L’industrie se relève… doucement

Malgré la reprise économique mondiale en 2017, la compétitivité de l’industrie en France peine encore. France Industrie, qui présentait ce matin un état des lieux du secteur, rappelait l’urgence de poursuivre des réformes structurelles de compétitivité coût et hors coût.

L’industrie se relève… doucement

Photo : www.spn.asso.fr

L’an dernier, la production manufacturière a augmenté de 5 % en volume. L’investissement a poursuivi sa dynamique et le solde de création de sites industriels est désormais positif (d’après le cabinet Trendeo), une première depuis la crise de 2008.

« Ce rebond est favorable à un retour de la confiance des décideurs industriels dont le moral est au plus haut depuis 17 ans. Pour autant, le problème de compétitivité de l’Industrie n’est pas réglé, a déclaré Philippe Varin, président de France Industrie. Le bilan 2017 ne fait toujours pas apparaître de progrès structurel global de la compétitivité française par rapport aux autres pays européens. Il faut donc accélérer encore les mesures de rétablissement de cette compétitivité. »

L’année 2017 a été « une année globalement très positive pour l’industrie ». Pour autant, « l’essentiel de l’accélération est derrière nous », a poursuivi Denis Ferrand, directeur général du cabinet Coe-Rexecode, évoquant « une hésitation du climat des affaires » depuis trois mois… Un autre point critique est la « difficulté à suivre la cadence », à la fois en termes de recrutement et d’adaptation de l’outil industriel : « On est dans une situation de quasi-saturation de l’utilisation des capacités de production », a-t-il expliqué.

Face à un tel constat, France Industrie propose donc deux pistes de réformes pour ouvrir une nouvelle étape de baisse des prélèvements obligatoires : la réduction des charges sociales pesant sur les salaires médians pour soutenir l’emploi qualifié des secteurs exposés à la concurrence internationale ; et la réduction de la fiscalité de production, qui grève la compétitivité des entreprises industrielles (elle représente un différentiel de 70 milliards d’euros avec l’Allemagne).

Par ailleurs, l’industrie française doit accélérer sa montée en gamme et mobiliser les 10 principales filières industrielles sur de grands projets structurants : digitalisation des PME/ETI, création de plates-formes numériques, innovation, formation sur de nouvelles compétences et internationalisation.

L’occasion de revenir sur ce bilan/perspectives avec Pascal Brosset, EVP et CTO Digital Manufacturing chez Capgemini

Comment voyez-vous la France dans cette marche vers l’industrie du futur ?

Pascal Brosset. J’ai surtout une vision d’ailleurs, puisque je passe beaucoup de temps aux Etats-Unis. Pour autant, je suis aligné avec ce qui est dit plus haut. La France reste en peu en-deça, notamment vis-à-vis de l’Allemagne, sur toutes ces démarches. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des approches très intéressantes comme dans l’automobile chez des acteurs comme Valeo ou Faurecia. On peut faire le même constat pour l’aéronautique évidemment, et dans une moindre mesure, pour la pharmacie et l’agroalimentaire où l’on trouve aussi de grands groupes internationaux.

Selon la recherche réalisée par le Digital Transformation Institute de Capgemini, les fabricants qui investissent dans les usines intelligentes, prévoient des gains d’efficacité pour les activités manufacturières de 27 % au cours des cinq prochaines années, soit une contribution de 500 milliards de dollars en valeur ajoutée annuelle à l’économie mondiale.

Quels sont les différents types d’approches que vous voyez entre les pays ?

Pascal Brosset. En Allemagne par exemple, on aborde ces sujets d’industrie 4.0 par l’automatisation, alors qu’aux Etats-Unis, c’est beaucoup plus basé sur l’utilisation des données pour optimiser l’utilisation de mes assets existants. Les Français, on les retrouve un peu au milieu entre automatisation et data. Mais, partout et de très loin, les plus gros leviers sont dans le comment mieux utiliser les données pour optimiser les opérations existantes.

En termes de manufacturing, l’innovation est-elle la clé ?

Pascal Brosset. Dans ce domaine, l’innovation se trouve d’abord dans les méthodes de management et la culture du changement, et pas forcément dans le fait d’aller chercher les dernières méthodes de production. Et là, on voit la même évolution partout. Aujourd’hui, la plupart des usines sont gérées par l’expérience et l’intuition… Le challenge est maintenant de passer au management par les données. Et, quoi qu’il en soit, le changement de génération va l’imposer. C’est à la fois un problème et une opportunité, mais il va falloir remplacer l’intuition des dirigeants actuels par la technologie et les données.

Beaucoup de POC (proof of concept) autour des données ont été déployés dans l’industrie ces derniers mois, comment voyez-vous le passage à l’échelle désormais ?

Pascal Brosset. C’est le grand sujet du moment pour tous les groupes que nous côtoyons. Ces POC ont de fait permis de repérer des technologies pertinentes, mais il faut maintenant trouver la bonne plateforme pour déployer… Certains industriels parlent d’un MES (manufacturing execution system) plus ouvert, qui gère aussi la qualité et des analytics comme Apriso (Dassault Systèmes). D’autres regardent des plates-formes du type Predix (GE) ou MindSphere (Siemens)… Quoi qu’il en soit, tout le monde se pose la question d’un déploiement progressif et incrémental, et de comment permettre aux usines d’innover tout en scalant… Plus personne n’acceptera de faire ce qui se passait du temps de l’ERP !

Où voyez-vous la difficulté dans la mise en place de telles plates-formes ?

Pascal Brosset. Technologiquement, ce n’est plus un problème. Le principal challenge reste le changement culturel et la gouvernance de ces plates-formes et, en particulier, il faut que l’IT, les opérations et l’ingénierie soient parfaitement alignés. Par définition, ils ont des agendas différents, mais il faut trouver la bonne personne, et la mettre au bon niveau pour le pilotage global. C’est vraiment ce qui est fondamental.