Co-création – Mettre ses clients au travail

Les technologies digitales et les réseaux sociaux offrent aux entreprises la possibilité de réinventer la relation client, en les associant toujours plus étroitement à leurs activités. Du crowdstorming au store checking, voici quatre démarches marketing qui bouleversent le rôle et la conception du client.

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Fanvoice est une plate-forme collaborative

Sur Facebook, Haribo demande à ses fans d’inventer de nouveaux parfums pour ses bonbons Dragibus… Au terme de ce brainstorming digital, le Dragibus bicolore est né. Sur une plate-forme collaborative, Duracell sollicite les internautes du monde entier pour élaborer un concept de visuel publicitaire mettant en scène son célèbre lapin… Via une application sur smartphone, Mars fait appel aux consommateurs pour aller photographier l’implantation sur les linéaires de ses boîtes de riz Uncle Ben’s…

On pourrait multiplier ces exemples à l’infini, qui relèvent tous d’une même tendance, appelée co-création (ou marketing participatif). L’entreprise ne se contente plus de confier aux clients le soin d’acheter ses produits après avoir ingéré ses messages publicitaires, elle les sollicite pour les défendre ou les promouvoir sur les réseaux sociaux, lui apporter des idées, des formules ou des concepts innovants. C’est le crowdstorming pour imaginer une publicité, un logo ou un packaging ; le crowdsourcing pour s’acquitter d’un job de contrôle et de reporting… Un phénomène qui s’accélère par l’émergence d’acteurs spécialisés comme Creads, eYeka, Fanvoice, Mobeye… Ils organisent cette coopération à grande échelle, sur des outils numériques réunissant, parfois, plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs !

 

De la co-création, les marques attendent des bénéfices à plusieurs niveaux : un lien privilégié avec une communauté de clients et de sympathisants ; une connexion directe avec les attentes des consommateurs ; une image valorisée par cet exercice de démocratie participative digitale ; et, enfin, une injection massive d’idées et de créations, voire un renfort substantiel de main-d’œuvre, à un prix hypercompétitif. Quand une multinationale demande à la foule de concevoir un packaging ou un nouveau produit, elle se met en situation de recevoir un afflux de propositions, sans autre engagement qu’une rétribution de quelques milliers d’euros pour les plus originales. 

De quoi inquiéter les prestataires « classiques » et, au sein de l’entreprise, les équipes dont le travail est ainsi sous-traité au grand public. En mai 2014, la communauté des designers et leur syndicat professionnel s’indignaient des propos élogieux tenus par Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique, à l’égard d’une plate-forme de création participative. Et l’invitaient plutôt à légiférer sur le travail gratuit, un concours de crowdfunding faisant plancher des centaines de personnes pour n’en rémunérer in fine que deux ou trois. Aux marques, donc, de bien faire la part entre implication du client et sous-traitance low cost, dialogue avec le consommateur et opération de communication, co-création et ubérisation. Sous peine d’être moquées par cette foule connectée qu’elles prétendaient engager.

  1. Des clients créatifs 

Le crowdstorming est un brainstorming ouvert au plus grand nombre (clients, aficionados ou simples curieux de la marque) sur une plate-forme collaborative en ligne. L’entreprise y invite les consommateurs à émettre idées et avis sur un produit, un concept, une initiative. Et récompense en cadeaux divers les contributeurs les plus actifs. « Cette démarche est utilisée, entre autres, pour tester et faire évoluer une offre, détecter ou confirmer une tendance de consommation, améliorer l’expérience client », explique Gaël Muller, directeur général de Fanvoice, leader du crowdstorming en France. Direct Assurance a ainsi lancé sur la plate-forme collaborative Fanvoice, en mai 2015, une gigantesque séance de remue-méninges des
tinée à perfectionner YouDrive, une assurance auto-connectée*. Au total, l’assureur a réuni en ligne 500 clients et recueilli plus de 2 000 propositions. « En recourant à cette méthode, l’entreprise peut renouveler ses sources d’inspiration, coller aux attentes des clients et créer une communauté de fidèles. Elle réduit aussi le time-to-market d’un nouveau produit, en le testant auprès d’un large public », précise Gaël Muller. Mais, attention ! Faute d’un budget, d’une organisation et d’un suivi pour faire émerger et récompenser les meilleures idées, c’est la maxime d’Henry Ford, inventeur de l’automobile, qui risque de prévaloir : « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides. »

  1. Des clients sous-traitants

Le crowdsourcing (ou approvisionnement par la foule) s’assimile à une forme d’outsourcing… avec Monsieur Tout-le-Monde dans le rôle du soustraitant. L’entreprise ne se contente plus de récolter des idées, elle invite ses clients à une création tangible (logo, design, slogan, publicité, bande sonore, logiciel, algorithme…). Coca-Cola a ainsi proposé aux internautes, via la plate-forme communautaire eYeka, de concevoir une publicité sur le thème du « rafraîchissement énergétique ». « Nous travaillions avec des agences depuis un an, sans trouver la bonne formule. En crowdsourcing, nous avons reçu plus de 2 600 créations en provenance de 74 pays. Nous avons été bluffés par la qualité conceptuelle et technique de bon nombre d’entre elles », précise la direction du marketing du groupe. Les vainqueurs du concours, dans chaque catégorie, ont reçu des prix allant de 8 000 à 24 000 euros. Et leurs pubs se sont avérées très efficaces auprès des consommateurs. Avec le crowdsourcing, une entreprise passe d’un cercle restreint de prestataires à un vivier illimité de talents et de propositions, dans lesquelles elle peut puiser à loisir, en fixant elle-même les règles du jeu et de rétribution. 

  1. Des clients vigies

Pour une marque de grande consommation, la disposition et la présentation des produits dans les rayons,
plan large co-création l’étiquetage, la publicité sur les lieux de vente constituent des leviers commerciaux essentiels. Mais comment s’assurer de son implantation en magasin, sauf à entretenir un bataillon de contrôleurs ? Des start-up proposent ainsi de confier ce job (appelé store checking)… aux clients eux-mêmes.

Pionnière de la démarche, Mobeye a lancé, en 2013, une application qui a déjà conquis 150 000 utilisateurs, à qui elle propose des mini-enquêtes à réaliser dans des magasins proches. Il s’agit de renseigner une série de questions (emplacement d’un produit, ruptures de stock, prix affiché…) et de prendre des photos du rayon, en échange d’une rétribution allant de 3  à 10 euros. « Nous sommes capables de visiter jusqu’à 1 000 points de vente en moins de 24 heures », confie Pauline Parizot, responsable marketing de Mobeye, qui compte plus de 70 clients (Adidas, Hasbro, Nestlé, Total…).

Parmi eux, le Groupe Seb a levé sur l’application une armée de consommateurs pour évaluer l’effectivité de la mise en rayon et du lancement d’un robot cuiseur dans les grandes surfaces. « Cette solution nous a donné une vision objective de ce qui se passait en magasin, en un temps record. 60 % des points de vente ont été visités en moins de 24 heures ; 98 % en 5 jours », souligne Guillaume Nicolas, chef de produits chez Seb. Outre ce store checking instantané et massif, l’entreprise s’assure d’un lien direct avec une communauté de clients engagés. « La plupart nous ont apporté spontanément des informations sur nos produits, sur les distributeurs et sur nos concurrents », précise Guillaume Nicolas. Mobeye ou « œil de la foule » mérite bien son nom.

  1. Jusqu’à des clients livreurs

Dans une version extrême de co-création (mais encore rare !), les entreprises confient aux particuliers des tâches normalement dévolues à leurs collaborateurs. Exemple : DHL a lancé, à Stockholm, le service MyWays, qui transforme les habitants de la capitale suédoise en autant de livreurs potentiels. MyWays s’adresse aux clients qui n’ont pas le temps de retirer leur colis dans les points DHL, et désirent se faire livrer à une adresse et une heure spécifiques. Sur une application dédiée, ils entrent les détails du service demandé, et la rétribution qu’ils sont prêts à payer. Sur le même outil, des particuliers se proposent alors pour effectuer la livraison. L’heureux élu est payé électroniquement, une fois le colis remis. Un moyen pour beaucoup de Stockholmois d’arrondir leurs fins de mois… Et, pour DHL, d’offrir un service personnalisé à un prix défiant toute concurrence : le client fixe lui-même la rémunération. Une sorte d’auto-ubérisation, où l’entreprise délègue une partie de son activité aux consommateurs, en se contentant de prélever une commission sur leurs transactions.

Décathlon mise sur l’intelligence  collective 

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© Decathlon

Décathlon a inauguré Alive by Decathlon, un espace de 400 mètres carrés à Villeneuve-d’Ascq (59), dédié à l’innovation. Une démarche menée par Vincent Ventenat, Head of Innovation du groupe, qui décrit : « L’innovation est au cœur de notre démarche au quotidien. Du conseil en magasin, jusqu’au suivi des avis clients. » Plusieurs espaces de ce lieu s’adressent aux collaborateurs de l’enseigne, qui peuvent y expérimenter des projets et les mettre en œuvre rapidement. Parmi les technologies retenues, Décathlon a choisi la start-up Oorace pour son espace « relation clients ». Grâce à des beacons Bluetooth, dès qu’une personne pénètre dans la zone de test, elle est suivie et son parcours est analysé. Au travers des travaux de son Oorace Lab, la start-up, basée à Lyon et Clermont-Ferrand, a développé une expertise dans la géolocalisation indoor, l’identification de patterns de comportement, l’errance physique en magasin et la performance des systèmes de recommandations.

* Pay-as-you-drive : calcul de la prime  d’assurance en fonction de la conduite, analysée par un boîtier installé sur le véhicule.

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