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Concilier digitalisation et maîtrise de l’empreinte carbone du numérique

Aider les entreprises à concilier la digitalisation de leurs processus et la décarbonation de leurs activités, telle est la mission que s’est fixée le cabinet de conseil Axionable. Vincent Philippine, associé, nous en dévoile les contours.

Vincent Philippine (Axionable)

Vincent Philippine, directeur associé mobilités et industrie chez Axionable.

Alliancy. Comment faire converger la digitalisation des processus et la décarbonation des activités dans les entreprises ?

Vincent Philippine. Nous abordons ce sujet de la décarbonation sous deux dimensions. La première consiste à se demander comment la technologie au sens large – et en particulier la donnée et l’IA – peut aider à concrétiser et accélérer la décarbonation. La technologie est un outil que l’on peut mettre au service de projets, de cas d’usages, eux-mêmes au service de la transition écologique.

Nous le voyons notamment autour de projets liés à la performance énergétique des bâtiments, des usines, des entreprises. Le premier axe de travail consiste à accroître l’efficacité énergétique des processus pour consommer moins, et donc réduire ses émissions de gaz à effet de serre, à performance identique, surtout dans un contexte international où la pression sur les prix de l’énergie est de plus en plus forte…

Le deuxième axe est de se poser la question de savoir comment la technologie peut, en tant que telle, s’inscrire dans des démarches de sobriété et de frugalité. Au niveau national, l’empreinte carbone du secteur du numérique est estimée à 2,5 %, selon les données du ministère de la Transition écologique. Si nous ne faisons rien, ce pourcentage va exploser d’ici à 2030/2040.

Que peut apporter l’intelligence artificielle en matière de décarbonation ?

V.P. Assez logiquement, l‘axe de travail prioritaire pour les entreprises est celui qui concilie performance opérationnelle et ROI d’un côté, et contribution à la stratégie de décarbonation de l’autre. Par exemple, grâce à l’intelligence artificielle, nous sommes capables de détecter des surconsommations, des anomalies, puis de générer des optimisations de consommation énergétique qui vont, en fonction des contextes, de 5 à 20 % de la facture globale. Ces projets, travaillés depuis longtemps, doivent régulièrement être ré-investigués à la lumière des évolutions technologiques (et de notre niveau de maîtrise de ces technologies) et des potentiels de gains financiers associés. Dans la période actuelle de forte augmentation des coûts énergétiques, les temps de retour sur investissement se réduisent fortement et des optimisations discutées hier se révèlent aujourd’hui rapidement rentables.

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Autre exemple, la maintenance prédictive des équipements et des réseaux. Le sujet est connu et traité depuis longtemps sous l’angle de la performance industrielle ou de l’optimisation des coûts de maintenance. En jouant sur la durée de vie des équipements, et en participant à sortir du schéma classique « produire, vendre, jeter, remplacer », on peut y ajouter une externalité positive sur les impacts environnementaux, notamment l’empreinte carbone mais aussi la production de déchets. Ce sont des sujets que nous travaillons notamment avec le groupe Orano (ex-Areva) dans le cadre d’un programme de modernisation industriel sur son site industriel de La Hague.

Enfin, dernier exemple, l’optimisation des activités de logistique. C’est généralement une priorité pour les entreprises car elle présente des perspectives de ROI tangibles : optimisation des plans de transport, réduction des transports à vide, réduction de la consommation de carburant… Autant de bénéfices associés à une meilleure utilisation des données.

Concernant l’empreinte carbone des activités informatiques, où en sont les DSI aujourd’hui ?

V.P. Il existe une prise de conscience assez forte sur le sujet de la part des entreprises et des DSI. Le poids du numérique pour beaucoup d’entreprise est, dans l’absolu, assez faible, mais la trajectoire prise est préoccupante. L’enjeu pour les DSI est donc de concilier une propension très forte à la digitalisation sans faire exploser l’empreinte carbone du numérique. D’ailleurs, l’attention (notamment médiatique) porte beaucoup sur le carbone, mais l’empreinte environnementale du numérique va bien au-delà et concerne également l’impact sur les terres rares, les ressources abiotiques, l’eau, etc.

Une des premières tâches des DSI est donc de mesurer, afin de savoir de quoi on parle et d’où l’on part, en fonction de chaque entreprise. Cela permet ensuite de mettre en place des actions d’allongement de la durée de vie des terminaux, de reconditionnement ou de réutilisation… C’est un changement culturel également. Ainsi, on voit émerger certaines actions très concrètes (et déjà en œuvre dans beaucoup d’entreprises) comme par exemple, de ne plus fournir de smartphone neuf aux nouveaux collaborateurs concernés.

Une fois le plan d’actions défini et les premières initiatives menées, il est nécessaire de suivre la trajectoire prise dans le temps. Ce sont des actions réalisées à moyen et long termes, qui demandent des efforts importants. Cela nécessite une organisation qui permette de suivre, au bon niveau et avec le bon leadership, la trajectoire carbone (et plus globalement environnementale) du numérique pour être capable d’influencer les plans d’action qui, dans certains cas, peuvent s’avérer contraignants.

Les entreprises arrivent-elles à suivre la trajectoire fixée ?

V.P. La plupart du temps, la première partie des efforts est assez « facile » à réaliser, avec de bonnes pratiques assez évidentes à mettre en place : gestion des emails, du stockage, etc. Mais, quand on commence à rentrer dans le vif du sujet, il peut y avoir des arbitrages entre performance et carbone… Une approche GreenOps permet aux DSI de construire leur schéma directeur pas uniquement sur des logiques de performance et de coûts, mais aussi en y intégrant des dimensions environnementales liées aux émissions de CO2 notamment. Et donc d’utiliser le carbone, et globalement le sujet environnemental, comme un moyen d’alimenter les arbitrages technologiques, pour privilégier des technologies mieux-disantes en termes de carbone et d’impact environnemental.