Le succès de l’impact ne se mesure pas en nombre de licornes, selon le fonds Racine²

La Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN) a lancé en début d’année Racine², un nouveau fonds d’investissement doté de 80 millions d’euros et exclusivement focalisé sur les start-up à impact. L’assureur mutualiste a confié l’accompagnement de ces pépites à Makesense et Serena Capital. Eric Gossart, Partner chez Serena, nous en dit plus sur ce projet destiné au financement de projets à impact environnemental et social.

Eric Gossart, Partner chez Serena.

Eric Gossart, Partner chez Serena.

Alliancy. Quel est votre rôle chez Serena ?

Je travaille chez Serena pour le fonds d’investissement Racine² qui s’intéresse à plusieurs stratégies liées à l’environnement, la santé, l’éducation ou encore le sport. Ce fonds est nouveau pour Serena – de par les thématiques qu’il adresse – et il répond à un appétit de plus en plus marqué chez les investisseurs pour les enjeux responsables. Nous travaillons en partenariat avec Makesense sur la dimension impact pour construire des leaders en phase avec leur époque. 

Nous avons recours aux compétences et la méthodologie de Makesense pour mesurer l’intensité de l’impact des projets. Cela vaut pour les missions qu’une start-up se donne et l’impact dont elle fait preuve en interne.

En début d’année, notre portefeuille d’investissements représentait 85 millions d’euros et nous sommes dans une belle dynamique car nous avons reçu plus de 600 dossiers de candidatures à ce jour. Nous avons par exemple investi dans Helios, une fintech qui s’engage pour limiter l’impact du compte bancaire sur l’environnement ou encore May, une application qui accompagne les futurs parents pendant la grossesse et jusqu’à l’entrée à l’école de l’enfant. 

En réalité, je n’aime pas trop l’appellation “fonds à impact” car Serena finance aussi des projets vertueux dans ses autres véhicules d’investissement et une start-up qui aide les PME à s’outiller en matière de cybersécurité pourrait aussi être considérée à impact.

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Quels sont les efforts en la matière chez Serena Capital ? Etes-vous plus exigeant dans la sélection des projets financés ?

Notre processus de sélection n’est pas forcément plus strict aujourd’hui car il était déjà assez exigeant. Nous sommes en revanche de plus en plus attentifs à sensibiliser les entrepreneurs que l’on accompagne aux enjeux climatiques. Ainsi, même si une jeune société qui nous rejoint n’a pas forcément tout mis en place pour respecter les critères ESG, nous prévoyons après investissement de les former par exemple dans le cadre de la Fresque du climat. 

Depuis quand constatez-vous une prise de conscience des entrepreneurs sur l’urgence climatique ?

Nous constatons une vraie dynamique sur toutes les start-up en général. Nous voyons beaucoup de business pérennes se créer autour de ces enjeux et cela peut générer des dizaines de millions de revenus. Le marché autour de l’impact est grandissant : nous avons notamment pu voir la start-up Electra lever récemment 160 millions d’euros pour accélérer le déploiement de ses points de recharge pour voitures électriques. 

Ce montant est équivalent à ce que peut lever la French Tech en général et cela montre que la technologie et l’impact ne sont pas deux mondes opposés. Il est possible de financer des entrepreneurs au service d’un monde meilleur.

Lors de Vivatech, le président Emmanuel Macron a déclaré vouloir atteindre l’objectif d’« au moins 100 licornes » françaises à horizon 2030, dont 25 licornes dites « green ». Cet objectif est-il suffisant ? 

Le fait de fixer cet objectif à 25 licornes “green”, c’est tirer un trait sur tout l’écosystème à impact qui est en pleine expansion. Le marché n’est plus en phase de structuration, les modèles et talents existants ont acquis la maturité pour passer à l’échelle. Il n’y a aucune raison que ces start-up ne bénéficient pas de l’écosystème de la French Tech au même titre que les autres. Et compte tenu de l’urgence climatique, il n’y a aucune raison non plus que cet objectif ne soit pas revu à la hausse.

Comment réduire l’empreinte du numérique si nous nous reposons d’autant plus sur la technologie pour façonner la transition écologique de demain ? 

Je reste pragmatique et je pense qu’il faut un peu des deux mondes. La technologie peut nous aider à remplacer certaines activités polluantes mais elle peut aussi générer plus de consommation et donc annuler les efforts entrepris. Et de la même manière, avec le réchauffement climatique, les forêts sont de moins en moins capables d’absorber des émissions carbone.

Il y a encore un enjeu d’éducation à ce qu’est l’impact et le réchauffement climatique car peu de gens ne comprennent vraiment ce qu’est le GIEC et pourquoi il tire la sonnette d’alarme. C’est aussi un enjeu de redéfinir ce que l’on considère une transition climatique, car elle est aujourd’hui trop souvent abordée sous l’angle énergétique ou bien de l’inflation.

Avez-vous refusé des projets que vous ne considériez pas à impact ?

Cela arrive très rarement car ces projets ne se rapprochent pas naturellement de nous. Toutefois, j’ai parfois eu des doutes sur certains projets notamment sur le nucléaire ou encore les alternatives à la viande. Sur ce dernier point, je ne me suis tout simplement pas encore forgé d’avis sur le fait de substituer ou tout simplement limiter la consommation de viande.

Ne devons-nous pas revoir notre vision de la croissance, ses limites, et limiter les valorisations des start-up à tout-va ?

La valorisation est un bon moyen d’adresser un sujet, de donner envie et ainsi créer des leaders. Mais ce n’est qu’une façon de comprendre les enjeux. Au-delà de la valorisation, il faut aussi imaginer la manière de créer des business model à la fois durables et rentables.

C’est assez dur de se battre tout seul face à une économie globalisée qui ne partage pas forcément nos valeurs. En tant qu’investisseur, notre rôle reste avant tout de sensibiliser à ces enjeux du mieux que possible.

Nous assistons à une période d’ajustement où le marché des valeurs tech se tend. C’est le bon moment pour redéfinir les business modèle de demain et apprendre encore plus aux entrepreneurs à ne pas penser uniquement en termes de valorisation.

Il faudrait également trouver des moyens de mieux valoriser l’écosystème français de l’innovation et ne pas se limiter qu’aux plus grosses levées. Il faut aller plus loin et la notion de « centaure » est déjà en ce sens un axe intéressant à creuser.

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La culture de l’échec n’est-elle pas assez valorisée ?

Je ne sais pas si l’échec est peu valorisé mais j’ai sans doute un biais d’investisseur qui me pousse à valoriser le risque. Toutefois, il faut admettre que le capital s’est largement orienté vers le secteur de la tech ces dernières années. Le risque y est donc bien mieux admis car plus largement financé. 

Je suis assez optimiste sur l’innovation qui commence à émerger autour de l’électrique ou encore la décarbonation. Historiquement, les investisseurs du Venture Capital étaient essentiellement concentrés sur la partie software et l’optimisation énergétique. Mais il y a toute une culture d’investissement qui se crée aussi autour de la nécessité d’ériger les infrastructures nécessaires à notre transition bas-carbone. 

Le monde de la finance a un rôle à jouer pour s’imposer et diffuser les bons messages. Evidemment, nous avons besoin de mettre en valeur nos réussites mais le succès de l’innovation à impact ne se mesure pas en licornes. Nous misons aussi beaucoup sur l’ancrage territorial et la capacité à faire bénéficier l’écosystème de la French Tech à l’ensemble des acteurs innovants sur l’Hexagone.