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Nouveaux espaces de travail : quelles sont les recettes « à la française » qui fonctionnent ?

Faut-il à tout prix changer de locaux pour réussir sa transformation numérique ? Les entreprises françaises sont-elles mieux ou moins bien armées pour mener de tels changements ? Le diner-débat d’avril du Club des Partenaires IT a confronté les témoignages de chefs d’entreprise, DRH, experts du travail et spécialistes du numérique pour y voir plus clair.

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Frédéric Bedin ( Hopscotch ), François-Xavier Lemaire ( Stelliant ), Matthieu Fouquet ( Onepoint )

Plus encore qu’un enjeu technologique, la transformation que connaissent actuellement les entreprises est culturelle. Tous les intervenants réunis pour la dernière rencontre du Club des Partenaires dans les salons de SwissLife Banque Privée, place Vendôme, le 4 avril dernier, en étaient convaincus. Le thème de la soirée, dont Alliancy était partenaire, a centré plus précisément le débat sur la transformation des espaces de travail et,  par extension, sur l’évolution des comportements professionnels qui y est liée.

Des exemples locaux plutôt que californiens

« Les entreprises ont la tentation d’importer directement des modèles depuis les Etats-Unis, en oubliant que les entreprises de la Silicon Valley ont finalement créé des problèmes énormes pour leurs environnements », a introduit Elizabeth Pélegrin-Genel, architecte et psychologue du travail, auteure de « Comment (se) sauver (de) l’open-space » (Editions Parenthèses, 2016). « Le fait de mettre en avant le « désir de fun » sur le lieu de travail, de montrer les hamacs et les toboggans, prouve surtout -tout comme toutes les questions qui se sont posées autour de l’open-space- que nous avons une vision très pauvre et simpliste de la réalité du travail ». Autrement dit : impossible de décorréler la réflexion sur un espace de travail, de celle de l’évolution générale des modes de fonctionnement, en termes de mobilité mais aussi de confiance et d’autonomie des collaborateurs. Et en la matière, la culture des entreprises françaises à une emprise qu’on ne peut ignorer.

Julie Clement ( Makiba )

Du côté des entreprises invitées à témoigner sur leur expérience de transformation de leurs locaux, Frédéric Bedin, président du Directoire du groupe de conseil et communication Hopscotch a abondé sur l’importance de trouver ses propres recettes. « Je suis contre l’idée qu’il faut trouver le savoir lors de voyages dans la Silicon Valley, même si c’est très à la mode dans les comex. Il faut plutôt trouver ce qui convient spécifiquement à l’entreprise, maintenant que la technologie nous permet de repartir d’une page blanche en matière d’organisation du travail. Nous n’avons plus à penser en termes de bureaux, nous pouvons penser en termes de « moments » ! ». Il fait remarquer que l’on n’a pas les mêmes attentes en matière de fonctionnalité et d’apparence pour un espace où va avoir lieu un brainstorming, de celui où va se tenir un entretien de licenciement.
Sur la question de la généralisation du travail à distance, dont il reconnait la praticité en cas de situation exceptionnelle, il alerte cependant : « Tout le principe d’une entreprise, c’est bien d’être plus fort ensemble, avec des lieux où l’on devient plus que la somme de nos qualités individuelles réunies. Cela ne se fait pas vraiment en restant chez soi ».

Les algorithmes en soutien

Travailler hors des locaux historiques d’une entreprise peut prendre des formes diverses. La société WeWork envisage en la matière d’être le leader des espaces permettant de travailler en communauté. Maxime Besson-Vivenzi, qui représente la société américaine depuis son arrivée dans l’Hexagone il y a un an, explique le concept : « Les lieux doivent permettre de favoriser les interactions avec d’autres acteurs, des indépendants, des start-up, des grands groupes… Cela nécessite des animations régulières, des conférences, des ateliers, mais pas seulement. Depuis 10 ans que nous faisons ce métier, nous avons acquis une conviction : l’architecture des locaux à un impact sur cette capacité à créer du lien et des rencontres. Ce sont donc des algorithmes qui analysent ces données pour nous et permettent de définir où placer chaque « module » d’un lieu, comment organiser les couloirs, pour faciliter au maximum la vie des individus ». WeWork décline dans tous les pays ce « socle » architecturel commun, en changeant l’ambiance et le style des bâtiments selon leur pays d’accueil. En France, elle a dû aussi apporter quelques modifications à ses us et coutumes, pour faire en sorte que les communautés fonctionnent. « Nous avons par exemple dû rendre l’inscription aux évènements obligatoires, avec un nombre de places limitées, pour qu’ils aient le même succès que dans d’autres pays – c’est très français », illustre-t-il.

Nathanaël Mathieu ( LBMG Worklabs ) ,Maxime Besson-Vivenzi ( WeWork) ,Elizabeth Pélegrin-Genel ( architecte et psychologue du travail )

Changer les pratiques : avant, pendant ou après avoir changé ses bureaux ?

Ce genre d’écueils montre bien que le diable se cache dans les détails quand on transforme un environnement. « Trop souvent les entreprises se disent qu’en changeant de bureaux, pour quelque chose de plus ouvert, de plus moderne, de plus « start-up », le reste de leur transformation va suivre. Dans les faits, l’espace de travail n’est ni une cause, ni une fin en soi, sa forme devrait plutôt être le résultat logique d’un changement de fonctionnement » épingle ainsi Nathanaël Mathieu président de LBMG Worklabs, spécialiste du télétravail, des tiers-lieux et du co-working. Il porte un regard critique sur les postures prises par de nombreuses organisations : « Combien d’entreprises qui ont adopté en apparence toutes les bonnes pratiques modernes en termes de lieux et de modes de travail, restent en fait tout au fond d’elles-mêmes un pur produit de la culture fordiste ? ».

« Dans une transformation, la priorité est bien d’atteindre une vraie cohérence » reconnait à ce titre François-Xavier Lemaire, directeur général adjoint en charge de la transformation de l’ETI française Stelliant, spécialiste de l’expertise auprès des assurances. « Le problème est que l’on doit tout mener de front, car si on ne change pas un lieu de travail tout en transformant ce que l’on demande à ses collaborateurs au quotidien, on risque de créer une dissonance cognitive qui va finir par être un problème. » Pour le dirigeant, ces sujets sont des perpétuels work in progress, mais cela ne veut surtout pas dire qu’il faut ignorer des questions aussi sensibles et structurantes que la révision des modes de rémunération des managers ou de la place prise par les dirigeants eux-mêmes dans la hiérarchie et les bureaux. Si c’est de culture d’entreprise dont il s’agit, ces points sont beaucoup plus impactant que la présence ou non d’un open-space dans les locaux.

La taille de l’entreprise rend bien entendu la question plus ou moins épineuse. Cependant avoir beaucoup de collaborateurs ne devrait pas freiner les dirigeants. « Nous avons 2500 collaborateurs et seulement 3 niveaux hiérarchiques. Pour autant, nous ne sommes pas à proprement parlé une « entreprise libérée », nous avons surtout voulu trouver un moyen de libérer le rapport au travail » témoigne Matthieu Fouquet, DRH du cabinet de conseil OnePoint. Cela est passé en premier lieu par un travail de fond sur la source de légitimité des individus. « La légitimité doit venir de l’expertise plutôt que du statut, ce qui implique un travail d’empowerement permanent et l’émergence de nouveaux outils managériaux comme une plateforme de feedback venant du salarié pour remplacer l’entretien annuel individuel » détaille Matthieu Fouquet. Une réflexion sur les locaux eux-mêmes a également été menée : « Il ne s’agit pas juste de changer de lieu : les murs ont une histoire, travailler en leur sein perpétue certaines idées et ou réflexes, avec des conséquences » continue-t-il.

En tant qu’entreprise du secteur du numérique, l’expérience de One Point a été particulièrement surveillé par les dirigeants membres du Club des Partenaires IT.  Certains des arguments avancés par son DRH ont dû porter : « Nous accompagnons nos clients dans leur transformation numérique, il était donc essentiel que nous nous appliquions à nous-mêmes les recettes, « parfois choc », auquel ils réfléchissent ». Mais est-ce qu’être un spécialiste du numérique rend le changement plus facile ? « Nous avons des cicatrices, ce n’est pas anodin… mais nous sommes encore là pour en parler et même plus en forme qu’avant ! ».

>> Cet article est extrait du hors-série « Le Numérique en Pratique », l’Humain, téléchargez-le !