[Chronique] Faire coopérer les générations dans l’entreprise : l’éveil d’un tout autre management

De la révolution technologique à celle de l’agilité, notre chroniqueuse Dominique Popiolek achève sa série de textes consacrée à la métamorphose d’une responsable RH. Elle y décrit la prise de conscience de celle-ci de la nécessité d’une profonde transformation managériale pour devenir une « joueuse-transformatrice ».

Faire coopérer les générations dans lentrepriseVous souvenez-vous d’octobre 2000, lorsque le Nokia 3310 a fait son apparition sur le marché, marquant un tournant dans l’industrie mobile ? Et quelques mois avant cette révolution, ne nous prédisait-on pas le redoutable bug de l’an 2000 ? Le monde informatique devait s’arrêter. Nous étions suspendus à nos montres ; en vain. Toutefois, la première bulle internet a, elle, bien volé en éclats quelques mois plus tard et de nombreuses start-ups ont alors déposé le bilan.

Pouvez-vous imaginer les défis et les incertitudes qui pesaient déjà sur nous à l’époque ? Aujourd’hui, alors que d’autres technologies apparaissent, le monde technologique va vite. Trop vite.

En l’occurrence, on constate deux réactions à cette vitesse dans le monde de l’entreprise  :

  1. celle à l’avant-garde du progrès, avec ce sens du timing dans l’innovation
  2. celle des entreprises traditionnelles qui ressentent ce dépassement constant, l’écart croissant entre ces nouvelles technologies et leur (non) adaptation.

Le contraste est d’ailleurs saisissant entre le rythme effréné de l’innovation technologique et la lente adaptation des entreprises établies.

Maintenant, en tant que décideurs, comment pouvons-nous tirer des leçons de ces moments clés de l’histoire ? Comment pouvons-nous appliquer la détermination et la créativité qui ont permis de surmonter ces obstacles de début de siècle, à nos propres défis actuels ?

Dans ces chroniques, nous avons suivi les aventures de Martine, une responsable GRH, au sein d’une entreprise en profonde transformation. Que peut-elle faire pour maintenir un dynamisme constant des équipes, et accepter cette transformation perpétuelle ?

Nous l’avons dit, Martine expérimente d’une façon ou d’une autre l’agile depuis le début des années 2000. Alors que nous approchons de la fin de ce premier quart de siècle, il convient de le répéter : il ne suffit plus de prôner l’agilité pour vraiment évoluer.

C’est une véritable quête de sens pour elle comme pour les collaborateurs à laquelle Martine se confronte. Et de petits changements en grandes transformations, Martine réaffirme avant tout l’importance de l’humain dans les processus.

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Le constat de Martine

Faisons le point. Martine, femme engagée dans sa carrière professionnelle, a vécu pendant longtemps dans un monde où elle suivait le rythme effréné des transformations sans vraiment en percevoir la profondeur ni le sens.

Les changements se succédaient, mais elle ressentait de plus en plus de frustration, comme si quelque chose d’essentiel lui échappait. Un jour, alors qu’elle marchait dans la rue, un événement insignifiant allait tout changer.

Un vieil homme s’était arrêté pour regarder les ouvriers en train de construire une toute nouvelle route. Cette vision anodine, pourtant métaphorique, éveilla quelque chose en elle. Elle observa les ouvriers avancer avec détermination, chaque pas ajoutant une nouvelle pièce à cet immense puzzle qu’était le chantier en cours. Cette image se superposa alors étrangement à une scène du film « Inception » de Christopher Nolan qu’elle avait récemment revu.

Comme dans le film, où les rêves étaient imbriqués les uns dans les autres, elle commença à ressentir que sa réalité pouvait également se déconstruire pour être reconstruite d’une manière nouvelle et significative. L’architecture familière de sa vie professionnelle, tout comme l’image haussmannienne dans le film, peut se désagréger pour laisser place à de nouvelles potentialités immédiates. C’est en effet un assemblage qui ressemble davantage à des réseaux entremêlés , holistique, plutôt qu’à un ordre hiérarchique absolu.

La vérité est multiple. Une compréhension éclairée est alors née dans l’esprit de Martine : l’importance de la symbiose, du travail en équipe, où chacun contribue à sa manière, était de nature à remplacer le traditionnel modèle de management directif.

Le monde à deux vitesses qu’elle avait toujours connu prenait soudainement un autre sens.

Les transformations incessantes prenaient une nouvelle teinte, plus lumineuse, porteuses d’opportunités et de défis passionnants.

Martine s’est alors questionné : Comment évoluer sur son propre chemin ? Comment dessiner cette nouvelle route constante au fil de ses pas ? Comment mettre en place concrètement cette transformation ?

Martine se rendit compte que cette nouvelle perspective ne relevait pas d’une simple illusion. C’était une réalité à laquelle elle aspirait, un avenir où les changements n’étaient plus subis passivement, mais où elle pouvait contribuer activement à façonner son environnement. Ainsi, animée par cette nouvelle prise de conscience, notre GRH pouvait enfin avancer sur sa route en construction, pleine de détermination et de curiosité.

Et dans ce processus, elle pouvait dès lors découvrir un sentiment profond d’accomplissement et de connexion avec le monde qui l’entourait. Future réalité ou sentiment illusoire ?

L’exaspération de la quête de sens de Martine face à l’univers multiple de la jeune génération

Consciente de son propre éveil sur ces questions épineuses, Martine n’en fait pas moins face à l’arrivée des générations Y, Z, A…  L’ultra connexion est en effet devenue la norme dans des mondes virtuels où chacun est challengé dans la place qu’il occupe dans le monde. Martine, elle, dialogue encore avec l’ancien monde : elle doit par exemple répondre à des impératifs de reporting incessants.

Les générations ultra-connectées sont avides d’attention, et elles attendent du monde dans lequel elles interagissent avant tout de la reconnaissance. En quelques mots : arrêtons la confrontation, offrons-nous plutôt la construction de l’entreprise où le management vivant organique fait sens et se substitue progressivement à un monde affairiste, individualiste, et d’une certaine façon oisif.

Reste pour Martine de nombreuses questions : comment appréhender l’urgence au quotidien d’une transformation organisationnelle multiple ? Comment donner du sens au monde du travail quand le virtuel devient réalité ? Comment structurer les nouvelles valeurs de la jeune génération tout en faisant le lien avec l’ancien monde ? Comment agir différemment lorsque les cadres changent ?

Le monde virtuel lui a appris à progresser et à reconnaître ses progrès. Quant aux autres générations, elle se questionne sur ce que le travail au quotidien représente pour elles. Autrement dit, alors que le monde du travail devient un tout autre terrain de jeu, l’ancien monde se questionne encore sur la validité de ses règles en place.

Tel le Bartleby de Melville face à un fonctionnement trop traditionnel en affirmant son célèbre : « je préférerais ne pas », elle se trouve face au nouveau monde presque incompréhensible.

Martine réfléchit et souhaite donc écrire l’histoire différemment dans son entreprise.

La réflexion de Martine sur l’impact de la jeune génération sur le monde du travail

A partir de là, Martine, observatrice attentive, commence donc à décrypter les dynamiques intergénérationnelles qui se dessinent devant elle.

Elle constate que la Génération Z, malgré sa jeunesse, est déjà frappée par la fatigue précoce, un état qui contraste fortement avec l’énergie qu’elle devrait normalement incarner. Cette génération, baignée dans l’ère numérique, ressent le poids d’une société en constante mutation, laissant entrevoir une inquiétude quant à son avenir.

Pendant ce temps, la Génération Y, ayant traversé des périodes d’instabilité économique et sociale, a éprouvé l’épuisement. Elle a lutté pour trouver sa place dans un monde en pleine évolution, mais les batailles incessantes ont laissé des traces.

Les statistiques révèlent d’ailleurs un pourcentage alarmant de burn-out chez les 25 à 40 ans, témoignant des conséquences de cet épuisement.

De l’autre côté, la Génération X se maintient avec détermination dans l’arène du monde du travail. Elle jongle entre les responsabilités professionnelles et les aspirations à transmettre l’héritage qu’elle a laborieusement construit. Cet empire, forgé à la sueur de leur front, représente une fierté et un lien tangible avec le passé.

La prise de conscience de la nécessité d’une transformation profonde pour l’entreprise

Tout en explorant ces différentes réalités, Martine commence à percevoir un schéma récurrent. Chaque génération semble emprisonnée dans ses propres règles, ses propres défis, et ses propres opportunités.

Elle comprend que la Génération X détient la sagesse et l’expérience nécessaires pour guider cette transformation, tandis que la Génération Y peut apporter l’énergie et l’innovation indispensables. Et la Z est, depuis quelques années déjà, dans ce nouveau jeu entreprenant : connecter les différents réseaux entre eux.

Martine se retrouve devant un choix : s’immerger dans chacun de ces univers distincts ou baisser les bras.

Elle est alors confrontée à une nouvelle série de questions :  Comment peut-elle jouer, elle personnellement, un rôle dans cette transformation nécessaire ? Comment peut-elle mettre à profit les compétences et les expériences de chaque génération pour créer un nouvel ensemble de règles du jeu qui mènera à la réussite de l’entreprise dans sa globalité ? Comment intégrer ces enseignements dans sa propre quête personnelle de GRH ?

La métamorphose individuelle de Martine

Alors que Martine avance dans cette mosaïque générationnelle, le champ des possibles s’ouvre. Elle remet en question ses méthodes passées, reconnaissant la flexibilité et l’apprentissage permanent comme essentiels pour s’adapter aux changements et à explorer bien au-delà de l’approche agile, son terrain de jeu initial.

Ce véritable éveil personnel implique l’ouverture à de nouvelles approches et à l’apprentissage devient primordiale. Martine comprend qu’elle doit embrasser l’innovation, cultiver une mentalité ouverte et relever les défis complexes avec curiosité.

Cet état d’esprit, conjugué à son engagement envers la transformation de l’entreprise, la propulse en avant. Martine reconnaît aussi que la réussite de sa métamorphose dépend de sa capacité à interagir, inspirer et guider les individus à travers le changement. L’élément humain joue bel et bien un rôle clé.

Comment Martine évolue et s’éveille à ce nouveau monde ?

Plongée dans le livre « Manager autrement » (Editions ENi), Martine découvre comment diriger avec une approche plus humaine, créant un environnement qui favorise la collaboration et l’épanouissement. Certaines portes doivent être fermées derrière elle pour lui permettre de progresser, tandis que d’autres restent entrouvertes, symbolisant des opportunités à explorer.

Cependant, elle est déterminée à pénétrer des espaces inexplorés et à dépasser les frontières conventionnelles. Elle réalise que son rôle est celui de « joueuse-transformatrice ». 

Cela lui confère une responsabilité cruciale : celle d’être le lien entre ces univers, de comprendre leurs dynamiques uniques et de fusionner les meilleures stratégies de chacun.Elle sait que ce « jeu en 3D » exige des mouvements créatifs et stratégiques, et elle est prête à pousser la métaphore avec finesse en jouant avec les différentes parties des organisations.

Pour le résumer simplement : le rapport à l’équipe devient son terrain de jeu par excellence.

Le droit d’errance au service de la transformation de l’entreprise

Dans cette aventure, Martine découvre surtout le pouvoir du droit d’errance. Elle encourage son équipe à briser les normes, à explorer de nouvelles voies et à innover sans crainte.

Cette liberté d’action stimule la créativité et la confiance, incarne le droit d’OSER, d’être hors NORME (notez les majuscules).

Martine se positionne dorénavant en tant que catalyseur, encourageant la coopération et libérant le potentiel de chaque membre. Elle sait que l’engagement et l’autonomie naissent de la confiance et du soutien.

Tel un « role player » assumant différents avatars, elle s’adapte à chaque situation, favorisant la créativité, l’innovation et la performance collective.

Elle est à la fois : propulseur, catalyseur, expanseur… pour créer un environnement où chacun peut s’épanouir, dans le respect des autres, tout en contribuant à la performance de l’ensemble.

Intégrant pour son propre compte les notions de la boussole émotionnelle, elle invite chacun à faire de même pour être soi, et accepter l’autre dans sa pleine intégrité.

Travailler ensemble quotidiennement et établir la confiance sont les fondements d’une équipe solide. Martine incarne ainsi les valeurs du CIDS – Courage, Intuition, Défi, Sens commun – et encourage son équipe à prendre les différents rôles proposés par la boussole émotionnelle.

Au fur et à mesure que Martine guide son équipe vers un état d’épanouissement et d’autonomie, une métamorphose de plus en plus profonde s’opère. L’équipe devient une force collective, fusionnant les talents individuels pour créer des résultats exceptionnels.

 Son engagement envers le changement et son désir de créer un avenir authentique font d’elle un pilier de cette métamorphose de l’entreprise.

Martine réalise alors que « Manager autrement » ne se limite pas à un simple rôle de gestionnaire de ressources, mais que c’est une véritable spirale d’évolution, de découverte et de croissance.

Puisse son histoire inspirer d’autres à opérer, en chacun de nous, l’éveil de l’imago. Et engager l’entreprise sur le chemin d’une conscience collective.