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Olivier Fronty (France Apprenante) : « La problématique, c’est le renoncement »

Face à un contexte en perpétuelle mutation et à l’obsolescence de plus en plus rapide des compétences, comment devenir une entreprise apprenante ? Entretien avec Olivier Fronty, PDG de Humans Matter et secrétaire général de France Apprenante.

Alliancy. Acteurs de l’éducation, l’apprentissage, l’innovation, du digital et de la formation, France Apprenante rassemble tous ceux qui veulent développer l’employabilité grâce à la formation tout au long de la vie. Où en est aujourd’hui la transformation des compétences dans les entreprises ?

Olivier Fronty, PDG de Humans Matter et secrétaire général de France Apprenante

Olivier Fronty, PDG de Humans Matter et secrétaire général de France Apprenante

Olivier Fronty. Les organisations ont beaucoup misé, notamment dans les approches managériales, sur des compétences de gestion d’équipes et de collectifs, qui sont indispensables dans un cadre où l’entreprise agit dans un monde mouvant, mais dans un système de croyances qui n’évolue pas.

Or, le contexte s’est fortement modifié et dans un monde de plus en plus « VICA » (Volatile, Incertain, Complexe, Ambiguë), les compétences de gestion ne sont plus suffisantes. Le monde est de plus en plus complexe avec des milliers d’informations traitées chaque jour, qu’elles soient numériques ou non, et un cerveau ou même plusieurs, n’ont pas la capacité de gérer ces multiples interactions.

Il faut donc développer des compétences et des capacités permettant d’en prendre conscience et mettre en oeuvre un dispositif cognitif afin d’apprendre à apprendre. Et donc d’apprendre à désapprendre nos automatismes et à améliorer notre employabilité. Cette faculté d’apprendre à apprendre… s’apprend ! C’est ce qu’on appelle, les meta-compétences, les compétences du XXIème siècle ou encore les softskills. Certaines entreprises ont compris la nécessité de développer ces capacités d’adaptation, d’autres sont un peu plus en retard, et le reste doit encore être complètement acculturé à ces problématiques. En tout cas, une entreprise ne peut aujourd’hui s’exonérer de penser ses relations humaines. Le développement personnel est désormais un sujet de compétitivité.

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Comment cette évolution est-elle mise en oeuvre ?

Olivier Fronty. Ces meta-compétences se mettent en action dès le moment où on a quelque peu oublié son rôle d’exécutant, d’acteur dans des cadres très normés,  même s’il en faut, et où on se révèle en tant qu’auteur. C’est, chez France Apprenante, le concept d’« Emancip’Action », soit la capacité « d’agentivité » en étant acteur de son propre environnement, et la capacité d’agir.

Ce sont les deux formats qu’il convient de déployer au sein des entreprises, de services ou industrielles, et dans les services publics. Dans ces secteurs aux systèmes d’information et aux processus devenus très puissants, prendre sa part d’« Emancip’Action » s’apprend, et c’est là que les compétences du XXIème siècle permettent de sortir de ces cadres et d’engager des leviers d’action.

Par exemple, Décathlon, Lippi, AXA ou encore Octo Technology sont des sociétés qui ont déployé de gros programmes sur les softskills. Elles installent de la transversalité au sein des modes de fonctionnement et de la coopération, qui permettent à chacun d’exercer sa capacité d’auteur.

Comment s’appréhende cette « Emancip’Action » ?

Olivier Fronty. Certaines entreprises ont compris que ces compétences s’acquièrent dans le temps long et non pas seulement pendant des temps de formation de quelques jours car elles touchent à notre niveau identitaire. Elles ont aussi compris que cela ne se réalisait pas non plus à travers des cours magistraux ou par des modes « command and control », mais via des parcours d’apprentissage par l’expérience. France Apprenante s’est donné pour objectif d’identifier tous ces précurseurs, – individus, associations, organisations -, pour que cette conscience puisse se déployer et bénéficier à un maximum de personnes. 

La socio-dynamique des relations, qui est la base des travaux de la coalition, nous permet d’envisager, après les précurseurs, de toucher des publics – coachs, animateurs de codéveloppement… -, qui vont promouvoir ces formats d’organisation apprenante.  

Voit-on des réfractaires à l’entreprise apprenante ?

Olivier Fronty. Certaines personnes ont sans doute davantage de difficultés à trouver leur intérêt dans un dispositif où apprendre à apprendre, c’est apprendre à désapprendre et où l’«  Emancip’Action  », c’est aussi renoncer. Et la problématique, c’est le renoncement.

Tous ces dispositifs sont en effet de caractère à remettre en cause dans les entreprises les équilibres sociaux et les acquis. Leur mécanique vise à déléguer les capacités d’agir à des personnes qui sont sur le terrain, avec un fonctionnement en réseau, ce que les dirigeants peuvent ne pas comprendre. Le management intermédiaire, qui a bâti sa progression sur l’ancien système, voit son investissement remis en question et reproduit le système qu’il a vécu par le passé en matière de modes de management : commander et contrôler alors que l’ère est à la délégation et à la confiance, qui seules permettent d’appréhender la complexité du terrain.

Après cette démarche très pragmatique, quelles étapes pour une entreprise apprenante ?

Olivier Fronty. Ce sera la mesure de l’impact. Les entreprises ont toujours appris à évaluer de manière très matérielle et très pragmatique le gain, la valeur, le cash, la performance ou encore la qualité. L’un des enjeux majeurs va aussi consister à mesurer ce que ces compétences et meta-compétences leur apportent en termes d’apprentissage et comment les organisations sont à même d’être le coeur du développement personnel comme professionnel de tous. Ceci, afin de garantir l’employabilité de leurs collaborateurs et de créer de la valeur humaine. Il existe des observatoires pour évaluer le gain de l’« Emancip’Action  » et France Apprenante travaille sur ce sujet.

C’est un élément essentiel, surtout dans un système de données, puisqu’on parle d’un système d’information sous-tendu par les données. Il faut déterminer, dans ce qu’on pourrait assimiler à une démarche anthropologique, quelles sont les données de vécu, les traces qu’on va aller chercher pour montrer que les choses ont changé et que les comportements ont évolué. Etablir la preuve est un facteur de propagation fondamental.