu d’attendre une entrée en Bourse ou un rachat d’entreprise, Caption propose une revente des actions afin que les actionnaires accèdent plus facilement à des liquidités. Lucas Mesquita, cofondateur de la marketplace, nous explique en quoi il est important de mieux récompenser les talents de nos pépites françaises.

De gauche à droite : Mathieu Artaud, Quentin Lechémia et Lucas Mesquita.

De gauche à droite : Mathieu Artaud, Quentin Lechémia et Lucas Mesquita.

Alliancy. Comment vous est venue l’idée de lancer Caption Market ?

Nous avons commencé le projet durant l’été 2020 et Caption a officiellement vu le jour en décembre de la même année. Mathieu, Quentin et moi sommes tous issus de l’écosystème de la French Tech et nous avons été directement confrontés à la problématique du manque de liquidité en tant qu’entrepreneurs et salariés. La plupart des start-up réalisent de grands développements, bouclent d’importantes levées de fonds, mais les contributeurs ne récupèrent que très peu en contrepartie les fruits de leurs efforts.

En réalité, les fondateurs qui se sont largement enrichis grâce à leur capital se comptent sur les doigts de la main et la grande majorité d’entre eux galèrent à lever des fonds, se développer, se payer. Quand bien même ils y parviennent, ils ne récupèrent pas beaucoup de revenus à l’exception de leur salaire comparativement à l’engagement mis dans le projet. Les tours de table peuvent se compter en millions d’euros mais ce qui ira effectivement dans les poches des fondateurs reste minime ; et je ne parle même pas des salariés. 

Le fondateur d’une start-up post-Série A me racontait d’ailleurs récemment qu’une levée de fonds n’est pas la garantie de pérennité économique pour ses fondateurs, et encore moins pour ses équipes. Ce n’est pas parce qu’une start-up lève des millions d’euros qu’il ne peut pas, à titre individuel, se retrouver à découvert en fin de mois et il est souvent difficile pour un fondateur de rembourser son prêt octroyé au lancement de son entreprise tout en faisant face à ses dépenses de vie courante. 

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Quelle différence avec les fonds d’investissement classiques ?

Les fonds sont majoritairement levés auprès d’assureurs, de grandes banques, d’industriels ou de family offices car ce sont des fonds professionnels (FPCI). Ces fonds sont confiés à une équipe de gestion qui va les allouer dans des sociétés de leur choix. Un fonds d’investissement n’a pas pour mission de donner de la liquidité aux actionnaires existants d’une start-up, mais d’investir pour lui permettre de se développer. C’est pour cela que ces actionnaires sont de plus en plus nombreux à nous contacter car ils ont envie de générer de la liquidité sur leur plus-value virtuelle.    

À l’exception de quelques fonds type Entrepreneur Venture ou Balderton, il n’existe pas de fonds spécialisé dans l’investissement secondaire. Et c’est pour cela que nous avons lancé Caption car les fonds français classiques sont plutôt réticents à l’idée de rendre de l’argent aux actionnaires existants.      

L’avantage pour les particuliers, c’est qu’ils peuvent avoir accès aux actions de start-up souvent inaccessibles et auxquelles ils croient. Le niveau de maturité des start-up pour lesquelles nous proposons d’investir est plus fort que celles que nous pouvons trouver aujourd’hui en crowdfunding pour soutenir des projets en early stage dans le cadre de leur première levée de fonds. 

Le dernier avantage pour les actionnaires est que la revente de leurs actions peut se faire à n’importe quel moment. Ils n’ont pas besoin d’attendre un hypothétique évènement de liquidité qu’ils ne maitrisent pas.

Dans quel type de projets proposez-vous d’investir sur votre plateforme ?

Notre profil cible reste depuis le début des licornes ou les quasi-licornes car c’est là où le besoin de liquidité est le plus exprimé. Et c’est aussi parce que ceux qui souhaitent investir retiennent souvent les plus grands noms parmi les start-up comme Doctolib ou Ledger. De manière générale, un utilisateur sur notre plateforme commence par un ou deux investissements sur des start-up assez avancées donc avec un niveau de risque plus faible. Puis, il envisage dans un second temps d’investir dans des projets plus jeunes, plus risqués mais qui peuvent naturellement générer plus de gains. Tout en se rappelant que les investissements en startups présentent un risque de perte totale du capital investi.

50% de ce que nous proposons sont des licornes, 30% des futures licornes avec une valorisation entre 150 et 500 millions d’euros et 20% des projets moins avancés entre seed et Serie A. 

Comment est perçu ce modèle d’investissement secondaire par les licornes elles-mêmes ?

Certaines start-up voient leurs salariés d’un mauvais œil quand ils décident de revendre leurs parts. Elles décident même parfois d’imposer des clauses dans leur contrat pour bloquer cette revente d’actions. Selon eux, cette crainte est justifiée par le risque que tous les actionnaires peuvent revendre leurs actions à n’importe qui, y compris des concurrents. 

Mais chez Caption, il y a zéro risque sur cette partie car l’investissement passe obligatoirement par une holding intermédiaire qui gère ces actions. Elles ne sont pas directement détenues      par les acheteurs potentiels. Il y a d’ailleurs tout un processus de KYC à l’inscription des investisseurs et nous ne laissons pas, par exemple, investir les coporate ou les fonds d’investissement. De plus, aucune information confidentielle sur la startup n’est transmise aux actionnaires de la holding, ce qui limite à zéro la possibilité de fuite d’informations ce qui est très important pour les start-up.

La deuxième réticence de la part des fondateurs est plus embarrassante de mon point de vue : c’est le fait que les fondateurs craignent que leurs salariés décident d’arrêter de travailler chez eux après l’obtention de leurs liquidités. C’est un faux problème et il faut absolument que les mentalités changent autour de cet enjeu d’un meilleur partage des richesses.

Plutôt que de faire miroiter à son salarié une revente d’actions dans un futur qui personne ne maîtrise (et surtout pas le salarié), il faudrait plutôt lui permettre d’accéder à de la liquidité      quand il le souhaite. Nous sommes convaincus que c’est un outil pertinent de rétention des talents. On ne retient pas les talents avec des promesses, ou des menottes dorées (golden handcuff comme disent les américains), mais avec des actes quotidiens leur permettant de récompenser leurs efforts qui contribuent à la croissance de la valorisation de leur start-up, donc à l’enrichissement de leurs fondateurs et des investisseurs.

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Comment faites-vous pour rendre votre modèle viable ? 

Depuis l’ouverture de notre plateforme en octobre 2021, nous comptons plus de 21 000 investisseurs et avons enregistré une quarantaine d’opérations. Notre modèle est simple : “Si tu n’arrives pas à vendre tes actions, on ne prend rien. Si tu en vends ou si tu investis, on te commissionne à hauteur de 6% sur chaque transaction”.

Comment percevez-vous la dégringolade des valeurs tech ? 

La période actuelle rend les investisseurs plus exigeants sur le choix des sociétés à soutenir. Depuis le mois de juin, nous sommes dans une phase de patience générale et il est donc plus difficile d’accéder à de grands volumes de transactions, y compris sur Caption. De l’autre côté, il y a aussi une vague de potentiels vendeurs qui se rendent compte que les belles histoires de réussite de la tech sont parfois sur-valorisées, tout en occultant les échecs. 

En revanche, cette période est aussi l’opportunité pour de nouveaux investisseurs d’entrer sur le marché à bas prix. Cette phase de correction des valorisations de la tech peut être      l’occasion de se lancer, tout en mesurant les risques. Par ailleurs, je parle de correction car nous n’avons pas affaire à une chute comparable à l’éclatement de la bulle internet dans les années 2000. Les start-up de la tech aujourd’hui génère réellement de la croissance (à l’inverse de 2000), ont de vrais produits, sont rentables pour certaines, et sont animées par de nombreux talents.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaiteraient se lancer dans l’investissement dans la tech ?

Le premier conseil est d’investir à partir d’une conviction forgée sur un secteur ou une équipe en particulier. Et la deuxième chose primordiale est de n’investir sur les actifs risqués qu’une part relativement faible de son patrimoine – pas plus de 10%. Le troisième est de mesurer 100% des facteurs de risque relatif à tout investissement (illiquidité, perte en capital etc.).

En général, le plus dur c’est de savoir quand se lancer ; d’anticiper les fluctuations du marché et savoir si une baisse est arrivée au bout. Le moins risqué reste donc d’être attentif au rebond, au moment où un marché reprend entre 5 et 10% de valeur. Certes, vous passerez à côté de ces premiers 10% de hausse, mais vous identifiez le rebond et le changement de momentum.

Il y a donc deux indicateurs à scruter : le cours du Nasdaq, d’Euronext et du CAC 40 ainsi que l’évolution des politiques monétaires des banques centrales – car c’est bien elles qui donnent le la depuis 15 ans sur les marchés financiers avec l’expansion ou le resserrement (comme depuis quelques semaines pour lutter contre l’inflation galopante) des injections de liquidité (taux directeur et quantitative easing).