Dialogue social : DRH et élus sont « fatigués »

Les « ordonnances Macron » de 2017 ont profondément modifié les règles du jeu du dialogue social dans les entreprises françaises, avec un objectif annoncé de simplification et de rationalisation.

DRH et élus sont fatigués Les ordonnances Macron ont-t-elles créé les conditions permettant aux partenaires sociaux de mieux affronter les défis contemporains ? Que reste-t-il à mettre en œuvre pour avancer vers un dialogue social constructif à tous les niveaux dans l’entreprise ?

Pour répondre à ces questions, l’Ipsi (Institution pour le Progrès social dans l’Industrie) et la Chaire de recherche Mutations-Anticipation-Innovations de l’IAE Paris-Sorbonne Business School organisaient récemment une conférence donnant la parole à des chercheurs, DRH et représentants syndicaux sur le sujet.

C’est Marcel Grignard, co-président du Comité d’évaluation des ordonnances (France Stratégie) et grande figure du syndicalisme français, qui a ouvert le débat en synthétisant un rapport de plusieurs centaines de pages.

Pour mémoire, les ordonnances ont notamment fusionné toutes les instances de représentation du personnel (IRP : délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail) au sein du comité social et économique (CSE).

Malgré des effets positifs de réduction de certains doublons, on constate sur le terrain une vraie difficulté à traiter de la vie au travail : de l’exercice quotidien et des réalités des salariés. Le CSE est souvent embouteillé. « Les élus rencontrent des difficultés, mais les DRH aussi, a souligné Marcel Grignard. Le mot qui convient le mieux aux deux est peut-être celui-ci : fatigue. »

Le risque est avéré d’un dialogue social qui se ferait sur une base plus étroite, avec moins de prise sur le terrain et un glissement vers le formalisme et l’institutionnalisme encore plus grand qu’autrefois – à l’opposé donc des objectifs initiaux.

Un certain nombre de problèmes sont antérieurs aux ordonnances. La montée des demandes individuelles, la volonté d’être dans une entreprise qui donne du sens… les défis sont très nombreux – et la crise sanitaire en a amené de nouveaux !

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Beaucoup de DRH craignent un renouvellement des CSE problématique faute de candidats. L’attractivité du rôle d’élu baisse. La représentation pourrait en devenir à la fois plus radicale et plus éclatée. Sous la douceur et la foi avérée de Marcel Grignard en sa discipline, on sentait percer une forme de tristesse.

Elodie Béthoux, sociologie, professeure à l’Université de Versailles Saint-Quentin, a présenté une étude de dix-huit mois menée dans sept grandes entreprises, depuis la négociation des accords CSE, jusqu’à leur mise en œuvre (164 entretiens). « La démarche de rationalisation consistait à centraliser, simplifier et intégrer. Résultats : une centralisation sélective, une simplification à construire et une intégration inachevée. »

Son confrère Jérôme Pélisse, professeur de sociologie à Sciences Po Paris et chercheur au Centre de sociologie des organisations, a travaillé sur la question de la proximité, les ordonnances ayant institué des « Représentants de proximité » (RDP).

« Les ordonnances sont là pour simplifier et rationaliser, mais elles poursuivent aussi deux objectifs moins affichés et tout aussi clairs : la diminution du nombre d’acteurs et de moyens d’une part, la « professionnalisation » des représentants du personnel d’autre part », a-t-il rappelé en préambule.

Or, la seule chose que précisent les ordonnances sur les RDP, c’est qu’ils ne doivent pas être élus. Dans les huit entreprises étudiées par l’équipe de Jérôme Pélisse (issues de quatre univers professionnels différents), le temps alloué aux RDP est extrêmement variable : de 0 à 30 heures par mois, avec des paliers intermédiaires de 8 heures par mois par exemple. « Les silences de la loi et cette liberté conventionnelle absolue sur les RDP n’ont pas forcément incité les entreprises à valoriser ce rôle. Ils ont peut-être donné l’idée au contraire qu’on pouvait s’en passer. »

« Simplifier, c’est compliqué », a résumé Florent Noël, directeur de la Chaire MAI et Responsable pédagogique du Master RH & RSE. Lors de la table-ronde qui a suivi, entre DRH et élus, Marcel Grignard a souligné que le dialogue social est une question de pratiques avant d’être une question de règles. « Nous avons besoin de règles certes, mais le changement de règles ne change pas les pratiques, comme le montrent à nouveau les ordonnances. »