Selon Oracle et Capgemini, les clouds verticaux interrogent avant tout le rôle que les DSI veulent jouer à l’avenir

Dans quelle mesure les offres cloud du marché peuvent-elle apporter des réponses spécialisées, secteur par secteur ? Et est-ce compatible avec les attentes des DSI ? Nous avons posé la question à François Bodin, VP Technology Cloud Sales France pour Oracle, et Laurent Gautier, Vice-Président Sales Cloud Infrastructure Services chez Capgemini.

Cet article est extrait du guide Les défis d’un nouveau monde à télécharger « Accélérer la transformation des entreprises : Les clouds verticaux sont-ils l’avenir ? ».

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François Bodin, VP Technology Cloud Sales France pour Oracle, et Laurent Gautier, Vice-Président Sales Cloud Infrastructure Services chez Capgemini

Il n’existe pas à ce jour de définition unique de ce que serait idéalement une approche cloud « verticale » : dans les discussions menées avec les DSI, quels sont les aspects qui vous marquent le plus dans leurs analyses actuelles ?

François Bodin. Les DSI perçoivent en premier lieu le sujet à travers le prisme du développement spécifique, pour répondre aux enjeux qui sont particuliers à leurs différents secteurs. Autrement dit, utiliser le cloud sous sa forme PaaS, pour aller vite, là où traditionnellement les développements spécifiques étaient toujours très longs. Ce n’est donc pas du cloud vertical « sur étagère », plutôt un cloud vertical à construire soi-même. En effet, ils sont à ce stade moins convaincus par la capacité du cloud à ouvrir et fédérer des écosystèmes, en créant des plateformes de données qui permettront de former des actifs « communs » autour de leurs activités. Ils ne se retrouvent pas dans ces clouds verticaux, car ils ne trouvent pas le marché assez mûr sur ces questions ; sans doute à raison. Pourtant, c’est bien un potentiel des clouds qu’il va falloir apprendre à exploiter.

Laurent Gautier. Chaque DSI tente aujourd’hui de créer son propre cloud vertical, à l’échelle de son entreprise. Il y a une reconnaissance de la vélocité apportée par le cloud, mais aussi des freins pour des sociétés qui ont moins de moyens que le CAC40, tout en ayant souvent une forte dimension internationale. Ils ne se retrouvent jamais malgré leurs efforts à « gérer un cloud unique à l’échelle mondiale ». Sur le papier, leur stratégie peut donner cette impression, mais dans la réalité, la variété des réglementations, des clauses contractuelles, des landing zones, des setups… font que pour un même cloud théorique, les réalités sur le terrain sont très différentes.

Cette complexité du réel leur pose de fortes questions en matière de cybersécurité, de FinOps et de réversibilité, qui sont les trois points qui reviennent le plus au-delà des sujets de performance. Aujourd’hui, l’interrogation principale des DSI est donc sur la gestion des incertitudes futures et des dépendances que peut potentiellement créer le cloud. Quand on développe beaucoup en PaaS pour faire du « vertical », on se retrouve par exemple avec un défi majeur si l’on veut se désengager par la suite, avec des milliers ou millions de lignes de code qui sont de facto liées à la plateforme choisie.

Pour aller plus loin :  Retour sur le workshop « Performance, sécurité, contraintes du terrain… Quels sont les secteurs qui ont intérêt à parier sur des clouds verticaux ? » 

Est-ce que cela explique la forte attente en matière de multicloud et la difficulté pour autant d’en faire une réalité opérationnelle ?

F.B. C’est un des points les plus importants sur le marché aujourd’hui. Nous poussons énormément pour l’émergence de composants standards. C’est un impératif en matière de cybersécurité, de réversibilité, mais pas seulement… L’objectif est d’apporter les garanties suffisantes pour que le cloud provider ne soit pas « juge et partie ». Il faut absolument sortir des cadenas qui sont reprochés aux acteurs. Je sais d’expérience qu’Oracle a beaucoup évolué ces dernières années pour changer de philosophie. La réalité, c’est que la maturité multicloud doit donner une autonomie, et ne plus sacrifier son indépendance quand on doit gagner en vélocité, c’est très précieux. Et certaines entreprises commencent à être plus à l’aise sur le sujet, ce qui montre bien qu’en faire une réalité opérationnelle n’est pas utopique.

L.G. L’autre aspect majeur de l’équation, c’est la data. Les entreprises peuvent avoir une crainte légitime de se retrouver verrouillées par les algorithmes proposés par les cloud providers sur des problématiques verticales, qui seraient donc par nature « cœur de business ». C’est une vigilance sur les risques de désintermédiation, quand il y a des clouds très spécifiques. Quand un acteur comme AWS dépasse son rôle de facilitateur de business et devient en quelque sorte un « prescripteur » de business model sur le Retail par exemple, on dépasse la simple question de la qualité d’une plateforme technologique. C’est un glissement de posture, qui interroge de fait sur ce qu’il va falloir développer en interne et sur ce que l’on doit consommer sur étagère. D’autant plus que si tous les professionnels d’un secteur finissent par reposer sur les mêmes algorithmes proposés par une offre cloud verticale, sur quels aspects vont-ils ensuite se différencier de leurs concurrents directs ? Le rôle du DSI est clé sur ces questions, car les représentants des métiers vont naturellement voir l’intérêt business immédiat… alors que le rôle de l’IT est d’avoir une vision à plus long terme.

Quelle importance prend la question budgétaire dans la constitution de ce rôle « attentif » de la DSI ?

L.G. La pression sur les opex et les capex est réelle, même si tous les DSI reconnaissent que le cloud est obligatoire pour réconcilier les enjeux budgétaires et les attentes métiers. Les budgets sont toujours sous pression, alors même que les directions générales demandent d’en faire plus.

F.B. L’antagonisme budgétaire face à la transformation technologique du business est paradoxal. En France notamment, les entreprises font traditionnellement « survivre » leur IT à moindre coût, au risque de se priver des changements majeurs qui peuvent vraiment aider à transformer l’entreprise. Est-ce que le cloud va débloquer cette philosophie au sein des directions ? C’est possible du fait de la forte disruption amenée par les hyperscalers ; mais ce n’est pas encore complètement gagné.

L.G. Certains DSI ont pu avoir l’impression que le paradigme avait changé suite à la crise sanitaire, mais c’est plus complexe que cela. Le tunnel de la pression financière n’a pas complètement évolué pour l’IT, car la vision des directions générales sur leur rôle n’a pas autant évolué que cela. Ils ont rendu des services sur des sujets clés comme le télétravail, mais la perception de « DSI transformante » n’est pas majoritaire.

Guide Alliancy - Defis d'un Nouveau Monde - Clouds verticaux - Capgemini et Oracle

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Dans ce contexte, quelles sont pour vous les opportunités les plus concrètes à venir pour les DSI en matière de cloud vertical ?

F.B. Aujourd’hui, des cloud verticaux existent, mais ils ne sont pas suffisants pour répondre à 100% des demandes sectorielles, ils ne sont pas « autoporteurs » et doivent notamment être intégrés sur les clouds proposés par les hyperscalers. La question est donc : quelle part les DSI vont-elles construire elles-mêmes dans le cadre de ces écosystèmes de plus en plus riches et élargis, proposés par les grands providers ?

La priorité, qui est aussi une opportunité pour accélérer la transformation, est à ce titre de définir les matrices qui vont permettre à l’entreprise d’arbitrer sur les différentes briques à disposition et sur leur assemblage. Le parallèle peut être fait sur la transformation qu’ils ont connu voilà quelques années avec les ERP. Faut-il vraiment construire le noyau IT soi-même ou peut-on acquérir des solutions et utiliser le Paas pour ne personnaliser que 20 % ou 30 % qui feront la différence ?

L.G. A ce stade, la notion d’écosystème est clé : les DSI doivent se donner les moyens de faire du « cherry picking », d’adopter cette approche de broker et d’agrégateur de services, en corrélation avec les attentes des métiers… On se rend compte que cela arrive quand même plus vite qu’ils ne s’y attendent, et que la conduite du changement n’a pas été totalement assimilée au sein des équipes. C’est une transformation importante dans la posture de la DSI. L’opportunité présentée par les questions du cloud vertical, est de mettre le sujet à plat, pour mener cette transformation de fond.

F.B. La question est même plus la capacité à entrer dans une routine du changement permanent, alors que le cloud fait sauter de plus en plus de barrières. Si les DSI veulent construire un leadership dans cette nouvelle ère, il faudra adopter une posture très offensive. On entend aujourd’hui des acteurs nous dire : j’utilise le cloud pour faire des économies sur l’infrastructure qui vont, à périmètre égal, permettre de financer l’innovation vis-à-vis du business. C’est exactement cela ! On libère des ressources financières, grâce à une approche FinOps cohérente, afin de construire ses gains pour demain.

L.G. Mais encore faut-il avoir les compétences pour le faire ! Le sujet majeur de pénurie de talents risque de se mettre sur le chemin de cette transformation. Il s’agit bien souvent de compétences différentes de celles dont les entreprises disposaient jusque-là. C’est un point majeur qui empêche d’anticiper. Il faut donc pouvoir boucler la boucle en mettant en avant leur transformation cloud pour en faire un facteur d’attractivité et recruter. Tout le défi est de créer ce cercle vertueux.

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