Véronique Torner (Syntec Numérique) : « Il faut savoir mixer l’innovation et la sobriété pour dessiner la bonne trajectoire pour le numérique. »

La responsabilité sociale et environnementale devient un impératif de plus en plus marqué pour les entreprises du numérique. Celles qui ne jouent pas le jeu risquent à l’avenir d’avoir des difficultés à trouver des investisseurs et recruter de nouveaux talents. C’est ce que partage Véronique Torner, présidente du programme Numérique Responsable du syndicat professionnel Syntec Numérique, dans un échange avec Alliancy. Cette experte est aussi en charge de l’initiative Planet Tech’Care, lancée en octobre 2020 pour fédérer les acteurs français du numérique autour de ces enjeux.

 

Alliancy. Une actualité du Syntec Numérique à partager ?

En début d’année nous avons annoncé une nouvelle importante : notre fusion avec l’organisation professionnelle Tech in France. Ce projet a pris forme le 18 juin dernier avec la naissance de Numeum. Cette nouvelle organisation nous permet de consolider le rassemblement des différents acteurs du numérique, des ESN aux éditeurs en passant par des start-up et autres plateformes. Avec nos 2300 adhérents, nous représentons 80% du marché du numérique.

Qu’en est-il du lancement de Planet Tech’Care ? Pourquoi s’intéresser aux sujets environnementaux ?

Syntec Numérique travaille depuis dix ans sur la relation entre le numérique et l’environnement et nous avons à ce titre publié de nombreux livres verts avec l’aide de la communauté Green IT. Depuis 2019, nous avons aussi créé un programme spécifique sur le Numérique Responsable : avec un focus sur l’environnement, la diversité hommes-femmes ou encore sur la reconversion professionnelle et l’inclusion, en lien avec Pôle Emploi et plusieurs régions de France.

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Nous nous intéressions donc à ce sujet depuis longtemps mais nous n’avions pas encore d’action consolidée. C’est tout l’intérêt de l’initiative Planet Tech’Care. L’idée a émergé en septembre 2019, lorsque le Gouvernement a au Conseil national du numérique (CNNum) de travailler à la consolidation de l’écosystème numérique français sur les enjeux environnementaux et sociaux.

Syntec Numérique a repris cette mission et inauguré, le 8 octobre 2020, avec le soutien de Barbara Pompili et Cédric O, Planet Tech’Care, une sorte de méta initiative rassemblant des acteurs qui ont l’expertise sur ces enjeux comme l’Ademe, Bpifrance, le Cigref, la DiNum, le ministère de l’Environnement, The Shift Project ou encore Green IT. Nous avons réussi en six à huit mois à rassembler tous les acteurs experts sur le sujet.

Comment peut-on s’engager dans Planet Tech’Care ?

Le premier niveau d’engagement pour les entreprises consiste à devenir signataire de notre manifeste. Il y a dans cette catégorie plus de 30 grands groupes, grandes associations, mais aussi des PME et ETI qui sont liées de près ou de loin au secteur numérique. L’objectif est de réduire l’impact environnemental de leurs usages numériques et de contribuer au programme via des retours d’expérience et le partage de bonnes pratiques. Notre mission étant ici d’inciter ces acteurs à mesurer et réduire leur empreinte sans obligation contraignante, car nous ne sommes pas un régulateur mais un acteur qui joue le rôle de porte d’entrée vers des actions concrètes. 

À ce jour, nous comptons près de 380 signataires et l’objectif serait d’en obtenir 500 à la fin de l’année. Il y a également dans cette catégorie une cinquantaine d’acteurs de la formation comme Polytechnique, Ecole 42 ou encore la Grande École du Numérique. Tous s’engagent à développer dans leurs programmes scolaires des cursus dédiés aux enjeux responsables.

Le deuxième niveau d’engagement correspond au fait de devenir partenaire. Nos partenaires ont pour mission de proposer au moins un contenu aux signataires dans l’année et de donner de la visibilité à l’initiative afin de contribuer aux recrutements de nouveaux signataires. Nous avons annoncé en mai dernier l’arrivée de quatre nouveaux acteurs dans cette catégorie : l’association d’acteurs du cloud Eurocloud France, le Collège des directeurs du Développement durable C3D ainsi que la Mission interministérielle Green Tech, pilotée par la Direction interministérielle du Numérique et le ministère de la Transition Écologique ainsi que l’Inria. Ces nouveaux arrivants portent le nombre de partenaires associés à 20 !

Enfin, il y a les ambassadeurs de Planet Tech’Care, qui sont aujourd’hui 14. L’objectif ici est de faire rayonner Planet Tech’Care et de diffuser ses actualités pour encourager sa propre communauté à rejoindre l’initiative. Les ambassadeurs ont pour mission  de faire écho et de sensibiliser leur écosystème à ces enjeux. Notre intérêt étant aussi de faire grandir notre communauté au plus proche des territoires.  

 

Quelles actions entreprenez-vous concrètement pour sensibiliser les acteurs du numérique aux enjeux responsables ? 

Concrètement, nous accompagnons gratuitement les écosystèmes en leur délivrant des bonnes pratiques en matière de numérique et d’environnement. Depuis notre lancement en octobre 2020, nous avons organisé 8 ateliers, durant lesquels un partenaire différent chaque mois a partagé son expertise, proposé des clés d’action et répondu aux questions des participants. Pour rappel, nos ateliers sont ouverts gratuitement à l’ensemble des collaborateurs de nos signataires.

Nous sommes dans une démarche de co-construction qui nécessite la création de bases de données open source en commun. C’est un travail important à faire car la mesure de l’empreinte environnementale est complexe et les données sur le sujet ne sont pas vraiment abouties.

Nous avons plusieurs outils à disposition pour poursuivre cet effort, notamment par le biais de questionnaires de satisfaction à l’issue de nos ateliers pour mesurer la progression de nos communautés sur leur impact. Chaque année, cela permet de consolider notre dispositif et définir les trajectoires à suivre pour nos signataires.

Nous lançons également un projet en juin sur le référencement dans un annuaire de solutions numériques responsables développées par des éditeurs et valorisées par des sociétés de conseil. Le but est de connecter cet écosystème d’acteurs qui veulent s’engager avec les offreurs.

Cet annuaire va-t-il mettre en avant les solutions numériques les plus responsables ? Va-t-il aussi comprendre les offres des géants technologiques extra-européens ?

Nous ne faisons pas de travail de filtre en amont car nous pensons que les entreprises sont aptes à faire leur sélection d’elles-mêmes. Planet Tech’Care joue sur la rapidité car en matière environnementale il faut vite passer à l’échelle. Plutôt que de tout cadrer dès le départ, nous préférons nous ouvrir et ainsi favoriser la massification des projets. 

Sur la dimension européenne, nous avons créé des connexions avec DigitalEurope, qui est une organisation qui représente les acteurs du numérique en Europe, notamment pour voir si notre initiative est duplicable à l’échelle de l’Union. Mais cela ne se cantonne d’ailleurs pas à l’Europe car le Maghreb et le Canada ont par exemple aussi manifesté leur envie d’avancer avec nous sur ces sujets.

Est-ce que l’innovation technologique de rupture peut-elle régler la question de la crise climatique ? Comment faire pour éviter tout greenwashing basé sur un solutionnisme technologique à outrance ?

Je crois que la première étape est de bien informer les acteurs sur l’empreinte du numérique. C’est de la sensibilisation de base, que nous menons dans nos propres ateliers pour mieux faire comprendre le sujet. Il faut ensuite savoir mixer l’innovation et la sobriété pour dessiner la bonne trajectoire pour le numérique. Par exemple, le numérique est indispensable pour les secteurs de l’énergie ou encore de la mobilité et tout l’intérêt est de continuer à innover sans pousser à la sur-consommation.

Il faut bien informer et éviter les symptômes de diabolisation du numérique, comme nous avons pu le voir autour de la 5G, avant même d’avoir des études poussées sur son impact. Il faut accepter d’innover avec une bonne grille de lecture des enjeux et continuer à mesurer les impacts du numérique. Les outils pour y parvenir ne sont pas tous en place mais il y a néanmoins des bonnes pratiques dans l’ensemble.

Nous ne cherchons pas à être dans l’opulence et nous œuvrons pour l’allongement de la durée de vie du matériel électronique, son recyclage et son éco-conception dès sa fabrication. La technologie va permettre des avancées considérables en matière de transition écologique,. Mais la différence, c’est que par le passé, il était moins évident de faire attention aux ressources. Aujourd’hui, encore plus sur le hardware et le marché des terres rares, nous nous devons d’êtres économes sur la fabrication de notre matériel.

Il faut donc investir dans la recherche et l’innovation pour trouver la solution à l’équation complexe de l’environnement. Une démarche de sobriété ne peut suffire, il faut en cumuler plusieurs et exploiter différentes pistes.

Est-ce important que le combat contre le réchauffement climatique se tienne aussi sur le terrain financier ? Nous voyons par exemple des start-up émerger sur le sujet comme Time for the planet…

Comme je le disais, nous devons travailler sur plusieurs pistes et celle des fonds à impact en fait partie. La finance de l’écologie est primordial et c’est d’ailleurs ce qu’a entrepris avec merveille notre partenaire Sophie Flak chez Eurazeo : elle a travaillé plusieurs années pour les aider à avoir une vraie stratégie environnementale. Time for the Planet est aussi très intéressant dans la mesure où il est primordial de proposer des modèles économiques en open source. C’est d’ailleurs ce que nous cherchons à explorer avec Bpifrance sur la partie financement.

Est-ce que le numérique responsable est compatible avec la recherche de rentabilité ? 

J’en suis convaincue et le secteur économique lié au “Green IT” a par ailleurs toujours été rentable. Notre programme Numérique Responsable au Syntec Numérique a également vocation à développer cet écosystème car nous pensons réellement que le numérique responsable est un facteur de business. C’est même un facteur de différenciation incontournable pour la pérennité économique de l’entreprise de demain et son attractivité en termes de compétences. L’entreprise qui n’a pas mis la RSE au cœur de son activité n’est pas vouée à être pérenne. 

Nous assistons à un point d’inflexion sur ces enjeux, et à tous les niveaux. Dans quelques années, les entreprises non responsables auront bien du mal à trouver des investisseurs et à recruter de nouveaux talents. Bruxelles est aussi positionné sur le sujet avec sa stratégie de “Green New Deal” : la Commission européenne partage notre conviction que le secteur économique du Green IT va générer de l’emploi et du business.