[Tribune] L’IA frugale va rendre accessible les chatbots intelligents aux secteurs de pointe

Déployer une solution d’agent conversationnel dans des secteurs de pointe était jusqu’ici mission impossible. Et pour cause : les modèles dominants d’intelligence artificielle reposent sur le Big Data et la donnée qualifiée, (grand volume de données) ce qui relève du défi impossible pour une entreprise de haute technologie. Pourtant, selon Charles Teissèdre, Directeur Scientifique – Synapse Développement, l’intelligence artificielle entre désormais dans une nouvelle ère avec l’émergence de l’IA frugale.

Charles Teissèdre, Directeur Scientifique – Synapse Développement

Charles Teissèdre, Directeur Scientifique – Synapse Développement

Économe en données, en ressources machines et en ressources humaines, l’IA frugale est particulièrement pertinente pour toute entité qui souhaite déployer une solution de recherche d’information conversationnelle, même dans un secteur particulièrement pointu. Jusqu’ici, pour déployer des technologies dites de Deep Learning, il était indispensable de disposer d’un volume de données considérable.

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Problème : si ce type de données est facilement accessible lorsqu’on parle de domaines communs, elles sont en revanche quasi introuvables lorsqu’on évoque des domaines de pointe. Les secteurs de la défense, de l’aérospatial, de la santé, de la chimie ou encore de la banque et de l’assurance ont ainsi de grandes difficultés à réunir un volume de données qualifiées suffisant pour déployer des solutions conversationnelles de recherche d’information avec ces modèles gourmands.

Ceci entrave l’adoption rapide, dans ces secteurs, des solutions de Deep Learning les plus récentes, dérivées de modèles neuronaux pré-entraînés tels que BERT, pour résoudre des tâches de rapprochement sémantique, d’extraction d’information ou de questions-réponses. Une solution existe désormais, l’IA frugale. Comme son nom l’évoque, l’IA frugale ne nécessite pas de grands volumes de données. Cette approche est amenée à révolutionner, entre autres, l’univers des agents conversationnels intelligents et contribuera à faciliter le partage de connaissances, même extrêmement pointues.

Comment déployer une solution d’IA dans un secteur de haute technologie ?

La plupart des entreprises qui sollicitent un spécialiste en intelligence artificielle pour, par exemple, déployer un chatbot, ne possèdent pas de Big Data qualifié. Deux solutions : utiliser des ressources libres de droits ou des données tierces payantes. Problèmes : ces données ne sont pas nécessairement assez représentatives du secteur d’activité recherché ou peuvent bien souvent atteindre des sommes astronomiques. De quoi décourager bon nombre d’entreprises !

Autre solution possible : créer ses propres ressources de données. Cette dernière nécessite de mobiliser de très nombreux experts d’un sujet donné, sur le long terme. Difficile par exemple, pour un géant pharmaceutique, de mobiliser des chercheurs pendant des mois sur la seule tâche d’annotation de données. Le coût serait exorbitant ! Sans compter le côté particulièrement rébarbatif d’une telle besogne. Aussi, les besoins en ressources machines sont alors particulièrement élevés, de même que la consommation d’énergie associée.

La véritable alternative s’appelle IA frugale

Son objectif est de développer des systèmes d’IA évolutifs, s’adaptant tout au long de leur cycle de vie, grâce à une collaboration vertueuse entre l’homme et la machine. L’IA frugale repose sur deux piliers : l’apprentissage par transfert et l’apprentissage continu. Elle suppose aussi une innovation d’usage, la collaboration avec l’homme étant au coeur de son fonctionnement. L’apprentissage par transfert consiste à spécialiser des modèles d’IA génériques pour les adapter à un usage ou un domaine, réduisant de fait le volume de données nécessaires à leur entraînement. Néanmoins, dans leur version initiale, ces modèles spécialisés sont encore largement perfectibles. L’apprentissage continu vient alors prendre le relais, afin d’engager un cycle d’amélioration itératif. C’est ici que l’homme est amené à jouer un rôle essentiel : les solutions d’IA frugale incluent les utilisateurs et les experts métier dans le processus d’apprentissage et de prise de décision du système, en valorisant leurs retours, via des interactions d’amélioration collaborative.

L’IA frugale : plus vertueuse, plus fiable… et plus verte !

L’IA frugale est donc vertueuse d’un point de vue économique. En valorisant la contribution de celles et ceux qui l’utilisent au quotidien, elle est aussi moins figée, plus fiable et plus rapidement efficiente. Enfin, moins gourmande en données, cette technologie est aussi plus économe en énergie. Les six dernières années, les besoins en calculs induit par le Deep learning ont été multipliés par 300 000* ! Parallèlement, le coût d’entraînement des modèles double plusieurs fois chaque année… Même si l’IA frugale est encore loin de l’efficience et de la sobriété du cerveau humain, qui elle, mobilise seulement une vingtaine de watts pour fonctionner, elle ne nécessite pas le demi-million de watts indispensable aux modèles dominants !
* Chercheurs de l’Université du Massachusetts, Amherst.