Guy Mamou-Mani (Open) : « Les apports externes sont essentiels à la réinvention de son business model »

Confronté à l’équation difficile entre nécessité de transformation et résultats économiques de courts termes, Guy Mamou-Mani, co-président de l’ESN française Open et ancien président du Syntec Numérique, détaille sa vision du lien entre écosystèmes et création de valeur.

Alliancy. Peut-on parler de l’ouverture des entreprises sur leurs écosystèmes comme d’une tendance majeure de la transformation dans un monde numérique ?

Guy Mamou-Mani, co-président de l’ESN française Open et ancien président du Syntec Numérique,

Guy Mamou-Mani, co-président de l’ESN française Open et ancien président du Syntec Numérique,

Guy Mamou-Mani. Nous sommes dans une période de transformation globale, et non seulement technologique. Ce que l’on constate chez de nombreuses entreprises, c’est qu’elles ont compris que l’enjeu du numérique c’était la transformation de leur business model… et, plus récemment, que cette transformation ne pouvait pas seulement « sortir d’elle-même ». Bien sûr, il est possible de favoriser les initiatives internes, la collaboration, l’intrapreneuriat… mais les apports externes à cette réinvention sont essentiels. Tout le problème devient alors : comment les favoriser ?

Existe-t-il une recette ?

Guy Mamou-Mani. On a vu se multiplier les studios, les labs, les nouvelles structures… quel que soit le nom qu’elles portent. Tout le monde veut favoriser l’émergence de nouvelles idées et de nouveaux processus. La question de la constitution d’écosystèmes devient dans ce cadre incontournable. Citons Michelin comme exemple : une entreprise industrielle historique qui a compris le phénomène d’évolution de la valeur produit vers la valeur usage et qui se met alors à réfléchir pour facturer au client final l’utilisation de ses pneus au kilomètre, plutôt qu’en vendant le produit au concessionnaire. Mais cette réflexion n’est pas menée en solitaire : Michelin est allé voir une start-up chinoise, qui l’aide spécifiquement sur cette transformation.

Aller chercher l’innovation ailleurs en rachetant une start-up est devenue courant… mais est-ce vraiment synonyme de construction d’écosystème ?

Guy Mamou-Mani. Toute la richesse d’un modèle d’écosystème, c’est de permettre l’enrichissement mutuel. Et en effet, il faut être réaliste, une acquisition ne transforme pas en soi l’entreprise. Pour le moment, Boursorama n’a pas transformé la Société Générale ! Il est impératif d’avoir ce type de démarche, notamment parce qu’elles apportent énormément en termes culturels à l’organisation. Mais il est nécessaire de passer à la vitesse supérieure. Pour l’instant les expériences radicales sont rares. C’est une montée en puissance progressive qui doit partir d’une conviction : il faut favoriser tout ce qui permet de s’enrichir de l’externe, que ce soit de l’open innovation ou un changement de relation avec ses prestataires et ses clients pour en faire des partenaires. C’est inéluctable, si l’on veut arriver jusqu’à la transformation du business model.

Au contraire des approches d’innovations plus incrémentales ?

Guy Mamou-Mani. Oui, car celles-ci ont plus ou moins toujours existé. La rupture survient quand l’on est convaincu que la transformation numérique entraine à terme une refonte du business model de son activité. Et par conséquent, quand on comprend qu’il faut absolument s’entourer de l’écosystème qui va nous aider à passer ce cap.

Comment la question se pose-t-elle pour les entreprises de services numériques (ESN) ?

Guy Mamou-Mani. Les ESN sont de manière générale très en retard sur leur propre transformation. Ce n’est pas nouveau et c’est aussi pour cela que j’avais initié ce concept d’ESN par rapport à la terminologie « SSII » quand j’étais président du Syntec Numérique. Passer du « temps/homme » à une économie de l’usage est complexe. Nous le vivons cela chez Open par exemple, en ayant racheté la société Izberg* : nous sommes convaincus que c’est le sens de l’histoire, mais nous sommes obligés d’assumer des pertes à court termes. Les ESN doivent se poser ces questions comme toutes les autres entreprises, mais cela ne veut pas dire que c’est facile. Mais plus encore, elles trouvent une légitimité dans leur propre transformation, pour accompagner celles de leurs clients. Et il nous faut travailler toujours plus avec des partenaires et revoir nos façons de collaborer pour faciliter ce changement.

Avez-vous un exemple concret ?

Guy Mamou-Mani. Open est référencé auprès de l’UGAP et dans ce cadre, c’est le client qui nous a demandé de constituer un écosystème afin de mieux répondre aux demandes qui deviennent de plus en plus importantes sur des aspects variés de la transformation numérique. Nous avons donc dû fédérer de multiples PME. Cela n’allait pas de soi et il a fallu se remettre en question. Et pourtant, nous ne sommes pas encore dans la réinvention du business model, mais seulement sur la création d’un écosystème pour répondre à la demande. Ce qu’exige le marché aujourd’hui, ce n’est pas seulement prendre des sous-traitants : c’est de faire en sorte que l’on puisse mettre en valeur des expertises qui n’auraient sinon pas pu être atteintes. Les écosystèmes permettent de mettre en avant les spécialistes de niche et pour les ESN, nos nouveaux partenaires doivent nous apporter plus que des ressources supplémentaires. Comme une entreprise, un écosystème doit d’ailleurs être plus qu’une somme d’expertises. Il doit permettre de répondre différemment aux besoins des clients, d’organiser le travail de manière originale… ce n’est pas de la sous-traitance. Et au sein de l’entreprise, il faut bien identifier une personne clé dont le rôle est de créer et d’animer cet écosystème – avec une vision résolument business.

Et par là, il est possible de finalement transformer son business model ?

Guy Mamou-Mani. C’est l’objectif. Si l’on reprend notre exemple d’Izberg : nous les avons connus en répondant de façon commune à des appels d’offres avec notre activité d’e-commerce Lateos. Nous avons gagné ensemble des projets importants chez Suez, Alstom… ce qui nous a convaincu qu’il y avait beaucoup à faire avec eux. Nous avons développé une collaboration de plus en plus importante et quand ils ont lancé un processus de levée de fonds, nous leur avons proposé une sortie industrielle. Et il est devenu clair qu’Izberg sera un élément majeur de la transformation de notre business model. Le problème, c’est qu’il faut investir dedans, réorganiser, et que leur modèle à l’usage ne couvre pas au départ les frais initiaux. En revanche, quand un déploiement de marketplace au niveau mondial arrivera, il n’y aura pas d’efforts supplémentaires à fournir… et les bénéfices seront là. Mais cet exemple prouve que c’est un travail de fond, pas une réinvention soudaine – même d’un point de vue économique.

Au-delà des start-up, qui peuvent être les autres partenaires de ces écosystèmes d’un genre nouveau ?

Guy Mamou-Mani. L’ouverture consiste à aller vers des acteurs avec lesquels on n’a pas l’habitude de travailler historiquement. Y compris parce que ce sont des concurrents ! C’est toute la difficulté. Dans un monde numérique, les possibilités sont complètements ouvertes pour intégrer des acteurs très différents à son nouvel écosystème. Mais à partir du moment où l’on fait rentrer des modèles très différents du sien dans l’entreprise, on apporte à la fois une grande valeur et on perturbe fortement l’organisation traditionnelle… Ce n’est pas anodin. Il faut être prêt à dépasser ces remous. Beaucoup d’entreprises pensent se porter bien, mais c’est souvent parce qu’elles ne font aucun effort de transformation, qu’elles se contentent de leurs rentes. Pas de RSE, pas de digitalisation, pas d’ouverture sur d’autres types d’écosystèmes. On ne peut que leur donner rendez-vous dans 5 à 10 ans, quand elles paieront le prix pour ne pas avoir anticipé. Je pense qu’au contraire, il est important d’avoir des convictions le plus tôt possible. La transformation en écosystème en est une.

*Start-up spécialisée dans la création de marketplace.