Avec l’IA, le groupe Eramet relève à la fois ses défis environnementaux et de production

Le groupe minier et métallurgique Eramet est un fleuron français sur un marché mondial en pleine explosion. Ludovic Donati, son directeur transformation et performance numérique, analyse la manière avec laquelle des innovations IA de pointe changent aujourd’hui la donne pour une entreprise plus que centenaire.

>> Cet article est extrait du Carnet d’expériences « Les champions français de l’IA »

Ludovic Donati, directeur transformation et performance numérique, Eramet

Ludovic Donati, directeur transformation et performance numérique, Eramet

Quel rapport entre l’innovation IA et une entreprise minière créée en 1880 comme Eramet ?

C’est une question qu’on nous a souvent posée ! En fait, le lien est évident : nous avons énormément de données à disposition. Les données géologiques issues de nos gisements, les données de suivi environnemental… qui sont toutes très précieuses alors que l’activité minière revient sur le devant de la scène internationale. Toute notre économie s’est engagée dans une transition écologique et énergétique qui demande beaucoup de métaux, en particulier pour passer à l’électrification et donc produire des batteries et des infrastructures électriques. En parallèle, nous mettons tout en œuvre pour respecter les meilleurs standards, minimiser notre impact sur l’environnement et avoir un impact positif sur les communautés locales. Innover avec l’IA sur ces sujets est un point clé de notre action.

Avez-vous un exemple qui permette d’illustrer cette philosophie d’action ?

Au Sénégal, nous avons une exploitation minière qui est un gisement de sable s’étendant sur plusieurs dizaines de kilomètres. Nous extrayons sélectivement les minéraux du sable (2 %) qui contiennent du titane et du zircon, qui sont ensuite valorisés dans de nombreuses applications industrielles, comme les pigments pour peintures, les céramiques… Évidemment, quand nous opérons, nous ne voulons pas laisser derrière nous un environnement dégradé. Notre engagement est de prendre les devants pour agir et améliorer, par exemple en matière de revégétalisation.

Nous mettons ainsi tout en œuvre afin que la végétation soit encore plus variée et abondante sur le site. Ce n’est pas simple à faire, mais il s’avère que nous utilisons déjà beaucoup de données liées à ce site à des fins opérationnelles. Nous avons ainsi des données topographiques utilisées pour améliorer nos activités minières, avec des images qui de facto captent la végétation présente sur des dizaines de kilomètres. À partir de là, nous avons développé des algorithmes de reconnaissance visuelle, ce que l’on appelle computer vision, qui permettent d’identifier les espèces, surveiller la repousse, la répartition, etc.

« Nous avons développé des algorithmes de reconnaissance visuelle qui permettent de piloter et d’améliorer la revégétalisation. » Cliquez pour tweeter

Qu’est-ce qui vous fait dire que les résultats sont au rendez-vous aujourd’hui ?

Traditionnellement pour piloter la revégétalisation, il fallait qu’un spécialiste prenne sa voiture, parcoure des dizaines de kilomètres et constate directement la repousse des plantes et des arbustes, en notant tout. Les images à notre disposition permettent de repérer les massifs de végétaux. En entraînant des algorithmes, il est possible d’identifier les types d’arbres qui coexistent. C’est un gain de temps et d’effort non négligeable. Bien sûr, l’IA n’est pas une baguette magique. Un tel cas d’usage prend plusieurs mois à être mis en place. Mais en six mois, nous avons réussi à atteindre le niveau de l’œil humain en matière de qualité, avec un taux de détection similaire. En moins d’un an, nous avons donc réussi à développer cette innovation pour qu’elle soit prête à être industrialisée et mise à disposition de toutes nos équipes.

Vos activités métallurgiques sont-elles également concernées par ces innovations ?

Il y a un cas d’usage que je trouve représentatif, sur les alliages de manganèse. Un four métallurgique, c’est l’équivalent d’un grand réservoir de trois étages dans lequel on met du minerai que l’on chauffe à 1 500 °C : cela ressemble à de la lave en fusion. Ces fours sont déjà bardés de capteurs et suivi grâce à de l’informatique industrielle depuis plusieurs dizaines d’années, car nous sommes parmi les leaders mondiaux de l’amélioration des procédés de métallurgie.

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Concernant le savoir-faire, alors que nous sommes parmi les leaders mondiaux de la métallurgie, la question que nous nous sommes posée était : est-ce que l’IA peut nous permettre d’aller un cran plus loin dans l’optimisation de nos procédés ? Nous avons pour cela travaillé avec les métallurgistes, traduit leurs connaissances en algorithmes, pour parvenir à identifier – sur la base de toutes les données des fours en temps réel – si le procédé est optimal, au niveau de l’énergie consommée et des rendements, et surtout prédire les déviations et recommander les actions permettant de rester dans une zone optimale. Nous avons travaillé pendant six mois avec des réflexions scientifiques physiques et chimiques mais aussi data, avant d’en faire un produit numérique, et connecter ces algorithmes directement à la production. Nous avons désormais quatre fours d’alliage de manganèse sur huit qui sont connectés de la sorte, avec de très bons retours sur investissements. Cet exemple montre que l’IA n’est pas amenée à remplacer l’intelligence des métallurgistes, mais que c’est un outil supplémentaire qui leur permet au contraire de se concentrer plus facilement sur leur travail pour maîtriser leur production.

« Les métallurgistes ont été les meilleurs sponsors pour pousser le changement : ils sentaient qu’avec toutes les données dont ils disposaient déjà, ils pouvaient faire mieux dans leur travail quotidien. » Cliquez pour tweeter

Comment convaincre une direction générale que le sujet est stratégique, et débloquer ainsi les budgets d’investissement qui permettront ces innovations ?

Nous avons une P.-D.G., Christel Bories, et un directeur des opérations, Kleber Silva, qui sont convaincus que le travail sur la data est nécessaire pour nous permettre de transformer durablement nos activités. Question budget, nous avons mis en place un modèle opératoire basé sur l’expérience, le test and learn. Les métallurgistes ont été les meilleurs sponsors pour pousser le changement : ils sentaient qu’avec toutes les données dont ils disposaient déjà, ils pouvaient faire mieux dans leur travail quotidien. C’est ce qui a permis d’enclencher la preuve de concept et de travailler avec eux de façon très concrète.

Le revers de la médaille, c’est que les ingénieurs et les scientifiques se méfient de l’aspect boîte noire que peut parfois avoir l’intelligence artificielle : nous avons monté des formations pour certains de nos géologues et métallurgistes, pour leur donner des clés de compréhension des algorithmes et les former à un premier niveau de data science. C’est ce qui leur permet d’avoir une certaine forme d’autonomie sur les produits numériques qui sont ensuite développés pour eux.

D’un point de vue technique, ces cas d’usage sont-ils facilités par le cloud ?

Oui absolument, même s’il est possible de réaliser des premières phases projet sans que cela ne soit possible. Au Gabon, nous réalisons actuellement des tests de surveillance des parois de nos fours métallurgiques en edge computing. Les data scientists vont sur le terrain, développent un algorithme qui fonctionne sur une machine locale, pour faire des tests sur des premiers jeux de données, sans que cela soit en temps réel. Mais cela permet de commencer à embarquer les métiers, d’apporter une preuve de valeur. En cas de succès, cela permet de tirer des investissements plus conséquents, nécessaires à la production !

On en revient toujours à un point fondamental pour moi : la transformation apportée par le numérique est avant tout une transformation humaine. L’important est de commencer à instiller le changement de culture. On montre le ROI et la preuve de valeur, qui vont entraîner une transformation globale, tirer les investissements nécessaires et contribuer aux évolutions de nos infrastructures portées par la DSI, notamment le passage sur le cloud. La transformation digitale et data est clairement multidimensionnelle et réussit grâce à l’engagement de tous, métiers, DSI et équipes digitales et data !