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Chez SPIE ICS, le numérique « responsable » s’inscrit dans la stratégie

SPIE ICS est une ESN, filiale de SPIE, qui accompagne les entreprises dans leur transformation et dans leur démarche de numérique responsable. Entretien avec Xavier Daubignard, directeur général, et Emmanuel Houdaille, directeur de l’innovation de l’entreprise.

Alliancy. Comment SPIE ICS s’intègre-t-elle dans la stratégie de SPIE ?

Xavier Daubignard. SPIE se présente au marché comme le spécialiste de la transition énergétique et de la transformation numérique. En tant que filiale numérique du groupe SPIE en France, nous avons trouvé naturel, chez SPIE ICS, de nous engager dans cette transformation digitale, c’est notre métier, mais aussi d’apporter notre pierre à l’édifice de cette transition énergétique.

Nous nous engageons pour cela dans une démarche de numérique responsable qui vise notamment à limiter l’empreinte environnementale du digital pour notre propre compte, mais aussi pour celui de nos clients. Début 2021, nous avons établi notre plan stratégique 2021–2025 et avons souhaité inscrire, parmi les six axes de ce plan, notre engagement en termes de numérique responsable et le fait de porter sur le marché un certain nombre d’offres liées à cette thématique.

Pour garantir l’intégrité de cet engagement et éviter de sombrer dans du greenwashing, nous avons souhaité être labellisés Numérique Responsable, label NR que nous avons obtenu en octobre dernier auprès de l’INR. Ce label a une double couverture : nous avons été labellisés en tant qu’entreprise, pour nos usages internes, mais aussi en tant qu’ESN, pour les services que nous proposons à nos clients. Le numérique responsable possède donc bien une dimension stratégique chez SPIE ICS, en phase avec l’ambition du groupe SPIE.

Quelles actions avez-vous mises en œuvre en interne, pour réduire l’empreinte environnementale de votre système d’information ?

Emmanuel Houdaille et Xavier Daubignard (SPIE ICS)

Emmanuel Houdaille et Xavier Daubignard (SPIE ICS)

Emmanuel Houdaille. Pour vous situer le contexte, il est important de préciser que la DSI de SPIE ICS sert aussi les services de l’ensemble de la filiale SPIE France. Nous sommes donc sur un périmètre de 20 000 collaborateurs. Notre premier chantier a été de mesurer l’impact de notre IT, pour nos besoins propres. Nous travaillons avec un partenaire, Leasetic et son offre Colibris, qui nous permet de faire un suivi en temps réel de l’impact de notre IT en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES).

Bien entendu, l’impact de notre IT ne se mesure pas uniquement en termes d’émissions de GES. Mais, compte-tenu de l’urgence climatique, nous nous disons que quand nous trouvons des leviers pour réduire nos émissions de GES, nous ne sommes pas loin d’autres leviers agissant sur la consommation de matières premières, d’énergie, d’eau… Et dans les travaux que nous menons en interne ou avec des partenaires externes, nous essayons de mettre en place des systèmes de mesure multicritères qui nous permettront assez rapidement de sortir du seul suivi des émissions de GES.

« Nous avons fait des choix plutôt simples. Nous nous basons sur les méthodologies et les référentiels de mesure proposés par l’Ademe. » Cliquez pour tweeter

Autre précision, le numérique responsable comporte, comme chacun le sait, plusieurs volets : l’éthique, l’inclusion et l’écoresponsabilité. Sur le volet éthique, nous sommes principalement concernés par le RGPD et la notion de confiance numérique. Les autres sujets liés à l’éthique sont souvent associés à l’intelligence artificielle par exemple, thématique où nous sommes principalement utilisateurs et non acteurs.

Sur l’inclusivité des personnes, cela s’illustre avant tout chez nous par notre capacité à développer des applications ou des sites Web inclusifs. Nous sommes dans ce domaine avant tout un acteur des infrastructures, nous ne développons que peu d’applications et de sites Web, ce n’est pas notre cœur de métier, nous sommes assez donc peu concernés par le sujet. Nous nous concentrons de ce fait principalement sur l’écoresponsabilité, là où nous pouvons mener les actions les plus concrètes.

Il existe plusieurs méthodologies pour mesurer les émissions de GES. Quels choix avez-vous faits ?

Emmanuel Houdaille. Nous avons fait des choix plutôt simples pour l’instant. Nous nous basons sur les méthodologies et les référentiels de mesure proposés par l’Ademe. Nous travaillons aussi avec l’Ademe et d’autres acteurs du marché, comme l’Adira (Association pour le Digital en Région Auvergne-Rhône-Alpes) à Lyon, et l’IRT SystemX, sur des travaux de recherche visant à élaborer des systèmes pertinents en termes de mesure, mais aussi, et surtout, d’échange de mesures.  

Ce dernier point est particulièrement important, car le principal travail réalisé par les entreprises aujourd’hui, c’est de s’auto-mesurer sur leurs émissions de GES et de se fixer des objectifs. C’est déjà très bien, mais si on tente de comparer deux entreprises entre elles, de s’échanger des données par rapport aux scopes 2 et 3 de chacune d’entre elles, on en arrive rapidement à comparer des valeurs qui ne sont pas comparables… Cela ne permet pas d’obtenir une vision globale de nos mesures.

Concrètement, en interne, quelles mesures avez-vous prises ?

Emmanuel Houdaille. En interne, il y a différents niveaux qui répondent à des objectifs différents. Le premier objectif est la sensibilisation de l’ensemble des collaborateurs, car la transformation « numérique responsable » est un projet d’entreprise, elle touche tous les salariés, quelle que soit leur fonction. Nous allons utiliser le World Cleanup Day pour animer ce volet et donner à chacun des collaborateurs l’impact de son utilisation de l’IT en termes d’émissions de GES. Cela permettra de poser des référentiels.

Xavier Daubignard. Nous avons en effet mesuré, pour chacun des 20 000 collaborateurs de SPIE France, le coût carbone de son usage IT : utilisation des ressources au sein des datacenters, nombre de courriers électroniques envoyés par jour, volume de stockage sur le cloud… Cela permet de sensibiliser chaque personne, de lui donner sa consommation en équivalent carbone pour l’IT, de faire des comparatifs et de donner des conseils pour réduire cet impact. Nous voulons rendre vivante, par la prise de conscience du coût carbone qu’a l’informatique auprès des utilisateurs finaux, une démarche vraiment vertueuse au sein de l’entreprise.

« Nous sensibilisons nos collaborateurs, qui ont eu l’habitude de toujours disposer de matériel neuf, à l’utilisation de matériel de seconde main » Cliquez pour tweeter

Quelles autres actions avez-vous entreprises ?

Emmanuel Houdaille. Parmi les autres actions de la DSI, très importante en raison de son impact élevé : l’allongement de la durée d’usage des équipements utilisateurs. La fabrication de ces équipements représente, selon les chiffres, presque 75 % des émissions de GES du numérique au global. Notre objectif est clairement de diminuer les stocks, d’augmenter l’usage, voire le partage de ces équipements quand c’est possible, et d’allonger leur durée de vie.

Aujourd’hui, nous sommes sur des contrats de leasing de 36 mois, ce qui n’est pas vertueux, car quand on rend le matériel, il est potentiellement tout à fait réutilisable. Nous avons augmenté la durée de nos contrats de leasing d’un an et nous avons dissocié la durée d’amortissement financier de la durée d’usage. Nous ne sommes ainsi pas obligés de rendre le matériel au bout de 36 ou 48 mois. Nous pouvons arrêter de payer le loyer et continuer d’utiliser le matériel. C’est très important, car cela lève un blocage – financier – qui empêchait jusqu’à présent l’utilisation plus longue des matériels.

J’ajoute que certains de nos clients nous contactent pour savoir ce qu’ils peuvent entreprendre autour de la RSE et du numérique responsable. Mais quand on analyse leurs pratiques actuelles, on constate que la politique de l’entreprise est de fournir le dernier PC ou le dernier smartphone aux collaborateurs, et de posséder des stocks importants permettant d’être réactif… Bref, des modèles incompatibles avec une démarche de numérique responsable. Le changement des cultures va donc être la première étape avant d’avancer sur des changements plus orientés « delivery » des services.

Xavier Daubignard. Nous sensibilisons aussi nos collaborateurs, qui ont eu l’habitude de toujours disposer de matériel neuf, à l’utilisation de matériel de seconde main. Nous l’avons fait en premier lieu sur les smartphones et la démarche est couronnée de succès puisque nous avons plus de 10 % de notre flotte de smartphones provenant du reconditionnement ou de la réparation. Nous souhaitons faire progresser ce taux afin de ne plus constamment être sur du « tout neuf, tout le temps, très vite ».

En quoi vos offres tiennent-elles compte du numérique responsable ?

Emmanuel Houdaille. En préambule, je rappellerai que nous formons nos équipes à l’écoconception. Jusqu’à présent, l’écoconception a beaucoup concerné le monde applicatif, mais beaucoup moins les infrastructures. Nous sommes en train de travailler sur ce point, afin que ce soit le plus pertinent possible pour nos équipes.

Mais si vous voulez former vos collaborateurs à l’écoconception, il faut leur donner des outils de mesure, afin qu’ils puissent comparer des offres. C’est la raison pour laquelle nous avons développé un module carbone dans notre outil de chiffrage interne, qui nous permet – en parallèle du devis financier classique – d’exprimer l’offre faite au client en équivalent gaz à effet de serre.

Cela concerne à la fois la phase de « build », mais aussi de « run », cette dernière intégrant la vie des matériels, c’est-à-dire leur consommation. Quand il s’agit d’infrastructures, cela pèse aussi lourd, voire parfois plus, que la phase de fabrication. Cela va aider nos collaborateurs à se mettre dans une véritable démarche d’écoconception et cela va nous permettre d’éduquer le marché sur ce sujet afin que de plus en plus d’entreprises intègrent ce volet numérique responsable dans leurs critères de décision lors de leurs consultations.

Quels autres dispositifs avez-vous créés ?

Emmanuel Houdaille. Nous avons monté une approche de conseil qui consiste à accompagner les entreprises dans l’étude de leur maturité en matière de numérique responsable et dans l’établissement d’une feuille de route. Nous nous appuyons en grande partie sur le processus de labellisation « numérique responsable » que nous avons-nous-mêmes vécu et qui nous a permis de bien structurer notre démarche d’accompagnement. C’est une approche très globale.

Nous avons une autre approche, qui est plus de l’ordre de l’audit et du conseil, très spécifique aux datacenters. L’objectif est de challenger des infrastructures de datacenters privées dédiées – nous ne parlons pas ici de cloud public – en place ou futures (dans le cadre d’appels d’offres).

À partir du mois d’avril, toutes les offres d’intégration qui vont sortir de chez nous sur les environnements datacenter vont mentionner le coût carbone de l’offre en question ou le coût carbone des différentes alternatives que nous proposons. L’objectif est d’aider le client à mieux choisir. C’est un outil d’aide à la décision, sous le prisme environnemental.

Xavier Daubignard. Les clients sont plutôt matures sur le choix de leur hébergeur et sur le PUE (Power Usage Effectiveness) du datacenter. Ils le sont souvent beaucoup moins sur le coût carbone intrinsèque de leur propre infrastructure. Nous leur donnons cette vision et leur proposons des alternatives. À eux de choisir la plus vertueuse en termes de coût environnemental pour, ensuite, la faire héberger là où ils le souhaitent. Nous travaillons vraiment sur cette couche « solution technique » et le sujet du PUE doit être traité en parallèle. 

Enfin, dernier point, nous avons monté une offre qui consiste à permettre à nos clients de mesurer l’impact de leur parc informatique, comme nous le faisons en interne, et d’actionner les bons leviers pour allonger la durée d’usage de leurs équipements via, par exemple, les durées de leasing, la réparation ou le reconditionnement.

Quelques chiffres clés

  • Chiffre d’affaires 2020 du groupe SPIE : 6,6 milliards d’euros
  • Salariés du groupe SPIE : 50 000 personnes dans le monde
  • Salariés de SPIE France : 20 000 personnes
  • Salariés de SPIE ICS : 3 300 personnes