Chine : la Fintech bâtit son empire

Dans un pays où le numérique bouleverse un secteur bancaire sclérosé et où les startups de la finance comptent parmi les licornes les mieux valorisées au monde, la Fintech chinoise prouve sa capacité à remporter l’adhésion du grand public. Une réussite que les géants nationaux comptent bien exporter.

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Arthur de Catheu et Cédric Teissier, dirigeants fondateurs de Finexkap

A n’en plus douter, les héros modernes de la Fintech chinoise sont en passe de conquérir le monde de la finance. Avec plus de 10 milliards de dollars investis dans les technologies financières l’an dernier, la Chine a gravi pour la première fois la plus haute marche du podium, devant les Etats-Unis et l’Europe, très loin derrière avec « seulement » 2,4 milliards. La montée en puissance chinoise s’est affichée au grand jour grâce à des tours de table aux montants vertigineux. L’application de paiement mobile développée par le géant Alibaba, Alipay, a ainsi bouclé la levée de fonds la plus importante de l’histoire de la Fintech, avec 4,5 milliards de dollars. Lufax, numéro un chinois du crédit entre particuliers, et JD Finance, du groupe de e-commerce JD.com, ne sont pas en reste avec respectivement 1,2 et 1 milliard de dollars. Clairement, la Fintech a fait sa place dans la finance chinoise comme mondiale.

Un terreau idéal pour les jeunes pousses

La bonne offre au bon moment au bon endroit : ainsi pourrait-on résumer la clé du succès de la Fintech chinoise. Cette réussite est en effet le produit d’une combinaison idéale de plusieurs facteurs : la sclérose du système bancaire traditionnel, l’émergence d’une classe moyenne, le développement d’un esprit entrepreneurial, et surtout une adoption massive des nouvelles technologies. Depuis les dix dernières années, l’Empire du Milieu détient le record du nombre d’internautes et en compte aujourd’hui plus de 700 millions. Un chiffre qui ne représente pourtant encore que 50% de sa population. Mais les grandes banques, nationalisées, n’ont pas su prendre la mesure de cette révolution du numérique. Et la lenteur de leur réaction, due à la rigidité de leurs structures, a laissé le champ libre à une nouvelle génération d’entrepreneurs du digital. Nés de l’émergence de la classe moyenne chinoise, plus riche et plus éduquée, ces derniers ont su créer des startups renversant les codes de la finance. L’environnement réglementaire, ouvert et favorable à l’innovation, a su également faciliter le succès fulgurant de ces pépites chinoises que l’on connait aujourd’hui.

Le e-commerce a planté le décor

Le boom du marché du e-commerce, sur lequel se côtoient des géants comme Alibaba ou JD.com, a largement favorisé l’engouement des consommateurs chinois pour la Fintech. L’essor des paiements digitaux, par exemple, a été facilité par les habitudes d’achat en ligne et mobiles prises très tôt par les nouvelles classes moyennes. Dans un univers de consommation où l’Alipay d’Alibaba règne en maître, rien de surprenant à ce que plus de 425 millions de Chinois considèrent désormais leur mobile comme leur portefeuille. Quant au prêt, la culture du e-commerce a là encore été décisive. Alibaba et JD.com ont rapidement compris la nécessité de faciliter l’accès au crédit, dans un pays où les banques
prêtaient quasi exclusivement aux établissements publics. Ils ont ainsi proposé à leurs utilisateurs d’emprunter directement via leur site jusqu’à 10 000 yuans. Ce type d’initiatives a ouvert la voie à l’émergence des plateformes de crowdlending, dont le nombre a explosé ces dernières années, passant de 214 en 2011 à 3 000 en 2015, mais aussi de microcrédit à l’instar de Qudian. Et même si l’environnement réglementaire grandissant a eu pour effet d’assainir fortement le marché ces derniers mois, les cartes ont d’ores et déjà été redistribuées.

Les ambitions à l’export du « made in China »

Et ce dynamisme n’est pas prêt de s’arrêter. Dans une étude présentée le 20 avril dernier, la banque d’affaires GP Bullhound a ainsi souligné que « la solidité de l’économie domestique et du marché du e-commerce, les forts taux d’investissement, le soutien de l’environnement de régulation et l’intérêt des entreprises et consommateurs sous-bancarisés pour des services numériques vont continuer d’alimenter le secteur chinois des fintech et les valorisations de premier plan ». De l’autre côté du globe, les Etats-Unis et l’Europe regardent avec envie ce succès, alors que seuls 4% des Français savent « à peu près » ce qu’est une Fintech. Malgré une appétence en hausse vers les nouveaux services financiers proposés par les startups comme Bankin’ et Linxo, les consommateurs occidentaux continuent de montrer certaines réticences à changer leurs habitudes. Et notamment en ce qui concerne la gestion de leur argent. Mais ce constat est loin d’effrayer les Fintech chinoises, bien décidées à ne pas se cantonner à leur succès domestique et à s’engager dans une conquête internationale. Alipay déploie ainsi une stratégie de partenariats aux côtés de banques européennes, comme BNP Paribas ou Banque Edel en France. Le but : élargir la part des commerçants susceptibles d’accepter les transactions réalisées par les touristes chinois avec Alipay. Finalement, pendant de longues années, la Chine s’est inspirée des modèles financiers occidentaux pour construire et gérer son propre écosystème. Désormais, ce sont les champions de la Fintech « made in China » qui comptent bien s’imposer au monde entier. La question est de savoir s’ils parviendront à rassembler les foules comme ils ont su le faire sur leur propre territoire.

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