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A terme, le fait de travailler au bureau va devenir marginal…

Xavier Perrin, Vice-Président Global Real Estate de Schneider Electric, groupe industriel à la fois utilisateur et offreur de solutions pour le bâtiment, revient sur ses priorités à l’heure post-Covid autour de la digitalisation de sa fonction et l’usage de la data.

Alliancy. Pourquoi la digitalisation de la fonction « Corporate Real Estate » devient-elle indispensable ?

la Foncière Tertiaire (Icade) signe avec Schneider Electric France

Le 23 juillet dernier, la Foncière Tertiaire (Icade) a signé avec Schneider Electric France un bail en état futur d’achèvement (Befa) portant pour 16 000 mètres carrés sur Edenn, opération de redéveloppement située au pied de la gare RER de Nanterre Préfecture et de la future gare de Nanterre-La Folie (RER A et E, ligne 15 du GPE). Ce bail a été signé pour une durée ferme de neuf ans et prendra effet au 2ème trimestre 2025.

Xavier Perrin. La digitalisation permet de disposer de données pour agir en toute visibilité et ainsi de réduire de façon pertinente les espaces alloués. Notamment sur ce qui se passait avant  la crise de la Covid…

Par exemple, au Hive (« Hall de l’Innovation et Vitrine de l’Energie »), siège social du Groupe Schneider Electric situé à Rueil-Malmaison, au sud de Paris, nous disposons de 43 000 mètres carrés, dont un immeuble de 10 000 mètres carrés peu utilisés.

Nous sommes déjà descendus à 27 000 mètres carrés, mais nous allons passer sur 16 000 mètres carrés d’ici à 2025, dans un nouveau bâtiment situé au pied du RER et de la ligne 15 du Grand Paris Express, pour le même nombre de personnes. Mais, pour y parvenir, nous avons besoin de tout monitorer en amont de notre déménagement (soit entre septembre 2021 et 2023) afin de disposer de données évolutives pour prendre les décisions les plus pertinentes pour la suite.

A commencer par des données concernant l’occupation réelle de votre site ?

Xavier Perrin. Tout à fait. Au Hive par exemple, sur 2 000 personnes basées à cet endroit en 2019, à 95 % du temps, nous n’avons jamais dépassé les 1 150 personnes présentes au maximum. Donc, si nous prenons demain d’un immeuble de 1 150 postes de travail, ce sera pertinent à 95 % du temps… La technologie aujourd’hui nous permet de connaître de telles informations précisément.

On peut également savoir quelles personnes viennent au bureau et à quelle fréquence… Sur 2 000 collaborateurs, 20 % viennent moins d’une fois par semaine (chiffres 2019, avant-Covid), 30 % entre 4 et 6 jours par mois (sur 21 jours) et enfin, 30 % entre 8-10 et 15 jours… et 20 % plus de 15 jours… Données que l’on peut aussi décliner par grandes fonctions. Un exemple : dans tel service, vous avez 30 postes installés, mais vous n’avez jamais été plus de dix personnes ensemble sur l’espace… On peut donc revoir ensemble la situation…

En termes d’usages, comment procédez-vous ?

Xavier Perrin. On regarde par exemple l’usage des salles de réunion, qui s’avèrent souvent inutilisées, surtout celles disposant d’une capacité de 20 personnes. Partant de là, nous cherchons à voir comment l’espace est consommé et quels types d’espaces sont nécessaires… L’objectif du monitoring est global : il permet de comprendre ce qu’il se passe, savoir combien de personnes sont présentes en permanence dans l’immeuble (sur une population donnée), comment elles collaborent, utilisent ou pas les lieux (comme les salles de réunion), afin d’adapter au mieux un programme immobilier et ne pas imaginer à l’aveugle aujourd’hui nos besoins de demain…

Avant la Covid, le fait de travailler à distance était marginal. Désormais, c’est le fait de travailler au bureau qui va devenir marginal… Il y a donc une inversion des situations ! Ensuite, les collaborateurs ont une demande et des attentes : ils veulent de la liberté dans la façon de gérer leur temps ! Et, même s’ils vont continuer à venir au bureau (ce qui a une réelle valeur), ce ne sera plus le cas tous les jours. Ce n’est plus la peine de perdre des heures dans les transports… On considère par exemple, après analyse de la data, que l’on va pouvoir baisser de 50 % nos actifs commerciaux dans le monde à terme.

En complément, comment définissez-vous les services que vous proposez ?

Xavier Perrin. Concernant l’offre proposée aux collaborateurs, on out-source principalement. Dans ce domaine, il faut trouver un équilibre : jusqu’où veut-on créer du service utile et lesquels ? (diner-box, dons des repas restants à une association du quartier, location de vélos électriques, mise à disposition de véhicules partagés, pressing, etc.). Il faut regarder les besoins dans le détail pour comprendre la valeur ajoutée proposée aux collaborateurs… Il faut également analyser l’offre de tout l’écosystème de start-up et trouver ce qui fonctionne bien.

Par exemple au Hive, nous allons passer de 500 à 200 places de parking dans le nouveau siège. En parallèle, l’usage de la voiture de fonction va sûrement évoluer d’ici à 2025, quels services pouvons-nous mettre en place en parallèle ? Cela peut aller du vélo électrique aux bons Uber ou G7, de la recharge de véhicules électriques à la mise à disposition de véhicules autonomes… L’éventail est très large.

Une fois que tout est monitoré, quel « bureau » se profile à l’avenir ?

Xavier Perrin. Dans nos espaces renouvelés, chaque poste est flex ! Et l’on permet de savoir en temps réel (via une application) où se trouvent les postes disponibles, comment les espaces sont réservables… Personne ne doit pas souffrir de la recherche d’espaces ! D’où l’importance de disposer/partager toutes les informations sur l’occupation des lieux en temps réel. Ce n’est pas encore le cas partout, mais nous y travaillons.

De même, si un espace est réservé, mais pas utilisé, il sera remis dans la boucle : le système gère les abus. Un exemple : si on réserve chaque lundi une salle de réunion pour 10 et que l’on est 3 au maximum, le système attribuera une réservation pour trois. L’occupation est croisée avec la réservation. Même chose si la salle reste inoccupée…

Avez-vous aussi évolué sur le mobilier proposé aux collaborateurs ?

Xavier Perrin. Concernant l’aménagement des bureaux, nous voulons aussi être le plus flexible possible. A Lisbonne (Portugal), nous avons un site pilote qui compte 120 personnes pour 50 postes de travail avec un bail de cinq ans en cours. Dans ce cas précis, nous avons acheté le mobilier « as a service ». En fonction de nos besoins réels, on peut donc demander à notre partenaire de récupérer du mobilier si on le souhaite en année 3… et ainsi, baisser le coût en proportion. Nous testons la modularité à tous les niveaux.

On réfléchit de la même façon sur la modularité des espaces. Par exemple, sur un site au Brésil, nous testons des « modules » transposables de salles de réunion (allant jusqu’à 15 personnes). On veut des meetings rooms « as a service »… comme chez Philips, on peut aller jusqu’à acheter de la lumière « as a service ». Notre outil de travail doit s’adapter le mieux possible aux besoins des utilisateurs. On veut la réversibilité, y compris sur le mobilier.

En parallèle, comment choisissez-vous les lieux d’implantation de vos bureaux ?

Xavier Perrin. Nous réfléchissons à un élargissement des espaces grâce à des espaces de co-working, payés encore « as a service ». On peut imaginer des contrats spécifiques en plus de nos bureaux sur telle ou telle ville, de même pour la sous-location de nos bureaux… La proximité des transports reste un critère très important pour attirer les talents. De même, la biodiversité est une de nos réflexions ! Le zéro net carbone n’est plus une option, mais une obligation. Comment donne-t-on une seconde vie aux matériels ? Comment recycle-t-on nos équipements ? Comment inscrit-on une implantation dans son territoire (handicap, services sociaux…). Aujourd’hui, l’entreprise a une part de responsabilité dans la création de valeur sur le territoire où elle s’implante. Des centaines ou milliers de cadres qui arrivent dans un nouveau siège social, cela impacte son environnement, c’est une évidence dont on doit tenir compte

Face à ces besoins que vous décrivez, jusqu’où l’investisseur (versus l’utilisateur) est-il prêt à financer cette modularité/flexibilité ?

Xavier Perrin. Un promoteur devrait pourvoir dire : « Faut-il vraiment prendre tous ces mètres carrés que vous souhaitez ? Dans mon immeuble, j’ai une technologie embarquée et vous allez savoir ce dont vous avez besoin… »… Le bail 3-6-9 est obsolète aujourd’hui ! Mais, pour le savoir, on doit intégrer le monitoring. Ensuite, il faut qu’ils intègrent également que toutes les grandes entreprises ont un objectif environnemental à tenir…

Jusqu’où les investisseurs/promoteurs peuvent-ils créer de la valeur ?

Xavier Perrin. Avant, ils vendaient du mètre carré, demain ils vendront du service. Les besoins sont plus éphémères et beaucoup plus volatiles. Mais, aujourd’hui, créer de la valeur pour le preneur, l’investisseur ne l’a pas encore intégré ! Ils ne vendent que de l’accès à une plateforme… Mais pour vendre leurs produits, ils devront s’adapter aux besoins du marché, notamment avec les immeubles zéro carbone…

Aujourd’hui, les opportunités sont énormes pour les preneurs. Dans tous les grands groupes, les directions immobilières évoluent. Le directeur immobilier était un mal nécessaire, mais cela devient une fonction stratégique. Le coût de l’immobilier est devenu trop important. Chez Schneider sur l’immobilier commercial, nous cherchons à baisser nos coûts, tout en visant à être mieux… D’où la capacité à « inboarder » les gens à partir de données concrètes.

Voir aussi le diaporama sur le site Intencity de Schneider Electric à Grenoble (Isère).