Pour attirer et fidéliser les bonnes compétences, CIO et CDO appellent à une révolution dans la gestion des données RH

Pour se doter de compétences d’avenir au sein de sa direction du numérique, une entreprise doit faire plus que cocher les cases reprenant les buzzwords du moment. Un changement d’approche est nécessaire dans la gestion de toutes les données qui sont à la croisée des chemins entre l’IT et les RH. C’est ce qui ressort des échanges avec une sélection de chief information officers et chief data officers lors d’un atelier organisé par Alliancy en partenariat avec Workday, dans le cadre de notre enquête 2023 sur la « Guerre des talents IT ».

Synthèse DNM - Workday n°3 - Data RHLes directeurs des systèmes d’information, les directeurs data et les directeurs des ressources humaines ont-ils vraiment la même vision des évolutions nécessaires pour recruter et fidéliser des compétences IT ? Rien n’est moins certain ; avec à la clé des frictions régulières qui nuisent à l’attractivité des organisations. « Les DRH ont globalement compris que la vision historique du « salarié qui reste vingt ans dans l’entreprise » n’est plus la norme. Pour retenir les collaborateurs et innover, les initiatives originales se multiplient : marketplace de talents inspirée de la gig economy, animation de communautés… Reste que bien souvent, les SIRH traditionnels ne répondent plus aux enjeux d’une approche centrée sur les « skills » qui doit être plus agile et décloisonner l’entreprise. Heureusement, les technologies AI/ML sont aujourd’hui éprouvées et même nécessaires pour proposer un référentiel d’aptitudes à jour et prêt à l’emploi, faciliter la captation d’informations justes et proposer des recommandations. Il est urgent de se donner les moyens de faire émerger cette vision « skills-centric », résume Christophe Duloutre, Régional Sales Director de Workday, qui a participé aux échanges sur le sujet avec les CIO et CDO organisés par Alliancy.

Ce décalage entre les besoins actuels et ce que permet réellement de faire le système d’information RH d’une entreprise est bien ressenti au sein des DSI. Ainsi, Cédric Nguyen, Corporate Application Director de Fareva, spécialiste de la sous-traitance industrielle dans le secteur pharmaceutique et cosmétique, détaille la situation à laquelle il est confronté : « Notre système d’information est très hétérogène, avec un fort héritage. Cela ne nous empêche pas d’avoir beaucoup d’éléments orientés RH, concernant les CV et les formations par exemple… En revanche, nous n’avons pas assez la « vue du collaborateur » sur d’autres sujets, comme les langages que préfère un développeur, les communautés professionnelles auxquelles appartiennent nos équipes ou encore les écosystèmes qui animent leur progression et leur montée en compétence, par exemple sur l’open-source. Ces éléments additionnels seraient pourtant nécessaires pour se projeter sur les évolutions à moyen terme, qu’elles soient d’ordre individuel ou collectif ».

D’autant que Fareva a connu une forte croissance en quelques années, passant d’environ 5000 salariés en 2009 à 13 000 aujourd’hui. « Dès qu’une entreprise grandit, elle va avoir du mal à savoir avec précision de quelles compétences elle dispose à « l’instant T », au-delà des fiches de poste ; compétences pourtant bien présentes dans les équipes et dont elle aura besoin à l’avenir. Or, en parallèle, nous sommes presque aveugles sur l’état des filières de formation : qu’est-ce qui change, qui en sortira et est-ce que cela répond vraiment à nos besoins ? » explique Cédric Nguyen.

Cette problématique de cartographie des compétences est centrale pour comprendre les défis d’attractivité auxquels sont confrontées les directions numériques des entreprises aujourd’hui, car elle entraîne de nombreux autres questionnements. « LinkedIn donne souvent plus d’informations pour connaître les collaborateurs que les outils RH internes plus traditionnels. En parallèle, on a, au niveau ressource humaine en général, du mal à suivre les changements de définition des nouveaux postes dans le domaine de la data par exemple ; de même pour créer des parcours spécifiques afin de fidéliser les talents. Pourtant, nous vivons à une époque où l’idéal serait de pouvoir composer des équipes à la volée pour des missions, en s’appuyant par exemple sur les capacités des LLM (Large Language Models). Mais où sont réunies les données qui permettront cela ? Aucune entreprise n’a cette bonne organisation des connaissances qui le permettrait », met en avant Florian Caringi, manager et leader Big Data & Data Architecture au sein du groupe BPCE.

« Tous les corps de métiers dans l’entreprise sont confrontés à ces problématiques de cartographie de compétences, de vision managériale, de coopération avec les RH… mais au niveau IT, elles sont exacerbées. Le défi de la collecte et de la consolidation des données qui seront essentielles pour relever les enjeux actuels de la guerre des talents ne doit pas être ignoré. Comment convaincre les collaborateurs d’alimenter eux-mêmes les systèmes avec leurs données ? Comment démocratiser ensuite ces données RH pour les rendre accessibles ? Au-delà de l’évolution culturelle nécessaire dans l’entreprise, c’est aussi au système d’information de s’adapter en conséquence. » – Guillaume Viry, Regional Sales Director de Workday.

Un constat également partagé par Thomas Germain, le chief information officer du groupe français de construction et de BTP, Spie Batignolles. Celui-ci pointe en particulier l’enjeu très fort et les confusions qui existent sur les nouveaux métiers de la data et de l’IA : “Il y a clairement de nombreux nouveaux métiers à catégoriser et à mieux définir pour un pilotage des compétences et des carrières en phase avec les enjeux actuels. Typiquement sur la data, on voit encore énormément de confusion sur les typologies de postes, qu’ils soient rattachés aux entités métiers, à l’IT ou à une entité dédiée « data lab ou fab ». Il n’y a pas de secret : pour clarifier la donne, il faut travailler avec les RH. Et contrairement à ce que l’on peut parfois entendre, mon expérience montre qu’ils sont souvent très réceptifs et force de propositions intéressantes sur ces sujets. Plus la discussion avance, plus il sera possible de parler avec eux des enjeux structurants des filières transverses dans l’entreprise. Cela ne concerne pas seulement la transformation par la data ; les sujets RSE sont un autre bon exemple. Et dans tous les cas, il s’agit de leviers d’attractivité essentiels pour nos organisations.”

Formaliser et animer les filières internes

« Tout le monde est confronté à la difficulté de détecter et comprendre les compétences dont l’entreprise dispose en interne, et d’autant plus sur les nouveaux métiers comme ceux de la data. Ces compétences n’apparaissent tout simplement pas dans les SIRH. », abonde Gérard Guinamand, qui a été le chief data officer au niveau groupe d’Engie entre 2018 et 2022, après une longue expérience en tant que chief information officer. Il considère cependant qu’il ne s’agit pas d’une fatalité. « Il faut se donner les moyens de dépasser cette limite, car on peut avoir de très bonnes surprises par exemple en organisant des hackathons pour débusquer des férus de data science parmi des collaborateurs. Proactivement, il est aussi important de créer une filière data au sein de l’entreprise. Les postes data sont souvent répartis au sein des DSI, des business units, des entités data elles-mêmes… La compétence est partout, mais sans cohérence, sans animation de filière, l’entreprise passe à côté de cette richesse. L’existence d’une filière data permet de valoriser ces compétences en interne comme à l’externe, afin d’attirer et de fidéliser des talents. Il faut créer une filière data au même titre que les autres filières comme les achats, la sécurité… » propose-t-il.

« Le recrutement de profils Data relève aussi du secteur d’activité, et si le monde de l’Assurance n’est pas en manque de données, un prisme réglementaire est souvent pesant et moins attractif… Les technologies à disposition pour l’exercice du métier sont aussi un facteur important d’attractivité des candidats. Enfin et avec en plus un marché sous tension, ce type de recrutement vire assez rapidement au casse-tête » – Benjamin Rameix, CIO du groupe d’assurance Prévoir.

En détaillant la double valorisation des compétences nécessaire en interne comme vers l’externe, Gérard Guinamand pointe aussi une tout autre dimension aux enjeux d’attractivité auxquels sont confrontées les organisations : ceux de l’entreprise étendue. Une perspective sur laquelle insiste Pejman Gohari, le Chief Data Officer en France de KPMG, réseau international de cabinets d’audit et de conseil, qui emploie 265 000 personnes dans le monde.

Il détaille cette préoccupation qui passe encore trop souvent inaperçue : « Quand on parle de course aux talents et d’attractivité des entreprises, il est nécessaire d’élargir le débat. On doit en fait gérer trois communautés de talents différentes. D’une part, les collaborateurs que l’entreprise attire et doit fidéliser. C’est généralement la communauté à laquelle tout le monde pense. Ensuite, les talents et candidats qui gravitent directement autour de l’entreprise et dont certains sont souvent tout aussi engagés que les collaborateurs. C’est particulièrement vrai pour nos métiers de l’IT et de la Data. ». En effet, dans de nombreuses directions des systèmes d’information, la part des prestataires externes qui travaillent au quotidien avec les équipes atteint régulièrement 50%, voire plus, selon les participants. La connaissance et l’animation de ces « collaborateurs presque comme les autres » est donc un enjeu à part entière, alors que l’entreprise a souvent encore moins de visibilité sur leurs compétences et leurs perspectives d’évolution que pour ses propres salariés.

« Enfin, il y a aussi la communauté un peu vite oubliée de tous les partenaires de l’écosystème qui contribuent aux nombreuses briques de nos systèmes d’information et dont les talents sont précieux ; et notamment dans le cas d’une stratégie d’utilisation, voire de développement de briques open-source. », ajoute Pejman Gohari. « Sur nos sujets actuels, comme la transformation IA/Data, si l’entreprise ne se concentre que sur la première communauté, voire sur les deux premières, elle aura du mal à rester dans la course. Ces trois communautés constituent les piliers structurants d’une stratégie de talents sur le marché spécifique de la Tech & Data. » conclut-il.

Une transformation IT-RH ambitieuse : l’exemple d’Equans

Emmanuel Gachet, Chief Information Officer d’Equans a pu témoigner lors de l’atelier organisé par Alliancy et Workday de la profondeur des transformations menées chez Equans. Un projet mené en quelques mois, alors que l’entreprise française de services multitechniques de près de 80 000 salariés, auparavant filiale d’Engie, a rejoint le groupe Bouygues en 2021 :

« Quand nous avons quitté le Groupe Engie et rejoint le Groupe Bouygues, notre enjeu a été de recréer à partir d’une feuille blanche tout notre modèle opérationnel informatique, en transformant la majorité de notre legacy. Il a donc fallu identifier toutes les compétences dont nous allions avoir besoin, en priorité en interne. L’héritage de notre GPEC précédente ne suffisait pas pour cette identification : il nous a fallu lancer un véritable appel à candidatures. Heureusement, le caractère exceptionnel du projet a permis d’attirer de nombreux talents internes et externes. Nous sommes maintenant dans la deuxième phase : consolider la base de compétences et faire en sorte qu’elle s’auto-alimente et se mette à jour en continu. En plus des axes de formation obligatoires, les collaborateurs peuvent utiliser la plateforme eux-mêmes, car nous les encourageons à étendre leurs champs de compétences techniques informatique afin d’être toujours en phase avec les nouvelles technologies. »