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[Chronique] Connaissez-vous la première étape clé pour mettre « l’Humain au centre » de la transformation ?

Benito Diz poursuit sa chronique sur les incontournables de la transformation numérique en abordant le point clivant pour beaucoup d’organisations : l’adhésion des collaborateurs au changement.

l’Humain au centre de la transformation Nous avons précédemment vu à quel point les entreprises devaient voir grand pour leur transformation si elles voulaient réussir, et comment leur stratégie IT devait elle-aussi se mettre au diapason. A ces incontournables s’en rajoute un autre, qui a inspiré le nom de cette chronique : mettre l’Humain au cœur de la transformation.

Pour synthétiser : il est essentiel que chaque collaborateur comprenne le pourquoi de la transformation pour donner du sens. En l’absence de sens, elle ne sera pas assimilée et personne ne voudra ou ne pourra bouger. Cette première étape de compréhension s’avère indispensable à l’adhésion et à l’appropriation. Sans appropriation, sans compréhension, pas de changement ni de transformation.

Selon Microsoft, en 2020, 59% de personnes déclarent avoir des attentes plus élevées en matière de service client qu’il y a 1 an. Ce constat vaut aussi pour l’expérience utilisateur.

La Direction a un rôle essentiel à jouer : elle doit être porteuse et promotrice de cette transformation, soutenue et relayée par l’ensemble du management. Son implication est indispensable à la réussite des transformations au cours du temps.

Le management doit être impliqué dans ces transformations et en devenir le sponsor, dans son métier et au sein de son comité de direction. Beaucoup de processus sont inopérants du fait des spécificités intrinsèques qui ne sont pas partagées avec les autres directions. Des spécificités souvent répétitives, voire contraires aux autres processus. Il est donc important de définir un langage commun qui doit être partagé à travers toutes les strates de l’entreprise. Pour embarquer un comité de direction, il faut l’impliquer, monter un chantier où chacun doit réfléchir sur ses problématiques, afin de les mettre en vision, les partager avec les autres, et impulser le collectif.

Surtout ne pas se bander les yeux sur l’impact humain de la transformation numérique

Fin 2014, dans une entreprise du CAC40, j’avais proposé au directeur général d’acculturer son COMEX sur une demi-journée aux avantages métier du cloud et en particulier de SaaS. Après une brève introduction sur la technologie au service de la transformation et sur la transformation numérique en cours, plusieurs exemples ont été présentés dans chacun des métiers des directeurs présents. Cette réunion avait duré le double du temps prévu. Les questions ont fusé de partout, plusieurs directeurs ont demandé de former leur CODIR métier sur une journée dont une demi-journée dédiée à l’embarquement du cloud dans leur métier.

Comme nous l’avons constaté dans cette période de pandémie, le manque de ressources, le manque de temps et l’optimisme sont trois facteurs qui amènent à l’innovation ; qui à son tour, amène à la transformation : le monde change. Les salariés doivent évoluer vers des tâches à valeur ajoutée, d’où l’importance des conditions sur lesquelles se fonde la crédibilité de cette transformation qui apportera confiance et l’envie d’aller de l’avant.

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Au regard de l’existant, il faut aborder les changements de logique dans une évolution continue et modulaire. Le changement s’implémente progressivement et de façon continue. Toutefois, il ne faut pas se bander les yeux : à la fin, il y aura moins de monde pour faire, les métiers à très faible valeur ajoutée vont disparaître, voire être externalisés. En effet, la numérisation entraîne des changements voire des disparitions de métiers, une réduction des temps de travail et donc des effectifs, du fait de l’automatisation.

Plutôt que de l’ignorer, mieux vaut prendre en compte cette évidence et mettre en place les outils nécessaires pour cartographier les compétences actuelles et celles nécessaires pour les nouveaux processus. Une démarche qui mettra en évidence les écarts entre les tâches actuelles et futures, et les chemins à parcourir (formations, transformations, recrutements…), les appétences de chacun, ainsi que les parcours professionnels à anticiper pour préserver l’employabilité face à la disparition inévitable de certains métiers.

Pour Susan Lund, associée du McKinsey Global Institute et co-auteur de l’étude de 2017 précise que : « le modèle où les gens vont à l’école pendant les 20 premières années de vie et travaillent pendant les 40 ou 50 prochaines années est dépassé » pour continuer en déclarant : « nous allons devoir penser à l’apprentissage et à la formation tout au long de notre carrière ».

Collaborateur acteur ou collaborateur spectateur ?

Tout le personnel de l’entreprise et toute la chaîne managériale doivent s’impliquer dès le départ dans la refonte des processus internes et des parcours clients. Ces processus sont repensés de façon disruptive au regard des apports des nouvelles technologies. L’organisation ne peut se contenter d’une simple revue sur la base des traitements réalisés historiquement et au regard des applications informatiques utilisées.

Selon Dynamic Signal, 85% des collaborateurs perdent au moins 1 à 2h de productivité par semaine à la recherche d’information.

Quand l’équipe comprend et partage une vision, une dynamique collective s’enclenche, les collaborateurs sont rassurés, motivés, alignés et acteurs. Cependant, si ces facteurs ne sont pas réunis, les collaborateurs subissent le changement et ne sont que de simples spectateurs et aucune dynamique collective ne peut émerger. Si ces personnes disposent de toutes les ressources nécessaires et qu’elles ne fonctionnent pas correctement ensemble, il faut peut-être interroger le mode de gouvernance globale, le leadership ou le pilotage de ces dernières.

En partageant les processus, nous simplifions ces derniers (processus dictés par des limitations applicatives, mêmes contrôles de KYC réalisés à plusieurs endroits…) et l’on fait émerger des gains organisationnels. Le rapprochement des équipes métiers, des équipes de développement et des responsables des opérations informatiques permettra en plus le déploiement de processus d’évolution agiles et continus.

C‘est comme cela que dans une de mes dernières expériences, en prévision de la transformation de l’entreprise en plateforme, nous avons identifié et documenté tous les processus existants. À cette occasion, nous avons découvert de multiples doublons (mêmes contrôles doublonnés en front et en back office, par exemple) qui entraînaient entre autres des coûts supplémentaires. Pour finir, nous avons défini de nouveaux processus simples, avec une vision partagée par tous les protagonistes des parcours sur la globalité de l’entreprise.

L’incertitude nourrit la résistance au changement, qui alimente les problèmes opérationnels

Pour sécuriser les connaissances et faire monter en puissance les compétences internes, il est essentiel d’acculturer et de former le personnel lors de la transformation et du recentrage des processus sur les cœurs de métiers. Pour cela, il est primordial d’inventorier, de façon déclarative, les compétences et les appétences des collaborateurs afin de connaître leurs attentes et d’identifier les points forts de l’entreprise.

La résistance au changement est souvent portée par le besoin de se protéger contre l’incertitude du lendemain (perte d’indépendance, d’avantages, pertes de repères, affichage des non-compétences, peur de la surcharge de travail, sortie des zones de confort, chamboulement de l’ordre existant…), et l’intérêt que certaines personnes trouvent dans l’immobilisme (perte de pouvoir ou d’influence, séparation d’équipes, ambitions différentes…). Ces résistances, qui ne sont pas la pensée d’une unique communauté (service, métier, direction, management…) au sein de l’entreprise, peuvent représenter de réelles menaces pour les projets et la transformation. C’est pourquoi il est plus que nécessaire d’accompagner et d’acculturer les personnes aux changements, que ce soit dans les parcours ou dans leurs tâches réalisées qui pour certaines étaient « autorégulées » depuis des décennies.

Lors d’un incident de recette d’une nouvelle application dans une grande entreprise de transport, une gestion de l’incident sans grandes conséquences qui aurait dû durer 24h et passer par deux centres de compétences, a duré 23 jours sans résolutions et est passé par 17 étapes différentes. Ceci était notamment dû au fait qu’aussi bien côté DSI que côté métier, certains services faisaient de la résistance au changement et cherchaient volontairement ou involontairement à ne pas sortir de leur zone de confort, ce qui est le cas avec cette nouvelle application. Après analyse de cet incident de gestion et présentation du résultat à tous les protagonistes, j’ai accompagné deux services pour les rassurer et les aider à les transformer vers une nouvelle organisation plus agile (métier compris).

Dans sa très belle conférence « l’économie de la connaissance » à voir et à revoir, l’essayiste Idriss Aberkane rappelle que : « le message le plus important de la conférence est le suivant : toute évolution dans l’histoire de l’humanité, dans n’importe quel secteur, va systématiquement passer par trois étapes : elle sera considérée comme ridicule, elle sera considérée comme dangereuse puis elle sera considérée comme évidente ».

Pour libérer les esprits de la peur du changement, il faut permettre aux salariés de s’exprimer sur leur métier, en prenant en compte le gap générationnel entre les managers et les salariés, et créer les conditions pour qu’ils deviennent forces de propositions. Les contraintes réglementaires ne doivent pas être un frein, mais être gérées par une couverture des risques à bon escient.

Incontournable « lâcher-prise »

Dans le secteur de l’environnement, lors de l’accélération des changements pour atteindre les nouveaux objectifs sur la reprise en main des données et la sécurisation de ces dernières, les instances du personnel m’avaient remonté un besoin complémentaire (en plus des formations cloud au métier et aux équipes de la filière informatique) afin de rendre plus « palpable » ce qu’était le digital. Nous avons donc organisé des groupes de travail sur le digital, assistés de seniors ayant déjà fait des évolutions métiers en dehors de l’entreprise. Le résultat n’était pas un besoin de formation ou d’ajout de compétences, mais un endroit de partage, de brainstorming, une acculturation au nouvelles donnes digitales afin de rassurer les équipes informatiques sur les évolutions à venir et partager avec elles l’évolution de leur métier sans pour autant mettre en risque leur employabilité.

Encore en 2020, selon une étude de Randstad, 56% des collaborateurs estiment qu’ils n’ont pas les compétences requises pour maîtriser les technologies numériques.

Ces laboratoires d’idées facilitent le « lâcher prise » et font accepter la perte de la maîtrise complète sur certains processus (inter-services, inter-entités, avec des partenaires…) lorsque nécessaire. Le cadre agile gérant de petits incréments d’évolutions logicielles fait que le product owner peut changer d’avis facilement sans entraîner une charge importante de reworking. De ce fait, le droit à l’erreur et le droit à l’échec cessent d’être des empêchements ou des actes sanctionnés.

L’objectif vise à développer une culture numérique commune et partagée afin de faire monter en compétence toute l’entreprise vers des tâches à réelle valeur ajoutée. Ceci permet notamment de couvrir/gérer les risques de départ des salariés qui ne se sentiraient pas concernés ni pris en compte dans ces changements.

Martelons-le autant de fois qu’il le faudra : chaque collaborateur n’est plus un simple exécutant. Au cœur du processus de transformation, il appréhende ces évolutions en devenant acteur du changement et force de proposition. C’est une évolution du paradigme : le changement ne s’impose pas. Il faut inviter toutes les parties prenantes au voyage, les accompagner pour qu’elles deviennent actrices et non simples spectatrices. C’est l’une des conditions majeures de succès.

Sans dynamique individuelle et collective, le projet ne peut se mettre efficacement en mouvement.

Steve Jobs, cofondateur d’Apple, disait : « Si vous voulez embaucher des gens formidables et les faire travailler pour vous, vous devez les laisser prendre beaucoup de décisions et vous devez les piloter par les idées et non par la hiérarchie. Les meilleures et les bonnes idées doivent gagner, sinon les bonnes personnes ne restent pas. ».

Dans le prochain épisode de cette chronique, nous regarderons de plus près les conséquences de tous les incontournables que nous avons vu jusqu’à présent sur le positionnement de la DSI et les perspectives des métiers IT.