Pour le directeur scientifique de Renault, Luc Julia, il est plus qu’urgent de faire preuve de sobriété énergétique. Et cela vaut notamment pour la Data et pour l’intelligence artificielle, un « marteau » à utiliser à bon escient.
Les rapports du Giec ont sans doute plus de retentissement aujourd’hui qu’ils n’en avaient encore quelques années plus tôt. Il est vrai que les conséquences du réchauffement climatique sont de plus en plus évidentes.
Agir est plus que jamais une priorité. L’écosystème du numérique a incontestablement une contribution à apporter. Sa part dans la consommation d’énergie mondiale ne cesse de croître.
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Droit dans le mur, à moins que…
« Si on ne fait rien, nous allons droit dans le mur », déclare Luc Julia, expert reconnu de l’IA et directeur scientifique de Renault. Ce dernier prenait la parole à l’occasion de la deuxième journée du salon Big Data – et de la sortie de son dernier livre.
« Nous allons épuiser nos ressources naturelles et disparaître… Sauf si, comme [Elon] Musk, on peut partir sur Mars », ironise Luc Julia, qui fait par ailleurs un parallèle avec la disparition de la civilisation de l’île de Pâques au 16e siècle.
Pour prévenir un tel scénario, à l’échelle planétaire cette fois, il convient donc d’agir. Car oui, estime-t-il, il est encore temps. « Nous ne sommes pas complètement foutus », assure-t-il – ce qui justifie la forme interrogative du titre de son livre (« On va droit dans le mur ? »).
Les actions à mener devront porter sur le numérique en raison de son impact considérable. Quelques illustrations pour l’étayer. Les datacenters ? « Une aberration écologique », dénonce le scientifique de Renault.
Ces centres informatiques hébergent de très gros volumes de données, notamment ceux exploités pour développer des usages de l’intelligence artificielle et entraîner des modèles. Ces infrastructures sont certes utiles, mais également très gourmandes en énergie.
Deepmind : un monstre à 440 kW Vs 20 watts pour le cerveau
Et les modèles d’IA eux-mêmes sont énergivores. Julia rappelle que Deepmind a triomphé de l’humain au jeu de Go en 2016. Les près de 2000 ordinateurs qui composaient la machine représentaient 440 kW de consommation.
« Tout cela, simplement pour jouer au Go. C’est un des problèmes de l’intelligence artificielle. Elle est hyper-spécialisée. On a pas, et on aura jamais, d’IA générique qui pourrait nous remplacer », souligne Luc Julia.
Et si la machine l’emporte sur l’homme au Go, ce dernier, via son cerveau, ne consomme lui que 20 watts. “Il y a quelque chose qui ne va pas”, s’insurge-t-il encore. “Il faut certainement changer de méthode et en trouver de nouvelles plus efficientes”.
Ce changement réside notamment dans l’entraînement des algorithmes, qui mobilise des quantités considérables de données. Le précurseur de l’IA rappelle que le premier outil d’IA conçu pour reconnaître des chats a mobilisé une base de données de 100.000 images annotées.
« Comparons ma fille de deux ans avec ce reconnaisseur de chats. Elle n’a besoin que de deux images de chats pour les reconnaître à 100%, contre 95% pour la machine. Encore une fois, les méthodes que nous utilisons en IA n’ont strictement rien à voir avec ce que nous faisons dans notre tête », pointe Luc Julia.
Des données biaisées et boîte noire
Nos données nous rendent malades, prévient-il. Cela, du fait de la consommation d’énergie directe et indirecte qu’elles induisent. Mais en outre, les Data sont “biaisées”. Cela impacte donc les modèles exploitant ce patrimoine, par exemple en induisant des drifts et in fine des discriminations.
Les approches de l’IA ou les datacenters ne sont toutefois pas les seules technologies épinglées. L’orateur dénonce une autre “aberration”, telle qu’il la qualifie, à savoir le Bitcoin. Il estime par exemple que deux transactions Bitcoin équivalent à jeter un iPad.
Luc Julia termine cependant sa prise de parole sur des notes d’espoir. Dans la blockchain, comme l’a illustré récemment Ethereum, des améliorations sont possibles sur le plan de l’efficacité énergétique.
Les Datacenters ? Ils peuvent être alimentés plus fortement en énergies renouvelables, même si les capacités de production restent encore insuffisantes. Le directeur scientifique souhaite cependant que le développement de la consommation de ces énergies vertes soit favorisé au travers d’une action collective.
Cela passera notamment par la contrainte et l’intervention du “régulateur”, seul capable d’imposer de telles pratiques aux opérateurs de datacenters. Dans le domaine du stockage, Luc Julia se félicite de l’émergence de certaines innovations, comme le stockage de données sur de l’ADN synthétique.
Quant à l’IA, Luc Julia rappelle qu’elle ne constitue pas le seul outil aujourd’hui disponible pour les entreprises. L’intelligence artificielle, “un marteau”, doit être considérée pour répondre à des “usages spécifiques”.
« Le marteau, je peux l’utiliser à bon escient, pour planter des clous. Mais je peux aussi l’utiliser à mauvais escient, par exemple pour taper sur la tête (…) Ce marteau, ces outils, c’est nous qui en tenons le manche et décidons donc de la manière de les utiliser », conclut-il.