Internet des Objets – L’industrie va être bousculée

Internet des objets - L'industrie va être bousculée

Le turboacteur GEnx de General Electric. Le service MyEngines, de General Electric, collecte les données de fonctionnement des moteurs d’avion, au cours des vols.

Par Alain Clapaud

Les objets connectés vont se multiplier dans les années qui viennent. Dès aujourd’hui, tous les industriels doivent intégrer cette nouvelle dimension, tant dans leur façon de concevoir et de fabriquer leurs produits que dans leur business model.

80 milliards, c’est le chiffre choc publié par l’Idate, voici quelques mois. Il s’agit du nombre d’objets connectés qui auront été vendus à l’horizon 2020. Mais Idate, Gartner ou IDC (voir encadré ci-dessous)… toutes les analyses prévoient une progression fulgurante de l’Internet des objets, un phénomène qui impactera toute l’industrie. D’une part, il y a aura des terminaux connectés à Internet, c’est-à-dire les smartphones, les tablettes et autres « phablettes »…, et, d’autre part, des objets intelligents, balances, bracelets, brosses à dents, montres connectés… Tous ces objets grand public bénéficient d’une très large couverture médiatique et connaîtront une forte croissance dans les années à venir. La généralisation du bouton d’appel d’urgence eCall, obligatoire dans toutes les voitures neuves vendues en Europe à partir de 2015, va imposer la voiture connectée sur nos routes. De même, tous les Français vont, tôt ou tard, disposer d’un compteur intelligent (Linky) et pourront suivre sur le Net l’évolution de leur consommation électrique ou de gaz quasi en temps réel. Mais, pour Samuel Ropert, analyste à l’Idate, la grande majorité de cet Internet des objets sera peuplée de « choses » beaucoup moins technologiques. « La plus grande part de l’Internet des choses se composera d’objets ne disposant pas d’intelligence, mais capable d’interaction. 85 % de ces milliards d’objets connectés à venir seront porteurs d’une puce RFID ou même d’un simple code-barres 2D, et donc porteur d’une information. » Dans un premier temps, les industriels vont déployer ces technologies pour optimiser leur supply chain. « Si la conjoncture actuelle freine les grands déploiements de puces RFID, les industriels et les grandes enseignes de la distribution peuvent espérer des gains significatifs dans l’efficacité de leur supply chain et dans la réduction de leurs stocks grâce à l’Internet des objets », ajoute l’analyste. Les industriels de l’automobile préfèrent poser des puces RFID sur les conteneurs et hésitent encore à doter chaque pièce détachée d’une puce pour des raisons de coût.

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En revanche, le secteur de la distribution lance les premiers déploiements massifs. Ainsi, aux Etats-Unis, Walmart a débuté le marquage RFID de l’ensemble des vêtements commercialisés par l’enseigne. Samuel Ropert souligne que « tout n’est pas encore parfait, notamment du point de vue de la protection de la vie privée, mais les tags RFID permettent de se passer de toute notion d’inventaire : l’enseigne, et donc le consommateur, peuvent savoir à tout instant quels modèles et quelles tailles sont disponibles en rayon à tout instant ». En France, Decathlon mène un tel déploiement RFID dans la plus grande discrétion. Dans les ateliers de fabrication, les choses évoluent aussi. Disposer d’une information en temps réel sur l’avancement des processus de montage, sur les pièces disponibles en bordure de chaîne est un bon moyen d’optimiser les stocks. Les obstacles sont nombreux, notamment dans les usines où plusieurs réseaux coexistent. « Cisco a équipé la plus grosse usine de véhicules électriques dans le monde en la dotant de capteurs IP afin d’être beaucoup plus fins, beaucoup plus rapides dans le suivi de la fabrication des véhicules, rapporte Eric Greffier, directeur business solutions & expertise de Cisco. Par rapport aux usines traditionnelles, dont les réseaux fonctionnent sur des réseaux propriétaires, migrer en IP et mettre en place des capteurs permet d’aller encore plus loin dans le flux tendu. Cela autorise aussi une supervision globale temps réel de l’ensemble des systèmes, automates de l’usine, ce qui n’est pas possible lorsque les réseaux sont distincts. »

Internet des objets - L'industrie va être bousculéeVers de nouveaux services additionnels
L’Internet des objets est aussi un moyen pour les industriels de prolonger la relation avec leur client, bien après la vente du produit. En stockant les données émises par les objets, ceux-ci peuvent offrir des services innovants, qui vont exploiter ces masses d’informations mémorisées en temps réel. Concevoir de tels produits et services imposera aux industriels de revoir la façon dont ils les mettent au point. Non seulement la part du logiciel embarqué devient omniprésente, mais il faut imaginer le produit avec le volet « communication », ce que l’on appelle le MtoM (communications machineto- machine), et le volet « serveur ». C’est la raison pour laquelle PTC, spécialiste de la CAO et de la gestion du cycle de vie produit, a récemment pris le contrôle de ThingWorx, un expert du MtoM, pour 112 millions de dollars. Cette nouvelle approche de l’expérience utilisateur ouvre la voie à de nouveaux services à haute valeur ajoutée très innovants. Ainsi, le service MyEngines, de General Electric (GE), collecte les données de fonctionnement des moteurs d’avion de la marque, tout au long des vols. L’analyse des données ainsi recueillies, près de 500 mégaoctets de données par vol, permet de détecter les signes avant-coureurs d’une panne et de remplacer les pièces potentiellement défaillantes avant même que la panne ne nécessite une immobilisation de l’appareil. GE s’est même allié avec Salesforce, éditeur d’une plate-forme CRM dans le cloud, mais aussi de Chatter, un réseau social d’entreprises. Les deux partenaires proposent GE Share, un réseau social où les compagnies aériennes, clientes de General Electric, peuvent échanger avec ses ingénieurs et ses techniciens de maintenance. Les moteurs eux-mêmes viennent « tweeter » en temps réel leurs données de fonctionnement pendant le vol. Un outil collaboratif pour améliorer les processus de maintenance, mais aussi un moyen unique de fidélisation pour l’industriel.

Des start-up à l’avant-garde
Si un géant tel que General Electric réfléchit à offrir des services connectés qui vont bien au-delà de la fonction première de ses produits, c’est que cette évolution est le début d’une période à hauts risques pour les entreprises. Ainsi, le dernier salon CES de Las Vegas a primé les objets connectés de Sen.se, Medissimo, Netatmo pour les français, Moneual, AlBrain, Skulpt ou Zensorium, pour n’en citer que quelques-unes (lire encadré sur le CES ci-dessus), autant de start-up qui ont pris de vitesse les géants mondiaux de l’électronique grand public. Car même ceux qui ont pris le train en marche de l’Internet des objets, tels que LG, Philips ou Samsung, peinent à inventer des objets de nouvelle génération qui rencontrent le succès auprès du public. « L’Internet des objets crée de multiples opportunités pour de nouveaux entrants. Toutes les entreprises peuvent se retrouver dans une situation telle que Virgin », explique Rafi Haladjian, un pionnier. C’est lui qui a créé le Nabaztag, le lapin connecté qu’il a commercialisé dès 2005. Il ajoute : « Il faut essayer tôt, éventuellement se casser les dents et essayer encore. Les entreprises ne doivent surtout pas attendre le bon moment pour y aller. Il sera trop tard ! »

Internet des objets - L'industrie va être bousculéePour ne pas être pris de vitesse, Bosch a choisi de créer une nouvelle entité spécifique pour ce nouveau marché, Bosch Connected Devices and Solutions. Jens Mohaupt, directeur marketing, explique ce qui a motivé l’industriel dans cette démarche : « Dès les années 1990, Bosch concevait des capteurs pour le marché automobile et nous avons élargi notre cible vers les produits de grande consommation en 2005, où nous avons connu une forte croissance, notamment dans les smartphones. Notre analyse du marché nous a amenés à considérer que l’Internet des objets allait être la prochaine vague. » Raison pour laquelle Bosch crée cette nouvelle structure, tant pour les besoins internes de ses autres entités que pour les autres industriels. On retrouve ses capteurs et ses logiciels dans les équipements domestiques de Gigaset, par exemple, et ils sont aussi utilisés par des industriels allemands pour moderniser leurs chaînes de production.

Actuellement, un secteur rencontre le succès, celui des objets dédiés au bien-être et à la santé. Les bracelets connectés de Jawbone et les pèse-personnes pèse-personnes de Fitbit et Withings se vendent comme des petits pains. Cédric Hutchings, PDG et cofondateur de Withings explique pourquoi il a choisi ce positionnement : « On s’est rendu compte que c’était l’un des types d’objets où les retours des utilisateurs étaient les plus enthousiastes. Ils ont un vrai impact sur notre santé. L’utilisateur n’a plu la même approche de son régime, de son activité physique à partir du moment où il peut quantifier, mesurer ses progrès, les mémoriser, les restituer et être accompagné au quotidien. » Frédéric Charles, responsable de stratégie et à la gouvernance du système d’information de Lyonnaise des Eaux-Suez Environnement, souligne : « Les objets connectés vont être des collecteurs massifs d’informations et vont changer la façon de faire des choses. Toutes les industries qui peuvent revoir leurs produits ou leurs processus en y intégrant plus d’information sont impactées. C’est un vrai sujet de transformation de l’entreprise. Ceux qui n’ont pas suivi le CES sont peut-être déjà “has been”… » conclut le responsable.

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Photos : Olivier Cleynen / Benjamin Boccas / Sen.se

Cet article est extrait du n°7 d’Alliancy, le mag

 

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