Raphaël Labbé (Wiztrust) : « La blockchain est une très bonne solution pour combattre la désinformation financière »

En septembre dernier, un faux communiqué assurait que le Litecoin était utilisable sur le site de Walmart. Résultat : le cours du Litecoin a pris 30 % en un rien de temps et les groupes cybermalveillants à l’origine de cette opération ont empoché potentiellement jusqu’à 70 millions de dollars. Wiztopic, éditeur d’une solution de gestion des relations presse, a mis au point un système de certification de ces communiqués et documents officiels basé sur la blockchain. Alliancy s’est entretenu avec son fondateur Raphaël Labbé pour mieux comprendre comment il souhaite combattre cette manipulation de l’information d’un nouveau genre.

Portrait de Raphaël Labbé, cofondateur de Wiztopic.

Portrait de Raphaël Labbé, cofondateur de Wiztopic.

Alliancy. En quoi consiste Wiztopic et qu’est-ce qui vous a poussé à lancer Wiztrust ?

Wiztopic est un logiciel de gestion de la communication pour les grands groupes. Nous ne gérons pas de données et ne faisons pas de vente de fichiers, notre outil mise sur la relation de confiance avec les journalistes et non pas sur le marketing direct. Créé il y a sept ans, notre outil a vocation d’être une tour de contrôle des relations presse. Et puisque nous travaillons beaucoup avec des sociétés cotées et des secteurs réglementés comme la banque ou la santé, nous investissons beaucoup pour garantir la mise en conformité des systèmes de nos clients.

En travaillant avec eux, nous nous sommes rendus compte des risques de la désinformation financière et nous avons donc conçu Wiztrust, une solution directement intégrée à Wiztopic ou bien proposée en tant que telle. L’idée étant de recourir à la blockchain pour certifier les fichiers qui circulent entre les entreprises et le monde des médias. Notre audience sur ce produit est bien B2B mais, in fine, ce sont les journalistes qui encaissent les dommages collatéraux.

Quelles sont les premières étapes dans le déploiement de votre solution ?

La première étape est la bonne compréhension de la procédure de distribution du contenu : qui est impliqué ? qui est chargé de transmettre le message ? Cela se construit généralement autour de trois métiers que sont les relations presse, la communication et la compliance. Puis nous nous fions aux services des ressources humaines pour identifier les bons interlocuteurs.

Une fois l’outil déployé, l’utilisateur se connecte sur Wiztrust et dépose un fichier dont les métadonnées (date de création, taille, nature…) sont inscrites dans la blockchain. Nous ne sauvegardons pas de données personnelles, mais gardons simplement une trace du document au moment où il est partagé. C’est d’ailleurs pour cela que le logo choisi pour notre solution est une empreinte digitale. 

Ainsi, lorsqu’une organisation, une agence, un investisseur ou un média souhaite vérifier un document, il suffit de l’uploader sur notre plateforme. S’il la réponse apparait en rouge, c’est qu’il n’a pas été identifié dans notre blockchain. Wiztrust protège aujourd’hui plus de 20% du SBF 120, soit 600 milliards d’euros de capitalisation boursière (Schneider Electric, Bouygues, Crédit Agricole, Axa, Ferrovial, etc.), ainsi que de nombreux établissements financiers non cotés tels que le Groupe BPCE, la Macif ou Malakoff Humanis. 

Nous sommes également ravis de collaborer avec Euronext car ils ont pris conscience de l’intérêt de lutter contre la manipulation de l’information boursière. Il y a un intérêt collectif à mettre en place ces systèmes et notre solution a gagné en légitimité en trois ans d’usage, ne serait-ce parce que le risque de désinformation financière a pris de l’ampleur. Mais beaucoup ne se rendent pas encore compte du niveau et de la nature de ce type de risques.

Nous protégeons la partie B2B de l’information financière, mais c’est le journaliste qui est visé : celui qui, faute de temps, se fait avoir par la diffusion d’une fausse information ou d’un faux communiqué.

À quand datent les premiers cas de désinformation financière ? 

On identifie des cas dès les années 2000, avec une accélération dans la décennie 2010. Par exemple, fin 2019, l’Autorité des marchés financiers (AMF), a infligé une amende de 5 millions d’euros à l’encontre du média Bloomberg pour avoir relayé une fausse information. 

Plus récemment, ce sont surtout des cas d’activisme climatique qui ont été recensés avec une stratégie de désinformation ciblant par exemple Koch Industries, Chevron ou encore General Inks. Le groupe d’activistes le plus actif est “The Fixers” qui utilise des infox pour dénoncer des grands groupes qu’il accuse de greenwashing. En avril par exemple, un faux communiqué annonçait que le groupe pétrolier portugais Galp Petrol abandonnait son projet d’exploration gazière dans le nord du Mozambique afin de poursuivre un « avenir 100% renouvelable ». Ce faux communiqué a réussi à tromper plusieurs médias nationaux et internationaux.

Quelles sont les principales motivations derrière cette atteinte à la réputation de grands groupes ?

Il n’est pas possible de tuer une entreprise avec une fausse information, mais cela peut gravement lui nuire. Ce qui nous intéresse ce sont les personnes qui usurpent l’identité d’une entreprise pour s’adresser aux journalistes.

Concernant les groupes d’activistes comme « The Fixers », nous ne portons pas de jugement sur le message mais plutôt sur la méthode. Des personnes ont perdu des économies dans ces opérations. Mentir le 1er avril est à la limite admis, mais le reste du temps nous devons faire en sorte que les informations qui circulent soient saines, autant au sein du monde médiatique que financier.

De la même manière, d’autres personnalités se sont aussi adonnées à ces pratiques : à l’image de l’homme politique et patron de presse Nicolas Miguet, qui a mis en avant son entreprise de biotechnologies par l’intermédiaire de ses médias. Il a été sanctionné d’un million d’euros par l’Autorité des marchés financiers (AMF) dernièrement pour non-divulgation de conflits d’intérêts et manipulation de cours. Mais dans certains cas les plus évolués et sophistiqués qui visent l’appât du gain, il faut des ressources financières pour en tirer profit.

Est-ce que nous assistons à une professionnalisation de ces pratiques ?

Les derniers cas de « hack financier » sont plutôt d’envergure : nous pouvons citer en octobre dernier la manipulation du cours boursier de Walmart sur le Litecoin. Une infox indiquait que cette cryptomonnaie pouvait être utilisée dans les magasins en ligne. Résultat : le cours du Litecoin a pris 30 % en un rien de temps et les hackers ont empoché plus de potentiellement jusqu’à 70 millions de dollars grâce à cette transaction. 

Un mois plus tard, c’est au tour de Kroger de démentir la prétendue acceptation de paiements en Bitcoin Cash (BCH). Dans ce cas précis, les hackers ont réussi à faire passer leur fausse information sur le site officiel d’un wire. Il ne s’agit donc pas d’un activisme mis en scène mais de techniques bien plus sophistiquées et qui nécessitent de l’argent. Le hack d’une agence de distribution de presse en ligne a sûrement nécessité du monde, de faux numéros de téléphone, de fausses adresses email et beaucoup d’argent pour investir massivement dans des cryptomonnaies dans un second temps.

Je ne dirais pas que nous sommes déjà à un stade de professionnalisation, mais plutôt d’itération successive et les derniers hacks en date ont sûrement convaincu de nombreux cybercriminels de la valeur de ce genre de système. 

Doit-on généraliser l’utilisation de la blockchain pour s’assurer que les sources d’une information soient véridiques ? 

La blockchain est une très bonne solution pour combattre la désinformation financière. Mais elle crée aussi des inquiétudes car beaucoup confondent encore ce système avec les cryptomonnaies en général. Nous devons souvent expliquer que Wiztrust est attaché uniquement au protocole de certification offert par la blockchain.

En plus de nos coûts technologiques, nous investissons donc aussi dans la pédagogie car sans adoption, notre produit n’a aucune valeur. Nous proposons plusieurs formations aux entreprises et aux rédactions de médias, notamment dans des journaux financiers.

Notre activité croît rapidement heureusement pour nous mais aussi malheureusement à cause de la montée en puissance de la désinformation financière. La crise du Covid a aussi été synonyme d’une prise de conscience sur ces enjeux et Wiztrust évolue grâce à la vigilance grandissante contre les risques cyber de manière générale.

Notre solution est aujourd’hui autofinancée et nous souhaitons la déployer davantage au niveau européen. Face au risque d’amende de la part d’un régulateur boursier, au risque de poursuite d’actionnaires individuels ou encore au risque financier après une manipulation en bourse ou une atteinte à la réputation, il est devenu plus facile de convaincre les grandes entreprises d’acheter Wiztrust. Cette dynamique d’investissement dans la valeur de l’information est un bien commun qui rend service à tout le monde.