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Dans l’économie circulaire, pas de lettres de « motivation », mais des lettres « d’amour »

Cycle Up, CircularX et Phenix… Du BTP à l’alimentaire en passant par le marché de la seconde main, ces trois entreprises ne vivent manifestement pas la même réalité RH que les autres. Rencontres.

Dans léconomie circulaire pas de lettres de motivation Dès lors que les entreprises de l’économie circulaire deviennent visibles, les candidats se pressent à leurs portes. L’offre excède même la demande ! Pour autant, les DRH ont fort à faire car leurs collaborateurs mettent la barre très haute en termes de transparence, et plus globalement de culture et de stratégie d’entreprise. Ils vont demander d’où viennent les fonds, plutôt que de négocier une augmentation de salaire.

« On était 20 l’an dernier, on est 45 aujourd’hui. J’adore recruter : moi le droit du travail, ça me plaît et avec mes associés, on a le sens du collectif et une envie de construire un projet social autant qu’entreprenarial ! ». Je suis le seul à n’être pas salarié… et le seul à être syndiqué ! » A 47 ans, Sébastien Duprat, patron de Cycle Up, est « un vieux startupper » qui a quitté une position confortable de consultant en transition climatique chez Egis, où il dressait des plans Carbone à l’horizon 2050, pour miser plutôt sur l’économie circulaire « ici et maintenant » : que faire de tous ces déchets de chantier, réutilisables et pourtant promis à la benne ?

Il a cofondé en 2018 une marketplace qui met en relation les professionnels du BTP et fait circuler les matériaux des chantiers de démolition vers les chantiers de construction. Aujourd’hui, son équipe compte 45 personnes : la moitié sont des ingénieurs, un quart exerce au service commercial et au service client, et le dernier quart à l’IT et au marketing. « Je reçois plusieurs dizaines de candidatures chaque semaine, raconte-t-il. Elles arrivent toutes seules. Globalement, il y a deux types de profils : les corsaires et les repentis. »

Les repentis sont particulièrement nombreux : ce sont des professionnels qui ont « coulé du béton ou construit des centrales et qui veulent donner du sens à leur métier de constructeur ou d’ingénieur en BTP », poursuit Sébastien. « Chez Cycle Up, on essaie de réconcilier la sobriété avec la croissance. On n’oppose pas les décroissants aux productivistes, on cherche un modèle économique pour la sobriété. Nos collaborateurs viennent souvent du BTP et sont convaincus que ce n’est plus possible de continuer comme cela. »

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Cycle Up_team Les « corsaires », eux, sont « filous mais loyaux » : Ils aiment relever les défis, concilier Tech et débrouillardise. « Chez nous, on se retrouve chaque jour confrontés à des défis qui ne sont pas ceux de la veille. Il y a des gens que cela attire beaucoup. Aventuriers dans la méthode, mais fidèles à l’ambition de sobriété carbone. » 

Cycle Up a besoin d’ouvrir des antennes un peu partout sur le territoire français : « On a trouvé quelqu’un de super à Toulouse, et bien on a monté une agence là-bas. Nous pouvons nous permettre de créer des sites là où vivent nos collaborateurs, et non l’inverse. » Attention, qui dit travail à distance ne dit pas forcément autonomie complète : « Je constate qu’il n’y a pas tant que ça d’aspiration au management horizontal. Les jeunes sont très demandeurs de l’appui des plus anciens notamment, sous forme de mentorat. »

Chaque lundi, la réunion d’équipe débute par le nombre de tonnes de carbone économisées la semaine précédente : une manière de rappeler à tous quel est l’objectif commun.

Un rituel que partage Pauline Barnouin, DRH de Phenix, qui compte 200 collaborateurs pour une moyenne d’âge de 30 ans et 60 % de femmes (« un ratio classique dans l’économie circulaire ») : « Les objectifs des commerciaux et des CSM, indique-t-elle, ne portent pas que sur le chiffre d’affaires, mais aussi sur le nombre de repas sauvés. »

L’entreprise a neuf ans, elle a ouvert 15 bureaux en France, Espagne et Portugal sur le même principe : la lutte contre le gaspillage alimentaire. Plutôt que d’être jetés, les invendus de la distribution se voient offrir une seconde vie, auprès des associations ou sous forme de paniers à petits prix destinés aux consommateurs. Son fondateur, Jean Moreau, a voulu lui aussi tracer « une voie médiane, entre ONG et grand capital ».

« Chez Phenix, indique Pauline Barnouin, il ne fait aucun doute que les candidats affluent en raison de l’activité même de l’entreprise. Sur les postes de CSM par exemple, j’entends mes pairs, dans d’autres start-up, dire qu’il faut aller chasser, que personne ne prend plus le temps d’écrire des lettres de motivation… mais nous, on reçoit des lettres d’amour ! Parfois, s’ils ne sont pas sélectionnés, ils postulent à nouveau deux ans plus tard. »

Pas de surenchère salariale, ni de demande d’avantages « bling bling » : les candidats de Pauline sont en majorité ravis du choix qu’a fait Phenix de leur offrir une demi-journée par mois pour s’investir dans une association.

« C’est une histoire d’alignement, résume-t-elle. Leur candidature chez nous est cohérente avec le reste de leur vie. Phenix a un impact environnemental et social, un doublé qui reste assez rare. Le seul poste plus difficile à pourvoir est celui de développeur, mais on met simplement un peu plus de temps que pour les autres profils. On n’a pas besoin d’augmenter les tarifs pour y arriver, on reste sur notre grille de salaires… qui est transparente. »

Cette transparence, typiquement, fait partie des attentes des collaborateurs. C’est là que le job de DRH dans l’économie circulaire n’est pas de tout repos : « Nous, on a des salariés qui ne comprennent pas qu’on leur propose d’aller en avion à un séminaire quand nous partions juste d’une bonne intention pour éviter à 3 personnes 8h de trajets, qui attendent de nous qu’on soit parfaitement irréprochables, sur tous les plans, à commencer par la sobriété énergétique et la diversité. Et on a des départs lorsque les collaborateurs ont envie d’aller toujours plus loin : ceux qui prennent un congé sabbatique pour réfléchir à une reconversion vers une activité encore plus engagée ne sont pas rares. »

Pauline porte également une attention particulière à la formation des managers. « Nous ne sommes pas des Bisounours, mais une entreprise, avec une volonté de performance et des objectif à tenir. Nous rappelons régulièrement aux équipes que la recherche de croissance et de chiffre d’affaires n’est pas “sale”. Et l’une des difficultés consiste à ne pas confondre bienveillance et gentillesse, autonomie et laxisme. Il faut des règles, pour que les managers sachent recadrer quand c’est nécessaire, pour qu’ils osent dire « non ». Ils sont formés par un coach externe, à raison de 10 séances d’une heure et demie. »

En tant qu’entreprise de l’économie circulaire, Phenix estime avoir un devoir d’exemplarité sociale et avait mis en place, en avance de phase, le congé menstruel ou encore le Parental Act.

Troisième entreprise et troisième témoignage aux accents similaires : chez CircularX, Gautier Feld, co-fondateur, a lui aussi une équipe de (20) collaborateurs extrêmement exigeants en termes de culture d’entreprise : pas question de dénaturer le projet, au point parfois de refuser de travailler avec certains clients jugés peu sincères.

CircularX est une solution 100 % Tech, une plateforme logicielle qui aide les commerçants, tous secteurs d’activité confondus, à organiser leur offre de seconde vie : rachat, reconditionnement et revente. Elle travaille notamment pour Decathlon, Boulanger ou Leroy-Merlin. « Les équipes ne font pas de compromis. Si jamais le client utilise notre solution pour présenter une belle vitrine, mais pousse en réalité à acheter toujours plus de neuf, ils le perçoivent et nous alertent. »

Le marché offre un potentiel immense, mais il reste balbutiant et CircularX, fondée en 2021, n’est pas (encore ?) une marque connue du grand public. Notamment parce que, par définition, elle officie dans l’ombre. C’est d’ailleurs le seul frein aux recrutements : un manque de visibilité auprès des candidats.

« Nous sommes au début d’une histoire, le marché est très mouvant, raconte Gautier. Les candidats, une fois qu’ils nous repèrent, sont séduits car il s’agit vraiment de changer la donne : c’est grâce à la Tech qu’on amène de l’impact dans le commerce. Nous cochons ces trois cases. Mais encore faut-il qu’ils nous repèrent ! »

Autre frein potentiel : la crainte des candidats, souvent des « repentis » comme les appelle Sébastien Duprat, de rejoindre une start-up, avec les risques que cela comporte. Mais ce frein-là est rapidement balayé : « Nous faisons partie du groupe Recommerce, qui est solide (2009) et compte plus de 150 salariés, avec une croissance de plus de 30% par an. Ce n’est pas une petite start-up qui se cherche. »

CircularX recrute actuellement 10 personnes et 20 sur l’année en cours : l’entreprise devrait donc quasiment doubler de taille en 2023. Les 25 premiers arrivés étaient plutôt des profils très Tech (Devs et Product Owners), recrutés par le bouche-à-oreille et la co-optation. « Cette première promotion avait beaucoup d’importance car elle porte les valeurs de la société et accueille les futurs arrivants », conclut Gautier. Pas question donc de se laisser distraire par l’enthousiasme des candidats : avoir beaucoup de volontaires ne dispense pas d’un vrai travail de sélection et de montée en compétence dès l’entrée dans l’entreprise.

Reste pour tous un sujet qui n’est pas « craqué » et sur lequel nous reviendrons : celui de la santé mentale. Comment on évite les burn-out ? Manifestement, travailler dans l’économie circulaire n’est pas un bouclier. Certains salariés sont mêmes « sur-engagés et sur-connectés. » A suivre !