L’aéronautique face à ses commandes

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Sur son site de Colomiers, près de Toulouse (Haute-Garonne), dédié à l’assemblage de l’inverseur de poussée de l’A350, UTC Aerospace Systems a décidé d’introduire des robots Kuka, notamment pour des tâches de perçage et de fraisage. © UTC Aerospace Systems

Dans un contexte de forte croissance du secteur, tirée par un développement mondial du trafic aérien, la filière aéronautique s’organise, révise ses méthodes, réduit ses délais de livraison et se tourne résolument vers l’usine du futur pour parer à ses carnets de commandes.

Dans un environnement économique plutôt atone, surtout pour l’industrie, la filière aéronautique affirme sans conteste une croissance soutenue : entre 2007 et 2013, le chiffre d’affaires des seules PME françaises du secteur a fait un bond de plus de 41 %. Pour faire face à la dynamique commerciale des grands donneurs d’ordres, Airbus en tête, toute la supply chain s’engage dans la course. En 2014, pour la 13e année consécutive, l’avionneur européen a affiché des livraisons en hausse, avec 629 appareils livrés. Ce chiffre devrait encore progresser en 2015, avec en ligne de mire de nouvelles hausses de cadence. Et cette bonne santé s’affiche aussi chez les autres avionneurs, que ce soit chez Boeing, ATR ou Dassault Aviation.

Il faut suivre le rythme. Dans le Lot, le soustraitant Figeac Aero vient d’annoncer, en début d’année, son ambition de construire sur son site de Figeac, son « usine du futur ». Un investissement de 35 millions d’euros pour une unité de production entièrement automatisée et robotisée pour répondre au contrat « historique » décroché auprès de Snecma (groupe Safran). L’usine sera dédiée à la production des carters en titane des moteurs Leap nouvelle génération appelés à équiper les Boeing 737max et Airbus 320neo. Objectif prioritaire : respecter un plan de charge qui vise une production de 1 800 moteurs par an à l’horizon de 2019-2020.

Gagner en compétitivité 

A Bordes, dans les Pyrénées-Atlantiques, Turbomeca, la filiale de Safran, a introduit dans ses ateliers la fabrication de pièces de moteur par impression 3D pour des pièces de formes assez complexes. A Colomiers, dans l’agglomération toulousaine, les robots font leur apparition chez UTC Aerospace Systems, spécialisé dans l’assemblage de nacelles de réacteurs. Pour son nouveau hall dédié à l’assemblage de l’inverseur de poussée de l’A350, la société a choisi, pour la première fois sur l’un de ses sites européens, de s’équiper de robots Kuka, pour des tâches de perçage et de fraisage et pour la pose d’attaches mécaniques. 

Chez le spécialiste des systèmes d’air pour l’aéronautique, Liebherr Aerospace Toulouse, investissements et nouvelles réflexions vont également dans la même direction : gagner en compétitivité. Très fortement impacté par les montées en cadence de ses principaux clients  (Airbus, Bombardier, Agusta Westland, Sukhoi, Comac ou encore Embraer), l’équipementier a décidé une réorganisation complète des flux entrants et sortants de son site de Toulouse, avec un regroupement de toutes les fonctions logistiques au sein d’un nouveau bâtiment de 6 300 mètres carrés, inauguré l’an dernier. 11,5 millions  d’euros ont été investis, dont 3 dans les process,  avec un ensemble de 12 tours de stockage  automatisées et interconnectées avec le système de gestion de production. 

Robots, automatisation, réalité augmentée, impression 3D… L’usine du futur est bien à
l’ordre du jour dans l’aéronautique. En juin dernier, Airbus, au travers d’une vidéo de 5 minutes, a présenté toute une série de briques technologiques (laser et RFID pour assurer l’ajustement des pièces, réalité augmentée pour accompagner les opérateurs sur les lignes d’assemblage, nouveaux robots, …) qui composeront son usine du futur, à l’horizon de 2025*. Pour accélérer l’innovation, l’avionneur multiplie les initiatives, telle la mise en service de son ProtoSpace, un FabLab qui lui permet d’accélérer le prototypage de ses innovations, ou l’installation à Toulouse d’un accélérateur de start-up, appelé BizLab.

« Toutefois, il ne suffit pas de mettre des robots dans un atelier pour en faire un site industriel performant », souligne Agnès Paillard, la présidente du pôle de compétitivité Aerospace Valley, qui fédère les acteurs de la filière sur les deux régions Aquitaine et Midi-Pyrénées. Chez Aerospace Valley, la création d’un Domaine d’activités stratégique (DAS) Usine du futur a été décidée dès le printemps 2013, dans le cadre de la nouvelle feuille de route du pôle pour 2013-2018, « avec comme principal objectif que les PME s’approprient le concept », insiste Agnès Paillard.

Aerospace Valley booste les initiatives

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Liebherr Aerospace Toulouse, spécialisé dans les systèmes de pressurisation et systèmes d’air pour l’aéronautique, a réorganisé les flux entrants et sortants de son site pour optimiser l’ensemble de sa logistique. Ici, un convoyeur avec ascenseur © Liebherr Aerospace Toulouse

Une équipe d’animation a été mise en place avec des représentants d’Airbus, de Continental et de Dassault Aviation, mais aussi du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (Laas), de l’Ecole nationale d’ingénieurs de Tarbes (Enit) et de deux PME régionales, Actemium, basée à Montrabé, en Haute-Garonne et AeroSpline, à Saint-Aubin-de-Médoc, en Gironde. Cinq axes prioritaires ont été retenus : l’usine numérique ; l’usine intelligente ; l’usine verte ; l’usine connectée et pilotée et l’Homme au cœur de l’usine, avec la prise en compte de grands enjeux sociétaux, dont le maintien en activité professionnelle des seniors, la nécessité d’accroître l’attractivité  des secteurs de l’industrie auprès des jeunes, ou encore les aspects d’accompagnement au changement. Ateliers, conférences, actions collectives  et appels à idées sont au programme. 

Parmi les tout premiers projets labellisés, Usit, porté par les équipes régionales de CGI, spécialisé dans les services en technologie de l’information. Avec une dizaine de partenaires, dont le Laas et la start-up toulousaine Sigfox, qui se positionne comme l’opérateur de réseau de référence pour l’Internet des objets, Usit vise à établir une standardisation des échanges entre les objets connectés. CGI conduit un autre projet, baptisé Maeva, pour le développement d’une solution d’assistance au maintien en condition opérationnelle qui intègre de l’assistance visuelle grâce à des lunettes de réalité augmentée et la mise à disposition de documentations techniques dématérialisées. De son côté, Agilea, une PME toulousaine de 14 salariés, spécialisée dans le conseil en organisation industrielle, porte le projet Opale, pour Optimisation et pilotage agile des flux, pour le développement d’un outil d’aide à la décision dans la gestion de flux. Le projet associe une équipe de l’Ecole des mines d’Albi, deux start-up toulousaines, Synox (objets connectés) et Interopsys (gestion et pilotage de processus industriel) et la société d’usinage composite de haute performance, JV Group, à Bordeaux, comme site d’expérimentation. « Grâce à un « double » numérique de l’usine, notre solution va permettre de simuler en temps réel les décisions et d’évaluer leur impact », explique Philippe Bornert, président d’Agilea. 

« Réalité augmentée, réalité virtuelle, robotique, objets connectés… Les briques technologiques existent, encore faut-il savoir les mettre en œuvre, les faire fonctionner ensemble dans un environnement industriel et faire la démonstration de leur valeur ajoutée », ajoute Sébastien Rolet, responsable du département contrôle non-destructif chez Airbus Group Innovation, qui anime le DAS Usine du futur. Des visites de sites industriels sont proposées aux adhérents. C’est la démonstration par l’exemple. Au programme dernièrement  : les sites de Dassault Aviation à Martignas et Mérignac, en Gironde, qui utilisent de la géolocalisation pour optimiser les déplacements de gros outillages et conduisent des réflexions pour la mise en œuvre sur les postes d’assemblage de fiches d’instruction 3D, ou encore d’outils intelligents pour le serrage des fixations.

De l’open innovation au soutien public 

Toutes les pistes sont explorées pour booster l’usine du futur. Aerospace Valley vient même de conduire une expérience d’open innovation en partenariat avec l’association La Mêlée et le  Laboratoire des Usages : Hack The Factory, un hackathon sur l’usine du futur, organisé sur trois jours. « Dans ce type d’initiative, c’est la démarche qui est intéressante. Elle favorise les passerelles entre horizons très différents », précise Sébastien Rolet. Aerospace Valley travaille également avec les conseils régionaux d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, qui ont chacun adopté des mesures en faveur de l’usine du futur. En Midi-Pyrénées le nouveau plan dédié est doté de 33 millions d’euros sur trois ans (2015-2017). Ce plan comporte tout un panel d’actions destinées à favoriser la modernisation des sites industriels, avec quatre axes prioritaires : l’organisation, la robotisation et l’automatisation, l’environnement et le numérique. « Si le dispositif régional s’adresse à toutes les filières, sur la soixantaine d’entreprises déjà identifiées, beaucoup sont des entreprises de la supply chain aéronautique, notamment en mécanique de précision », précise Nathalie Nouzies, chargée de mission à la direction de l’économie du conseil régional Midi-Pyrénées. Les entreprises intéressées se voient proposer des diagnostics de performance industrielle, des missions d’accompagnement plus poussées (5 jours minimum) pour élaborer leur plan d’amélioration de la performance industrielle, voire, dans la foulée, une aide aux investissements.

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AGNES-PAILLARD Deux questions à… Agnès Paillard présidente du pôle  de compétitivité Aerospace Valley

Quels sont les enjeux de l’usine du futur pour la filière aéronautique régionale ?

Le premier enjeu est de contribuer à répondre au défi commercial des grands donneurs d’ordres et de donner les moyens aux entreprises de la filière aéronautique régionale de rester compétitive. Dans les dix ans qui viennent, 20 000 avions devront être construits dans le monde et les entreprises d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées devront être en mesure de se positionner face à la oncurrence internationale, notamment celle en provenance des pays à bas coûts. L’usine du futur est la réponse majeure pour apporter de la compétitivité à nos entreprises. La carte de l’innovation, en contribuant à la conception et au développement de nouvelles méthodes industrielles et de nouveaux outils et la dynamique de l’usine du futur contribuent aussi à l’attractivité de nos métiers de production, qui souffrent d’un déficit d’image auprès des jeunes. Réinventer l’usine pour attirer de nouveaux talents !

Quelles sont les missions prioritaires d’aerospace Valley pour accompagner les entreprises ?

Un des rôles du pôle est de favoriser les échanges entre les fournisseurs de solutions et nos entreprises adhérentes. Nous devons les aider à formuler leurs besoins et faire émerger des actions collectives ou des projets de R&D collaboratifs qui associent des entreprises de la filière, des fournisseurs de solutions et des laboratoires. C’est l’activité au quotidien de l’équipe du Domaine d’activités stratégiques (DAS) Usine du futur. Grâce à ses réseaux, tant au plan national qu’européen, le pôle met en place des synergies multifilière et internationales. On accompagne nos adhérents dans la recherche du meilleur partenaire pour une solution adaptée à sa problématique. Nous sommes en quelque sorte le GPS des PME pour les aider à trouver les bonnes solutions.