#COVID19 : réseaux et hébergements face au « new normal »

L’explosion du nombre de personnes confinées chez elles du fait de la crise sanitaire en cours a été annoncée comme un risque important pour les réseaux. Le télétravail et le streaming vidéo menacent-ils Internet ? Après plusieurs jours, force est de constater que le poids des usages ne pèsent pas de la même façon sur tous les « réseaux ».

#COVID19 : réseaux et hébergements face au « new normal » « Coronavirus, le réseau Internet va-t-il résister aux mesures de confinements ? » ou encore « Le Covid-19 va-t-il casser les réseaux ? ». Entre le 16 et le 20 mars, les gros titres se sont multipliés sur les risques hypothétiques de saturation que pouvait avoir sur nos réseaux le confinement généralisé face au nouveau coronavirus. Et effectivement, ont suivi dans la foulée des articles sur les ralentissements ressentis à Barcelone après la mise en place des mesures restrictives, sur Microsoft Teams par les télétravailleurs les 16 et 17 mars, ou encore sur les pannes en France connues par SFR ou Bouygues Telecom. Ainsi l’opérateur du groupe Bouygues a-t-il envoyé le vendredi 20 mars un e-mail à tous ses abonnés indiquant les « gestes simples pour vous aider et pour aider tous ceux qui, comme vous, ont besoin de se connecter pour garder le lien avec leurs collègues, leur famille et leurs amis. » Autrement dit, privilégier le wifi, faire ses téléchargement en heure creuse, éviter le partage de connexion ou encore ne pas regarder de vidéo en 4K. Sur ce dernier point d’ailleurs, les Netflix, Youtube et autres AppleTV avaient pris les devant en dégradant les paramètres de qualité de diffusion de leurs offres… alors que plus de 60% de la consommation de données mondiale vient du streaming.

« Pas d’impact significatif »

Alors, saturation et blackout ? Le scénario serait de nature à faire paniquer : que fait-on à titre individuel et collectif sans Internet en 2020 ? Depuis quelques jours, un peu plus de finesse d’analyse a repris ses droits, autour d’une question simple : de quelques réseaux parle-t-on exactement ? « On voit que les réseaux tiennent » résume Godefroy de Bentzmann, président du Syntec Numérique en saluant le rôle des acteurs du numérique dans le maintien de l’activité de nombreuses entreprises face à une situation inédite. Une analyse partagée par Cisco, l’un des principaux fournisseurs des opérateurs télécoms : « Nous sommes ainsi dans une situation inédite où nous avons déjà atteint un niveau de connexion prévu dans 3 ans. […] Ce changement n’entraîne pas d’impact significatif sur le réseau. Et même si les heures de pointe devaient dépasser 30 à 50% de trafic supplémentaire, la plupart des infrastructures Internet saurait le gérer, et ce dans des proportions encore plus importantes » a tenu à souligner l’entreprise dans un e-mail. En précisant : « Tous les opérateurs télécoms ont des ingénieurs de trafic IP et des ingénieurs de peering qui surveillent de très près les modèles de trafic Internet, aidant à équilibrer le trafic sur des centaines, et dans certains cas, des milliers de points de peering. »

En effet, le terme « Internet » a eu vite fait de cacher la variété de ce dont il est réellement question. Déjà entre les réseaux « fixe » et « mobile », ce qui a conduit les opérateurs télécoms grand publics à conseiller le passage, grâce au wifi, sur les réseaux fixe, plus résilient que la 3G et la 4G notoirement aléatoire en cas de surcharge. Mais ensuite, au sein de cette partie « fixe », il faut veiller à différencier les réalités entre des connexions locales – notamment en campagne – qui pourraient subir quelques soubresauts du fait de leur dimensionnement peu important, et celles des véritables « autoroutes » qui traversent les océans et relient les grands pôles internationaux entre eux. Par mesure de sécurité, Orange a cependant annoncé au micro de RTL par la voie de Stéphane Richard, son pdg, son intention de doubler les capacités des câbles transatlantiques, car la dépendance aux services des GAFAM américains reste avérées en France et en Europe.

Les hébergements locaux sous pression

Cet enjeu de « taille de tuyaux » est différent par contre des problèmes liés à des usages ciblés, avec des services particuliers qui sont mis hors services par le nombre de sollicitations simultanées qu’ils reçoivent. C’est-à-dire la problématique d’hébergement des services en tant que tel. C’est par exemple le nombre de requêtes qui a rendu inopérant le site sur le dispositif d’activité partielle mis en place par le gouvernement à la mi-mars, ou encore provoqué de nombreux bugs et ralentissements sur Microsoft Teams face à l’afflux d’utilisateurs (12 millions d’utilisateurs quotidien de plus lors de la première semaine de crise, à ramener à 32 millions habituellement). Ces problèmes de saturation locale ne sont pas une « saturation » d’Internet, ce qui aurait en soi peu de sens. D’ailleurs, ils ont pu être réglé relativement rapidement, Microsoft prenant ainsi des dispositions pour les « fonctionnalités non-essentielles » comme la réduction de la résolution des flux vidéo, de la synchronisation autour des indicateurs de présence ou encore de la visualisation des utilisateurs en train de rédiger un message sur le chat.

Les hyperscalers et la neutralité du net

Au final, ces problèmes ne sont pas s’en rappeler « l’ancien monde », où les serveurs de nombreux services se retrouvaient mis à genoux du fait de fêtes de fin d’année, d’opérations spéciales (soldes…) ou encore du lancement de nouvelles offres mal dimensionnées. Le cloud public a apporté ces dernières années des réponses à ces problèmes de mise à l’échelle et d’élasticité (pour éviter que les organisations aient à provisionner longtemps à l’avance des capacités qu’elles n’utiliseraient que pendant un temps limité). Les opérateurs de cloud eux-mêmes ne sont pas exempts d’une adaptation à la situation actuelle, mais AWS et Google ont abondamment communiqué sur le fait que leur quotidien d’ « hyperscaler » était justement de gérer de telles hausses de demande. Microsoft de son côté a évoqué la possibilité de gérer des « accès prioritaires » pour les nouvelles capacités débloquées face à la crise.

Ce point des priorités des consommations est sans doute la source de différence la plus importante entre les Etats-Unis et la France, alors que dans l’Hexagone la crainte pour la « neutralité du net », c’est-à-dire la gestion totalement agnostique des contenus transitant par les réseaux, a déjà été soulevée. Outre-Atlantique, le principe avait été évacué – non sans protestations – lors d’un vote de la FCC, la commission fédérale des communications, il y a deux ans.

En France, sur ce point, les autorités se veulent rassurantes. « Il ne faut pas que la situation actuelle soit prétexte à des raccourcis qu’on regretterait plus tard. Personne ne veut remettre en cause la neutralité du Net, je n’ai pas entendu cela du côté des opérateurs » a ainsi déclaré récemment au journal Le Monde, Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, l’autorité nationale de régulation des télécoms. En précisant que le cadre légal cadre européen permet aujourd’hui de procéder à des adaptations sur le trafic sans remettre en cause les fondements d’égalité rattachés à la neutralité du net, il en appelle donc à la « responsabilité morale » de tous les opérateurs face à une situation de crise que de plus en plus d’acteurs considèrent comme le « new normal ».