Embauches, licenciements, salaires… Comment se porte le marché de la Tech ?

Entre les annonces de licenciements massifs ces derniers mois, une inflation marquée et un coup de frein sur les levées de fonds des start-up, à quoi ressemble vraiment le marché de la Tech côté emploi, en ce premier semestre 2023 ? Des chiffres-clés par thématique à connaître :

Levées de fonds : « un record en trompe-l’œil »

Comment se porte le marché de la Tech2022 a été l’année de tous les records pour les levées de fonds en France, mais c’est un record « en trompe-l’œil », comme le qualifie Le Figaro. En effet, après l’accélération est venu le coup de frein : « L’année dernière, les start-up tricolores ont levé 11,9 milliards d’euros*, selon le baromètre Tech Insight de KPMG, qui prend en compte les opérations supérieures à 3 millions d’euros. L’année est marquée par une nette différence entre le premier et le second semestre. Au cours des seuls six premiers mois de l’année, 8,2 milliards d’euros avaient été levés, soit une quasi-multiplication par quatre en un an, avant que la fin de la partie ne soit brusquement sifflée dès le début de l’été, avec une chute de 30% des montants levés sur un an. »

(*) 13,5 milliards d’euros selon le baromètre annuel d’EY, qui ne fixe pas de montant « plancher » pour la levée. Soit 16 % de plus qu’en 2021.

Des licenciements en cascade… mais des offres d’emploi en hausse

N26, DropBox, GlassDoor, Back Market, PayFit, Meero… Le décompte des licenciements annoncés dans la Tech, recensé ici ne cesse de grossir. Pour le seul mois de janvier dernier, on en a compté 68 000 pertes d’emploi dans plus de 200 entreprises. Avec parfois, un bouclier qui se dresse : la réglementation sociale européenne.

En contrepoint, le nombre d’offres d’emploi Tech publiées en France recommence à augmenter : + 7 % au premier trimestre 2023, selon un baromètre Adecco Analytics x Akkodis. Une tendance confirmée par une étude de NGP Capital, qui souligne, elle, que les start-up françaises ont moins réduit leurs offres d’emploi en 2022 que dans les autres pays d’Europe.

Autre note positive, une étude de ZipRecruiter dans le Wall Street Journal souligne qu’au niveau mondial, 79 % des travailleurs licenciés dans l’industrie de la tech ont retrouvé un poste dans les trois mois suivant le début de leur recherche.

Un marché en plein retournement

Chez Ignition Program, Marguerite Lafont fait matcher les candidats aux profils Tech (CTO, Devs, Data Scientists, chefs de projet…) avec les start-up qui recrutent, quel que soit leur stade de développement : de la création à la phase de scale-up. Elle les accompagne durant les six premiers mois, pour être certaine que l’embauche se concrétise dans la durée.

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Marguerite est donc bien placée pour connaître à la fois les attentes des candidats et les besoins des start-up. Elle nous explique que ces six derniers mois, le marché a beaucoup changé : « Quand je suis arrivée en septembre 2021, on avait plus de candidats que d’opportunités de poste. Ensuite, c’était l’inverse : il a fallu aller chasser des candidats. On ne pouvait plus s’en tenir aux candidatures entrantes, on avait besoin à la fois de plus de monde, et de profils plus opérationnels. Mais désormais, le marché se retourne. Pour les profils Business, ça a même commencé en juillet. Pour moi, sur les profils Tech, c’est très net depuis novembre dernier. Les start-up ont mis un coup de frein. En conséquence, les candidats se montrent beaucoup plus ouverts : ils ne sont plus agacés par nos sollicitations et ils se remettent à l’écoute du marché. »

Marguerite Lafont explique que les start-up ont gelé les recrutements. C’est le cas chez Holis, une fintech fondée par Singulier l’année dernière : il s’agit d’une plateforme d’analyse de données pour éclairer les décisions des investisseurs. Holis a recruté 20 personnes en l’espace de huit mois.

Son cofondateur et CEO, Charles Lacroux, explique comment il a construit cette équipe initiale. « Il ne faut pas se tromper sur cette équipe-cœur, c’est celle qui donne le ton. Une fois qu’on est sûr d’elle, on peut lancer un plan de cooptation, ce que nous venons de faire pour notre deuxième année. La première année, nous avons demandé l’appui d’Ignition pour 10 recrutements, dont 7 profils Tech. Nos collaborateurs viennent tous de grandes écoles et ils sont très demandeurs de visibilité sur leur carrière : aussi bien en termes de compétences que de grades. »

Alors, Charles a mis en place un système de promotion explicite, partagé à toute l’équipe. « Ce n’est pas parce qu’on est 5 au départ, qu’on peut se passer de process. Nous pensons au contraire que les start-up ont intérêt à se doter de process comme si elles géraient des centaines de personnes. La preuve : les premières demandes d’augmentations sont arrivées dès les premièrs mois. Nous sommes des défenseurs de la méritocratie : chez nous, pas besoin d’avoir 35 ans pour être manager et 45 pour entrer au Comex. Mais nous ne voulons pas non plus du “fait du prince ”, fréquent dans les start-up où les fondateurs sont tout-puissants. Nous avons donc créé une Job Ladder (échelle de carrière) pour objectiver les chemins possibles, avec des critères justes et impartiaux. »

Grades, compétences nécessaires à chacun de ces grades, règles à suivre pour passer les étapes : « Tout y est. C’est comme un jeu de société, on peut faire quelques tours de plateau avant de devoir réadapter les règles. On sait qu’on devra les modifier quand on sera une cinquantaine, mais en attendant, nous pouvons gérer les carrières de nos nouveaux arrivants. Il y a deux moments dans l’année où nous échangeons avec les équipes sur la performance et le passage au grade supérieur. En-dehors de ces moments, une négociation de salaire n’a pas vraiment lieu d’être »

Holis embauche en CDI uniquement : « Nous avons la chance d’avoir un investisseur qui le permet et au regard du coût de formation, nous attendons de nos collaborateurs qu’ils s’inscrivent dans la durée et accomplissent “l’extra mile”… »

Le marché bouge très vite. « L’année dernière, les candidats Tech étaient les rois du marché, reprend Marguerite Lafont. C’était même excessif, avec des exigences démesurées. Cette année, les start-ups se plient moins à ces demandes. Elles savent que des profils « shiny » sont revenus sur le marché. Les prétentions de salaire baissent. Et dans le même esprit, les recruteurs ont cessé d’accepter le Full Remote que beaucoup de candidats Tech réclamaient. Elles veulent un minimum de présentiel. J’ai actuellement 30 start-up en portefeuille avec des besoins de recrutements ouverts : seules 4 acceptent le Full Remote. »

« Les start-up ont besoin de nous pour des besoins spécifiques, poursuit Marguerite : un Dev senior par exemple, qui a travaillé tant d’années sur le paiement. Des hyper-spécialistes. Et les candidats sont devenus trop nombreux : avant, je devais dire au recruteur qu’il ne pouvait pas se permettre de laisser passer une semaine entre deux étapes, le candidat ayant trois opportunités en même temps. Ce n’est plus le cas. »

Les 3 conseils de Marguerite Lafont aux recruteurs :

  1. « Soignez votre marque-employeur : « Les profils Tech forment une communauté importante, avec beaucoup de bouche-à-oreille. Être black-listé, ça va très vite et dans ce cas le salaire ne sert plus à rien. Il ne faut pas que vous ayez de décalage entre la vitrine et la réalité. »
  2. Etablissez un benchmark des conditions de travail dans les autres start-up et adaptez l’expérience que vous proposez par rapport à la concurrence.
  3. Proposez une grille bien définie, évitez l’effet « enchères» et pratiquez l’équité au sein de l’é « Une grille de salaire et un test technique pour savoir où on se situe dans la grille, c’est imparable.» Donnez des perspectives d’évolution : « Montrez que vous avez envie de construire sur le long terme avec le candidat. »